L’Ecole du double fond et le Diplôme de magicien
Le Double Fond est un théâtre et un bar mais aussi en même temps une école. Le magicien Dominique Duvivier, créateur du Double Fond, a toujours eu à cœur la transmission et la reconnaissance de son art. La mise en place d’une certification est l’aboutissement d’une démarche historique, et cela correspond à une volonté de donner ses lettres de noblesse à cette formation Bac+2 maintenant reconnue par le ministère de l’Education en 2018 ?Mais il aura fallu cinq ans, comme le précise Adeline Galland, responsable pédagogique.
-C’était compliqué, Adeline Galland, une demande de reconnaissance par l’Etat?
-Oui, la première année, nous avons dû analyser et comprendre les démarches nécessaires et ensuite nous avons décidé de nous lancer. Mais nous avons passé une année entière à entendre que notre projet était irréalisable ! Et, à chaque foi, que nous voulions avancer, nous apprenions l’existence d’une nouvelle barrière infranchissable. Donc la troisième année, nous avons été découragés et avons tout arrêté.
La quatrième année, nous nous sommes dit : « Tant pis ! Tout le monde dit, c’est impossible, nous allons donc le faire quand même et nous verrons bien ! ». Mais cela n’a pas été simple : encore un an de travail, un dossier de cinquante pages, et vingt-et une versions plus loin, pour aboutir à un résultat satisfaisant. Après une instruction de dossier ( six mois!) et un passage devant une commission de quarante personnes (représentants de ministères, syndicats, organismes d’Etat…), il faut croire que nous avons su être convaincants et nous avons obtenu l’autorisation de délivrer un titre de magicien, niveau 5 européen, soit bac+2, avec équivalence universitaire (120 points ECTS). La cinquième et dernière année a été consacrée à la commercialisation de cette nouvelle corde à notre arc.
©x Alexandra et Dominique Duvivier
-Comment s’organisent les cours collectifs?
-Avec un cursus complet de 550 h mais à deux rythmes possibles : soit sur une année scolaire (35 h par semaine de septembre à décembre puis sept h par semaine de suivi pédagogique de janvier à juin). Ou bien sur deux ans (en moyenne sept heures hebdomadaires). La réussite à l’examen final étant par ailleurs conditionnée par un travail personnel de l’ordre de 2.500 à 3.000 heures…
Quant à l »organisation des cours, pas d’ordre chronologique. Le parcours est structuré de manière à alterner les thématiques et à aérer les contenus pour garder les étudiants attentifs et qu’il puissent mémoriser plus facilement. Chaque journée de formation alterne cours théoriques, mises en situation, travaux pratiques et travaux dirigés.
-Combien d’élèves par promotion ?
-Nous n’avons pas fixé de limites mais il n’y a jamais plus une dizaine d’élèves par cours, pour que l’apprentissage reste le plus efficace possible. Donc, en fonction de la demande, nous multiplions les sessions de cours et développons l’équipe pédagogique. Nous nous adaptons…
Il y actuellement sept formateurs : Dominique Duvivier, Alexandra Duvivier, Philippe de Perthuis, Olivier Bridard, Jean-Pierre Crispon, Benoît Rosemont, Quoc Tien Tran. Chacun enseigne ses spécialités, en fonction d’un programme de formation précis.
Dans un premier temps, le programme pédagogique selon les exigences du Ministère du Travail était fondé sur un découpage en « blocs de compétences », eux-mêmes répartis en modules. Puis nous avons fait de nombreuses réunions avec l’équipe pédagogique pour prendre en compte tous les aspects du métier. En l’occurrence, notre programme comporte quatre blocs. 1: Exercice de la magie (culture et histoire de cette discipline et cartomagie, close-up, magie pour enfants, mentalisme et magie de salon/scène. 2: Préparation d’un numéro : connaissance du terrain et vocabulaire du monde du spectacle, etc.) 3 : Interprétation d’un numéro : comment susciter l’adhésion du public et le captiver, etc. 4 : Développement et gestion d’activité : savoir se vendre, connaître les différents statuts existant, prix du marché, notions de droit, etc.
-Vous avez un cours d’histoire de la magie ?
Oui, bien sûr mais abordée aussi sur tout le cursus : cet art est celui de la transmission par excellence et nous mettons sans cesse l’accent sur l’importance de respecter la chaîne du secret et de comprendre que chaque magicien fait partie d’une grande communauté, avec ses droits et ses pratiques. En entrant ici, les étudiants signent une Charte du magicien qui les engage sur un certain nombre de points et nous insistons beaucoup sur tout au long de la formation sur le fait de citer ses sources, connaître ce que l’on doit à ses pairs et développer sa culture. Nous avons aussi un cours où nous faisons découvrir des archives aux étudiants, avec des vidéos les incontournables Fred Kaps, Albert Goshman, Richard Ross, Ricky Jay, Dai Vernon, Larry Jennings, etc. Les étudiants adorent et sont fascinés…
-Comment se passent les examens pour l’obtention du diplôme ?
Il a a cinq épreuves : quatre écrites (QCM ou questions/réponses) pour le module 1 et les 2, 3 et 4. L’examen final devant le jury est une mise en situation : le candidat prépare un minimum de trois tours par discipline : cartes,close-up, mentalisme, magie pour enfants, magie salon/scène). Un jury de trois magiciens en activité mais extérieurs au Double Fond demande au candidat de présenter un tour choisi au hasard dans chaque discipline. Soit un total de cinq tours sur une une heure environ.
-Après trois ans, quels sont vos retours d’expérience? Avez-vous changé des choses et combien d’élèves s’engagent-ils dans le métier ?
-Nous sommes dans une logique d’amélioration continue. Chaque semaine, le comité pédagogique se réunit pour rectifier, parfaire… Donc oui, nous avons changé beaucoup de choses, parce que nous faisons en sorte d’évoluer sans cesse. Nous nous remettons beaucoup en question : c’est dans nos habitudes au Double Fond et dans cette aventure nous avons une grande responsabilité quant à l’image de l’art de la magie et envers les étudiants qui nous font confiance en venant se former ici .Le placement de nos diplômés dans le monde du travail était très bon mais depuis la pandémie, les statistiques sont faussées…
-Comment s’inscrire et se faire financer ?
L’inscription est conditionnée à un entretien préalable mais sans aucun prérequis ni audition. La formation peut bénéficier de financements publics et, en fonction du statut du futur étudiant, nous étudions toujours les meilleures possibilités. Le Double Fond propose aussi d’autres apprentissages par le biais de cours particuliers ou d’une plateforme à distance… Et à part, notre enseignement diplômant, il y a aussi des formations courtes : 20 h, 40 h ou 80 h qu’on peut faire financer avec un C.P.F.) pour monter en compétence dans un domaine particulier, par exemple : magie pour enfants, mentalisme, etc.). Il y a aussi des formules de cours pour enfants, adolescents, etc. Et enfin, nous avons aussi une plateforme: Double Fond TV. Une sorte de netflix par abonnement et on peut accéder à déjà plus de huit cent vidéos pour apprendre ou se perfectionner, mais aussi regarder des archives de spectacles…
-Que pensez-vous de la pratique amateur , par rapport à une professionnalisation du métier ?
-Pas de fossé et s’il y en a un, c’est celui existant entre ceux qui font de la magie pour gonfler leur ego, et d’autre part, ceux qui veulent créer du lien, faire rêver, dans un état d’esprit de partage. Bref, il n’y a pas de pratique amateur qui s’opposerait à une pratique professionnelle. Elles s’enrichissent mutuellement. La professionnalisation, grâce notamment à ce diplôme, permet de porter vers le haut les valeurs du métier et lui donner une légitimité dont il manquait dans le théâtre, le cinéma, le cirque, etc.
-Que pensez-vous du brevet d’initiation BIAM mis en place en 2020 par la F.F.A.P. pour former des enseignants à la magie ?
Merveilleux : toute initiative lui permettant d’être davantage reconnue comme un art, est à louer. Plusieurs pays ont pris contact avec nous et pour envoyer leurs étudiants passer le diplôme chez nous. Mais aucun autre pays que la France n’a, du moins à notre connaissance, développé une certification reconnue par l’Etat. Nous avons ouvert une porte et espérons bien que cela encouragera d’autres pays à se lancer !
-Et l’évolution du métier ?
-Notre art s’est récemment beaucoup développé et ce n’est pas un simple effet de mode. Face au numérique et à la déshumanisation, il répond à plusieurs de nos besoins fondamentaux: rêver, s’émouvoir dans le partage, se connecter les uns aux autres et vivre ensemble un émerveillement. Il y aura donc de plus en plus de magie dans le futur !
Sébastien Bazou
Entretien réalisé le 27 novembre.
Le Double Fond, place du marché Sainte-Catherine, Paris (IV ème). T. 01 42 71 40 20.
http://www.doublefond-formation.com/ et à voir : un reportage sur l’école du Double Fond sur BFMTV.
Le diplôme de magicien: https://www.youtube.com/watch?v=XafK1zX7EgA