Somehow Myself Survived The Night, conception et chorégraphie d’Alban Richard, musique d’Arvo Prat

Somehow Myself Survived The Night, conception et chorégraphie d’Alban Richard, musique d’Arvo Prat

© Agathe Poupeney

© Agathe Poupeney

 Anthony Barreri, Nicolas Chaigneau, Yannick Hugron, Adrien Martins et Alban Richard, tous en noir, sortent les uns après les autres, s’immobilisent et pivotent, face au public disposé en demi-lune comme l’avait demandé Isabelle Danto, programmatrice de l’opération Danse dans les Nymphéas. Ils gagnent le cœur de la clairière. Derrière eux, l’immense tableau de Claude Monet avec ses tons vifs et ses modulations. Une atmosphère bleuissante enveloppe les corps. Pour Laurence Louppe, critique et historienne de la danse contemporaine qui s’est envolée il y a juste dix ans, l’acte de danser relève d’une décision et précède tout élan. Il n’existe pas de danses tristes et la décision, un pré-mouvement, est le noyau de l’être chez  l’interprète. Il existe avant la technique et les choix artistiques et  se situe toujours dans ce qui n’a pas encore été dansé.

Silouan Songs (1991) la musique d’Arvo Part a été déconstruite par un logiciel. Alban Richard ne sépare pas musique et danse mais les entremêle dans une sorte d’étreinte… Merce Cunningham et  John Cage affirmaient l’autonomie de la musique comme celle de la danse. Mais Alban Richard les  rapproche et chez lui, un instant musical interrompt un instant dansé. Des postures se suspendent, vibrent. De quel temps, viennent ces figures, ces pauses, ces corps repliés ou ces bras ouverts, ces têtes qui se courbent, ces torsions ? Les danseurs sont saisis par le temps pur qui;  comme s’il était de passage, il les incarne. Un tempo épidermique. Les tableaux de la Renaissance, de Lippi au Caravage, offrent nombre de postures. «La civilisation médiévale, dit Jacques Le Goff, a parfois été appelée «civilisation du geste ».
Que deviennent ces êtres de couleurs?  Un écrivain de cette époque opéra le transfert du temps pictural, au temps littéraire:  Dante, avec La Divine comédie, offre la plus belle collection de postures, redoublées par les images de Botticelli. Ces bras ouverts, contorsions, visages dans les paumes de mains constituent une réserve de gestes pour la danse. Ici, les cinq interprètes sur un rythme vif,  évoluent sur place. Ce qui leur permet de se situer sur certaines longueurs d’ondes. Le temps pur ignore les dates, les mois, les années.  « Si l’on ne pouvait, écrit Emily Dickinson, observer rien de plus important qu’un Monde Sortant de ses Gonds. » Le titre de cette pièce est justement le premier vers d’un de ses poèmes : «Je ne sais comment j’ai survécu à la Nuit Et je suis entrée avec le jour – Il suffit aux Sauvés d’être sauvés. »

Mourir dans la vie, vivre dans la mort conduit au temps pur, à celui qui sort de ses gonds. Alban Richard montre ici une pièce faite de syncopes, d’interruptions. Où passe-t-on pour créer ? Par des comas partiels qui changent le niveau de la pensée et qui la retournent. Il n’y a rien de psychologique. Ici, deux instants se superposent: le chorégraphique et le musical mais qui ne peuvent coïncider:  leurs moyens diffèrent et un hiatus subsiste. Ce petit écart rend possible un chevauchement entre les instants. Paul Cézanne appelle, modulation, cette pratique. Alban Richard superposa instant chorégraphique et musical, et instant plastique dans ce Somehow Myself Survived The Night, qui avait été dansée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2014 , en rapport avec les merveilleuses sculptures en lambeaux de David Altmejd. Les trous dans les figures révélant des cavités de cristal et diffractant les durées. Si unité des arts, il y a, elle doit se construire et chaque art invente des rapports aux autres et ils naissent par affects (voir L’Ethique de Spinoza). Ils associent les forces de plusieurs corps, changent leur composition de vitesse et de lenteur….

Bernard Rémy

Cette pièce a été dansée au musée de l’Orangerie, à Paris, le 24 janvier dans le cadre de Danse dans les Nymphéas. Elle le sera prochainement à Kaumas (Lituanie), nommée capitale européenne de la Culture.
Le prochain rendez-vous : Boléro 2 et Etrangler le temps de Boris Charmatz, Emanuelle Huynn a eu lieu aujourd’hui  31 janvier.
Aymn moi de François Chaignaud, le 21 février.


Archive pour janvier, 2022

Adieu Madeleine Laïk

Adieu Madeleine Laïk

© Théâtre Ouvert Archives

© Théâtre Ouvert Archives

Née en 1944 à Oran, qu’elle avait quittée durant la guerre d’Algérie, elle en avait de cette ville gardé l’accent et elle en était nostalgique. Docteur en psychologie et sociologie, elle s’engage avec fougue dans le mouvement féministe et va alors se consacrer à l’écriture. Fille ou garçon aux éditions Denoël posait déjà, en 1977, la question du genre. Dans La Peur qu’on a (1979)  elle approfondit son enquête.

Elle créé en 1980 Les Téléfériques, un collectif de dix femmes qui organise des ateliers d’écriture pour adolescents, surtout en milieu défavorisé. A partir de cette expérience, elle écrit puis réalise en 1983, un long métrage Un Homme à l’endroit, un homme à l’envers.

Transat, sa première pièce, éditée par Théâtre Ouvert et traduite en plusieurs langues, a été mise en scène par Michèle Marquais. Suivront Double commande et Les Voyageurs. Des œuvres comme Les Voyageurs et Didi Bonhomme sont présentées au Salon des auteurs de Poitiers en 1986 et 1987. Joyeux anniversaire et Extérieur vie ont été montés en 1993 à La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Le Fada a été diffusé à France Culture dans le cadre du nouveau répertoire dramatique contemporain. En 1998, les Editions Théâtrales publient La Nuit blanche. Et Alors j’ai crié sera mise en scène par Marie-Do Fréval en 2003 et l’année suivante, La Lettre recommandée sera lue à la Maison du off au festival d’Avignon.

Parallèlement à son travail d’écrivain, Madeleine Laïk lance en 1995 des «commandos d’écriture» qui dans un esprit d’agit-prop, réunissent auteurs, comédiens, metteurs en scène et donnent lieu à des manifestations au Théâtre de la Tempête, au Centre national du Théâtre, à la Maison des Ecrivains, au Dix-Huit Théâtre, au Lavoir moderne Parisien… Une belle aventure collective. Toute sa vie, elle restera engagée auprès des plus fragiles, partageant avec nombre d’adolescents, sa rage d’écrire et traduisant leur aspiration à une plus grande justice sociale et à une réelle égalité entre hommes et femmes.
Une œuvre à redécouvrir…

Mireille Davidovici

Cérémonie d’adieu le jeudi 3 février à 13 heures, au crématorium du cimetière du Père Lachaise, Paris (XX ème).

Hommage à Madeleine Laïk

 J’ai failli intituler ce papier sur Madeleine : Laïk on the Beach. D’abord parce que Madeleine adorait les titres : Un homme à l’endroit-un homme à l’envers, Double Commande, Le Permis de démolir, Toute ressemblance, Extérieur Vie, La peur qu’on a… ensuite parce que Madeleine adorait la plage, la liberté et la sensualité de la plage, la salubrité de la mer, l’éblouissement du soleil… la sensation du vent dans ses cheveux, le plaisir de porter des lunettes de soleil, de marcher pieds nus, de s’attabler à une terrasse, de mettre son rouge à lèvres et d’attendre son verre de rosé, en fumant une cigarette blonde négligemment glissée dans le fourreau d’un fume-cigarette en bakélite.

Laïk on the beach… Non pas que l’univers théâtral de Madeleine ait grand-chose à voir avec celui de Bob Wilson* dont elle aimait prononcer le nom. Comme tous ces noms américains qu’elle trouvait infiniment sexy à prononcer: Kim Bassinger, Faye Dunaway, Warren Beatty, Marlon Brando, John Cassavetes, Gena Rowlands… mais parce qu’elle partageait avec Bob Wilson un sens profond de l’ellipse et le culte de l’espace-temps: les personnages dans le théâtre de Madeleine ont toujours eu une relation particulière à l’espace-temps,  une conscience aigüe de la relativité de l’existence. «Changer de statut et s’emporter avec soi au moment où l’on part, interrompre une cigarette au milieu, en commencer une autre pour ne pas se quitter tout de suite, dérouler le film de ses gestes futurs, se confondre avec les gens d’en face… disparaître pour mieux se retrouver.»

Dans le continuum dramatique de Madeleine, l’irréfutabilité de la présence et l’écoulement inexorable du temps se dissolvent dans le paroxysme d’un état où la réalité se colore d’une familière étrangeté. La pluie, un pigeon, l’Obélisque de la Concorde s’imposent alors dans toute leur soudaineté. Détourés de l’espace, les choses et les êtres se dispersent en autant de formes incongrues contenant en elles-mêmes la virtualité de leur absence. Le trop-plein et le trop-vide alternent ainsi dans une sorte d’ «aberration logique» où l’intuition d’un  huitième jour de la semaine : Troudi, crève -à la façon d’un trou noir dans l’espace- la membrane fragile de la signifiance.

 Si Troudi n’apparaît explicitement que dans Les Voyageurs, la figure de Troudi jalonne en revanche tout le théâtre de Madeleine. Ce sont les pulsions de Sophie qui, dans Transat, ne résiste plus à tout «balancer» par la fenêtre, y compris sa propre vie. Ce sont les « flips », les «  trous », les «pannes», les «passages à vide» de Tommy, toujours dans Transat. C’est, dans Double Commande, la « prise de la chambre par les pigeons où l’occupation du lit se déroule dans le plus grand silence.» Ce sont, dans La Passerelle, les passages du Visiteur après lesquels « Sam se sent toujours un peu mou, comme désossé, avec des gestes au ralenti.» Ce sont enfin les monologues de l’Artiste dans Les Voyageurs, le temps d’un trajet dans le bus 68, quelque part entre la Place Blanche et le cimetière de Montrouge: «Je préfère être seul pour voyager en commun. D’ailleurs, le plus souvent je préfère être seul… les témoins, les vrais témoins sont toujours des hommes ou des femmes seuls… des SEULS…»

 Dominique Proust

* Cf Einstein on the Beach, le célèbre opéra de Philip Glass et Robert Wilson, créé en 1975 au Festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog).

 

 

Ciel, mon mari, d’après Georges Feydeau, adaptation d’Emmanuelle Hamet, mise en scène de Luq Hamett

Ciel, mon mari, d’après Georges Feydeau, adaptation d’Emmanuelle Hamet, mise en scène de Luq Hamett

Acteur, metteur en scène et directeur du Théâtre Edgar depuis 2014, Luq Hamett a repris en l’actualisant parfois Le Mariage de Barillon, une pièce peu connue de Georges Feydeau créée en 90 juste avant ses premiers succès en 92 avec Monsieur Chasse, Le Système Ribadier, puis en 94 des œuvres qui lui apporteront la consécration : Un Fil à la patte, L’Hôtel du Libre-Echange et deux ans plus tard, Le Dindon.
Mais à vingt-huit ans, ce franco-polonais sait déjà jouer comme personne avec le langage et inventer les situations les plus délirantes pour ce vaudeville aux huit comédiens et trois comédiennes. Ecrite en collaboration avec Maurice Desvallière, cette histoire rocambolesque d’une cérémonie de mariage qui tourne mal est de la patte d’un grand dramaturge .

Pour faire vite -c’est toujours compliqué chez Feydeau- cela se passe d’abord à la mairie où un gros et riche bonhomme, la quarantaine et amoureux fou, va épouser Virginie, une jeune fille adorable. Elle aime déjà Surcouf un jeune et beau vétérinaire mais bizarrement elle dira oui à monsieur le maire. Mais à cause d’un formulaire administratif truffé d’erreurs par un employé de mairie qui lève trop souvent le coude, le gros monsieur épouse en fait sa future belle-mère, la redoutable et agressive Madame Jambart. Et ce qui est signé est juridiquement valable….Mais Jambart, le premier mari de celle-ci, un pêcheur de morue, disparu en mer au lendemain de ses noces, revient tout d’un coup accompagné d’un phoque… Cette irruption d’un beau et solide gaillard va encore compliquer la situation et la simplifier en même temps. Et bien entendu la belle  Virginie pourra ainsi épouser son beau vétérinaire. Avec quiproquos et malentendus permanents, nous sommes bien chez Feydeau ; inutile de chercher une quelconque vraisemblance sinon cette histoire loufoque ne fonctionnerait pas une seconde. Jurons, mots inventés ou utilisés à contre-sens, jeux de mots. Brigot J’y suis bien, moi ! et je ne suis que témoin. J’ai quitté mon hôpital pour lui. Topeau. Vous étiez à l’hôpital ? Brigot. Oui, un hôpital pour animaux. Flamèche. Ça ne m’étonne pas ! Brigot: soulevant son chapeau. Je suis vétérinaire, à Troyes! Flamèche C’est vous qui soignez le cheval ? Brigot. Quel cheval ? Flamèche. Le cheval de Troie. » Ou encore cette discussion surréaliste avec madame Jambart. » Mon second mari aussi, d’ailleurs ! ce brave Jambart ! je l’ai rendu bien heureux. J’ai rendu tous mes maris heureux ! Barillon. Eh ! bien, oui ! Tant mieux pour eux ! Madame Jambart. Elle sera comme moi, elle rendra tous ses maris heureux. N’est-ce pas, fillette ? Barillon faisant une tête. Hein !Virginie.Je tâcherai, maman ! Barillon. Eh ! bien, vous êtes gaie, vous ! Tous ses maris !

Et Georges Feydeau affuble ses personnages de noms de famille curieux comme ici Flamèche, Barillon, Jambart, Surcouf,Virginie Pornichet, rappelant le Bouzin du Fil à la patte le Van Putzeboum d’Occupe-toi d’Amélie ou encore les Chouilloux et Follavoine d’On purge bébé… Précédant les fameux Fartov et Belcher imaginés par Samuel Beckett dans En attendant Godot.. Feydeau est passé maître dans ce dérèglement radical du langage.

© Fabienne Rappeneau.

© Fabienne Rappeneau.

Sur la très peu profonde petite scène, d’abord une sorte de tribune d’où le maire prononcera le mariage et sur un guéridon, un petit buste qui a des airs de Marianne? Puis un décor d’appartement avec trois portes qui claquent (un peu trop souvent) dans la bonne tradition du boulevard. Et dans costumes assez laids. Ici seulement sept acteurs : Gwénola de Luze, Luq Hamett, David Martin, Jean-Marie Lhomme, Stephan Ronchewski, Emmanuel Vielly et Rosalie Hamet interprètent avec bonne volonté et une excellente diction -par les temps qui courent, c’est déjà cela de pris- ces personnages loufoques, empêtrés dans des situations inextricables mais qui sont loin d’être des imbéciles caricaturaux comme Luq Hamett semble l’avoir imaginé… La circulation se fait difficilement sur cette scène aussi étroite et la direction d’acteurs est assez floue: les acteurs  criaillent trop souvent et il n’y a pas guère d’unité de jeu. Manque en fait une vérité composée de petites vérités, aussi bien gestuelles qu’orales. Mention spéciale toutefois à Rosalie Hamet dans le petit rôle de la jeune fille, la seule qui soit vraiment crédible dans un ensemble assez lourd. Et cela fonctionne quand même? Oui, quand même parfois mais jamais très bien. Une partie du public rit et l’autre pas… ce qui n’est jamais bon signe. Ici, mieux vaut donc ne pas être trop difficile. Désolé, si  vous êtes un peu exigeant, vous trouverez que cela manque d’envergure, sonne souvent faux et fait un peu vieux théâtre. Bref, le compte n’y est pas vraiment… Georges Feydeau mérite sans aucun doute, bien mieux que cette adaptation approximative et un poil longuette.

 Philippe du Vignal  

Théâtre d’Edgar , 58 boulevard Edgar Quinet, Paris ( XIV ème). T. : 01 42 79 97 97

 

Nous y voilà, mise en scène de Philippe Torreton

Nous y voilà, mise en scène de Philippe Torreton

© Stéphane Dabroski

© Stéphane Dabroski

Avec Richard Kolinka, le batteur du groupe Téléphone et Aristide Rosier aux claviers, le grand comédien a voulu créer un spectacle entre poésie et musique... Il l’avait élaboré avec son voisin Richard pendant le confinement, à Fontenay-sous-bois et ils en ont offert la première mouture aux agents municipaux de leur ville pour les remercier de tout leur travail pendant cette période difficile. Ici, on change de public et à la Comédie des Champs-Elysées, Philippe Torreton dit des poèmes qui vont de Clément Marot, Ronsard (le fameux Contre les bûcherons de la forest de Gastine : Escoute, Bucheron arreste un peu le bras/Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas,/Ne vois-tu pas le sang lequel dégoute à force/Des Nymphes qui vivoyent dessous la dure escorce?,  à George Sand, Charles Baudelaire ou Arthur Rimbaud… Et un extrait de La Troisième Révolution, un magnifique texte-réquisitoire de Fred Vargas: « Nous y voilà, nous y sommes, dans le mur, au bord du gouffre… Nous avons chanté, dansé, quand je dis nous, entendons un quart de l’humanité tandis que le reste était à la peine… Nous avons jeté nos pesticides à l’eau… Nous avons mangé des fraises du bout du monde… Nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche….nous avons acidifié la pluie ».« Franchement, on peut dire qu’on s’est bien amusé… On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise… Faire péter l’atome… Franchement, on s’est bien marré… Il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre. »
Mais aussi devant un pupitre, il dit cette fois sans micro, des écrits de Sitting Bull, un chef Sioux de la tribu des Lakotas, mort en 1890 dans la réserve de Standing Rock, Dakota. Dénominateur commun : une évocation des rapports difficiles de l’homme avec la Nature.  Philippe Torreton tire la sonnette d’alarme et dire à l’humanité toute entière d’arrêter ces dépenses d’énergie inutiles si elle ne veut pas courir à sa fin.

Sur un plateau encombré par tous les instruments de musique, une belle performance de cet acteur généreux qui lit ces textes avec foi et générosité. Mais la balance était encore bien mal réglée et nous entendions souvent mieux, la musique- très forte- que les mots. Dommage, surtout quand il s’agit de poèmes aussi forts, bien choisis au demeurant par Philippe Torreton. Mais on est en droit de se poser la question : la poésie a-t-elle besoin de cette puissante sonorisation de la voix et de ces batteries et claviers, pour donner l’ampleur nécessaire au spectacle? La réponse est : non, et nous aurions préféré entendre ce magnifique acteur dire ces poèmes sans micro, avec peut-être quelques discrètes musiques. En tout cas, dans une mise en scène plus sobre : sans images vidéo en fond de scène et -manie actuelle- sans inutiles nappes de fumigène. A vous de voir, d’autant que les places ne sont pas données…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 10 avril,Comédie des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne, Paris (VIII ème). T. : 01.53.23.99.19

 

 

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Adieu René de Obaldia

Adieu René de Obaldia

 

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Un auteur récemment disparu à cent trois ans dont les pièces avaient été beaucoup jouées dans les années cinquante-soixante, notamment Génousie que nous avions vue montée autrefois par Jean Vilar au T. N.P. Et surtout en 64 une remarquable et très drôle parodie de western Du Vent dans les branches de sassaffras, mise en scène de René Dupuy avec le grand Michel Simon qui jouait superbement John-Emery Rockefeller (soixante-dix ans), un vieux cow-boy dur à cuire. Françoise Seigner, y jouait sa femme Caroline d’une cinquantaine d’années? Une pièce qu’avait remontée Bernard Murat il y cinq ans au Théâtre Edouard VII pour quelques représentations, avec François Berléand dans ce même rôle.
La même année 64, Marcel Maréchal jouait Casimir dans  L’Azote où l’auteur en un acte, s’en prend aux clichés de la masculinité et de la féminité avec deux personnages : Justine une jeune femme aux airs évaporés, et Casimir un soldat bourru.
Le Défunt
avait été rejouée en 2018. Deux femmes  évoquent Victor: Julie, sa veuve et madame de Crampon,  sa maîtresse découvrent que leur grand amour était en fait un prédateur sexuel…

© Nektarios Georgios Constantindinis

© Nektarios Georgios Konstantindinis

Mais les jeunes ou moins jeunes metteurs en scène ont oublié ce théâtre, dont les dialogues sont encore parfois en phase avec l’actualité. René de Obaldia  était aussi connu et joué aussi à l’étranger. Notre correspondant grec Nektarios-Georgios Konstantidinis l’adorait: «On se parlait souvent au téléphone, dit-il, il était très aimable! J’ai traduit en grec L’Azote et Le Défunt. Ces pièces publiées aux éditions Evmaros, n’ont pourtant jamais été monté en Grèce. Peut-être un jour… »

Témoignage émouvant, ci-contre cette lettre écrite à Nektarios par l’auteur qui avait alors cent ans…. et qu’il nous a envoyée. Grand merci à lui.

 

Philippe du Vignal

 

Plouk(s) création librement inspirée du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l’histoire de Salah Oudjane, mise en scène de Louis Berthélémy

Plouk(s) création librement inspirée du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l’histoire de Salah Oudjane, mise en scène de  Louis Berthélémy

Ian Monk dans ses courtes poésies retrace la vie quotidienne pas spécialement exaltante des habitants de la périphérie lilloise. cela se passe dans un pauvre bistrot tenu par Salah Oujdane, un vieil émigré kabyle que tous fréquentent depuis longtemps. Ils aiment beaucoup cet homme qu’ils ont toujours connu et qui a réellement existé. Dans ce bistrot où on boit (trop) des bières pression, des cocas « allongés» et des whisky, on parle beaucoup aux autres et à soi-même, et on écoute pour seule musique, celle qui sort d’un juke-box.

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© Ch. Raynaud de Lage

Mais, comme tout le quartier, ce café est lui aussi menacé, puisque des promoteurs veulent le racheter mais Salah tient bon et ne veut pas lâcher, avec l’appui de toute sa clientèle. Bref, une sorte de Cerisaie du pauvre. Et ils viennent tous avec leurs bribes de vie, leur histoire faite de joies et de peines. Il y a là, entre autres, un grand maigre qui vient aider Salah maintenant âgé à ouvrir et fermer le bar, une jeune femme très bavarde, une autre qui vient de Paris voir où ses grands-parents ont vécu et travaillé, un grand escogriffe sympathique en instance de divorce qui remâche son histoire d’amour et qui fait tout pour continuer à voir sa petite fille, malgré un emploi de cuisinier très prenant… Une autre jeune femme qui a des relations difficiles avec son amoureux. Et ici, comme dans un village, chacun connaît les espoirs et les regrets des autres. Le passé a rendez-vous avec le présent mais quant à l’avenir, plus qu’incertain, personne n’ose trop en parler…  Cela ne les empêche pas de rire et parfois de danser. Ces habitants d’un quartier populaire ont subi ou vont subir de plein fouet les conséquences d’un projet de réhabilitation d’un périmètre où les usines notamment textiles qui employaient par centaines Français, Polonais, Algériens…

C. Photos d'archives Hubert Van Malle

Le vrai Salah Oujdane  © Photos d’archives Hubert Van Malle

C’était les Trente Glorieuses et le plein emploi. Mais depuis nombre d’industries ont été délocalisées et les usines ont fermé, les maisons individuelles ont disparu, rachetées à bon prix par les promoteurs. Et tout un cadre de vie disparaît. Avec la bénédiction de la Région et de l’Etat dont l’énarchie n’a jamais brillé par sa générosité.. Dernier rempart contre le capitalisme immobilier, reste le café de Salah. Né en Kabylie, en 1929, il débarquera à Marseille dans un bateau de marchandises, puis arrivera à Roubaix. Comme il l’avoue, il vit de contrebande de tabac et café avec la Belgique puis il trouve facilement du travail dans une usine .Et il réussit ensuite à acheter à crédit en 65 ce Bon Coin après avoir épousé Ginette et fait venir un juke-box des Etats-Unis qui a une succès immédiat. Et son café ne désemplit pas…
Quand ce territoire commencera à intéresser les promoteurs, il en refusera obstinément les offres. Il voulait céder son seul bien à son fils. Ce qu’il raconte déterminé mais d’un air las. Après bien des luttes, la société en charge de l’aménagement du secteur, sera mise en demeure de conserver ce vieux bistrot. Tout un symbole. David pour une fois aura triomphé de Goliath… Sur le plateau, un café d’autrefois avec quelques pauvres appliques,  un sol aux carreaux en plastique rouge et noir, des murs délabrés, un bar avec machine à café et pompe à bière. Sur des étagères, quelques bouteilles d’apéritif et whisky. Et contre un mur,  le fameux juke-box, quelques tables et chaises en bois, un puzzle de quelque 5.000 pièces entièrement reconstitué.
Cette première mise en scène a des qualités évidentes, d’abord une remarquable direction d’acteurs et un bon rythme. Ici, pas de vidéo ni micro HF Ouf! pour une fois ! Les personnages créés par
Mael Besnard, Ahmed Hammadi-Chassin, Kenza Lagnaoui, Louise Legendre, Emma Meunier, Neil Adam Mohammedi, Edouard Penaud sont tous crédibles. Ces jeunes acteurs ont tous une bonne diction, ce qui devient exceptionnel (voir le compte-rendu dans Le Théâtre du Blog du Tartuffe mise en scène d’Yves Beaunesne!). Même le personnage de Salah joué -mission impossible- par un jeune comédien, finit par être convaincant. Mention spéciale à celui qui joue le père divorcé. Côté bémols: ce théâtre semi-documentaire est beaucoup trop long et il faudrait offrir une paire de ciseaux à Louis Berthélémy. Bon, cela n’est jamais facile une fois qu’un spectacle a été monté mais il faut faire vite. En effet, passées les soixante-dix minutes, il y a trop de scènes qui se répètent ou inutiles, des fausse fins et, dramaturgiquement, cela ne se justifie en rien. Mais bon, il faudra suivre ce jeune metteur en scène, ancien élève du Conservatoire National  qui
a participé à l’Ecole Nomade d’Ariane Mnouchkine. Elle a bien eu raison de l’inviter avec sa compagnie dans une salle du Théâtre du Soleil…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 13 février, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Métro : Château de Vincennes et ensuite navette gratuite.
T. : 07 66 19 36 35 ou resaplouks@gmail.com

 

Première Neige de Guy de Maupassant, adaptation et mise en scène de Pier Porcheron

Première Neige de Guy de Maupassant, adaptation et mise en scène de Pier Porcheron

PremiereNeige3

@Veronique Beland

Cette adaptation fait entendre des extraits de la nouvelle, dans la langue de Guy de Maupassant, intégrés dans une auto-fiction: un couple s’enferme un hiver dans une maison, après un événement traumatisant et décide de monter une pièce radiophonique ou , plus exactement, un «roman radiophonique» à partir de leur histoire personnelle. Maupassant, lui, raconte la vie d’une femme qui vient mourir au soleil méditerranéen, pour fuir un mariage triste dans un château glacial en Normandie ,où tombent la pluie et la neige. Une histoire qui s’entrecroise avec cette auto-fiction, au point qu’on ne les distingue plus l’une de l’autre. Ce couple enfermé met en scène Première Neige et l’épouse va aller à Paris enterrer ses parents morts dans un incendie…

Pour ce «roman radiophonique», pas de magnétophone, amplificateurs ni consoles de studio. Dans ce théâtre d’objets, les fonctions dramatiques sont à la fois iconiques et sonores, avec des objets qui jouent : tableaux, modèles réduits de meubles, poupées, photos, peluches… Mais aussi des objets du quotidien utilisés  pour  le bruitage. Une boite Maïzena simule le crissement de pas dans le neige, le bruit amplifié d’un coussin de crin nous permet de «voir» l’héroïne marcher sur le sable, des chiffons disent l’apparition d’oiseaux, du papier déchiré imite le crépitement du feu dans la cheminée… Une chignole et d’autres ustensiles suspendus autour de la table de jeu, approchés des micros, composent tout l’univers sonore. Nous pouvons à la fois écouter le texte, voir la manipulation les objets et assister à l’art du bruiteur.

 La compagnie Elvis Alatac, installée à Poitiers depuis 2012, présente ici la version longue (soixante-cinq minutes) de cette Première Neige. Nous en avions vu, en 2020, une format court de quinze minutes avec le même texte de Guy de Maupassant. Mais c’était une véritable émission radiophonique dans un  studio en cabine vitrée, avec publicités, blagues et jeux stupides (voir Le Théâtre du Blog ).
Reste de ce format court, l’utilisation du son amplifié: composante essentielle. Il n’y a pas de marionnettes mais les deux comédiens, tout en produisant des images avec des objets, créent, au micro,  la bande-son 
à vue.

Auprès Marion Rebat, sa partenaire de jeu, Pier Porcheron, metteur en scène mais aussi acteur, ne se prive pas de moduler, hululer, bruiter, siffler et accentuer, colorant ainsi le texte sans aucun effet  électronique. Cet habillage sonore artisanal ouvre une autre dimension supplémentaire à ce théâtre d’objets qui développe plusieurs techniques : mini théâtre d’ombre, mini-écran où sont projetées à partir d’une mini-caméra mobile, des images et des photos du Paris au XIX ème siècle. Pier Porcheron et Marion Rebat nous montrent que, bien dompté, le son crée l’image. Enfin, on l’aura compris, nous sommes ici loin de l’explication de texte scolaire.

Première Neige a été créé en 2017 et depuis, s’est joué une centaine de fois, diffusé dans ses deux versions…

 Jean-Louis Verdier

 Jusqu’au 3 février, Théâtre Mouffetard, 73, rue Mouffetard, Paris (Vème) T. : 01 84 79 44 44.

Le 18 février, Espace des Pierres Blanches, Saint-Jean-de-Boiseau (Loire-Atlantique); le 25 février,Théâtre des Bains Douches, Elbeuf-sur-Seine (Seine-Maritime).

Texte intégral de Première Neige: http://maupassant.free.fr/textes/neige.html

 

 

Le Tartuffe ou L’Imposteur de Molière, mise en scène d’Yves Beaunesne

Le Tartuffe ou L’Imposteur de Molière, mise en scène d’Yves Beaunesne

 Et encore un Tartuffe!  Décidément, la célèbre pièce n’a pas beaucoup de chance avec les mises en scène de Macha Makeieff puis d’Ivo van Hove (voir Le Théâtre du Blog).  Elle vient aussi d’être créée au Théâtre de Liège ce mois-ci. «Comme dans Parasite de Bong Joon-ho, dit Yves Beaunesne, c’est une satire sociale où l’on se demande qui, des riches ou des pauvres, est le parasite de l’autre… Tartuffe essaye de résister au mal, sans se prendre pour autant pour une incarnation du bien. (…) J’ai désiré retrouver une situation où, à l’image d’avant 68, la France vit des années dites de «reconstruction», des années où une certaine liberté gagne la jeunesse, où le besoin de vivre est ardent, une période où, après les horreurs et les privations, souffle un vent de liberté et un besoin de dévorer la vie. » Pas très convaincant….

Sur le plateau « nu »du Théâtre Montensier, sans pendrillons, une scénographie signée Damien Caille-Perret. Une grande table nappée de blanc avec théière et tasses, un grand pot en terre cuite où Orgon mettra un bouquet de fleurs. Cette table se révélera être ensuite un billard, quelques tables rondes avec lampes de chevet, un grand canapé en cuir Chesterfield, des chaises de cuisine en formica et, dans le fond, un synthé avec quelques bancs… Accrochés au-dessus du plateau, côté jardin, un grand miroir, un en tôle, trois lustres en cristal et deux autres suspendus devant le manteau d’Arlequin. Tout ce bric-à-brac n’a rien de signifiant et tient plus d’une brocante sur un plateau de théâtre nu, que d’une maison bourgeoise. Et on ne voit pas,à moins de lire la note d’intention d’Yves Beaunesne, que «Cela se passe dans les Trente Glorieuses, dit-il, avec des Orgon qui sont les représentants d’un milieu où l’argent coule à flot… J’essaye donc de tisser un parallèle historique fécond, en rapprochant les années 1960 avec le XVIIe siècle.»

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Bref, c’est mal parti… Et il a des erreurs flagrantes dans cette scénographie et dans cette mise en scène : sur un plateau très encombré, la circulation des acteurs se fait mal. Et comme il est nu de tout rideau (un des stéréotypes du théâtre contemporain), les voix se perdent dans les cintres. Nicolas Avinée, Noémie Gantier, Jean-Michel Balthazar, Johanna Bonnet, Léonard Berthet-Rivière, Victoria Lewuillon, Benjamin Gazzeri-Guillet, Maria-Leena Junker, Maximin Marchand, Vincent Minne, Antoni Sykopoulos font le boulot mais ne sont pas crédibles: peu ou mal dirigés sauf Elmire et Tartuffe à quelques moments… Malgré une médiocre sonorisation qui, ce soir-là,  avait des défaillances, on les entend et surtout on les comprend surtout très mal. Pas de mystère… Rappelons à Yves Beaunesne que les alexandrins ont été écrits par Molière pour être dits comme des alexandrins, donc avec six pieds et pas quatre ou quatre et demi... Une diction est une technique INDISPENSABLE au jeu de l’acteur. Comme le disait à ses élèves, Stella Adler (1901-1992) la prof de tous les grands acteurs du cinéma américain: «Vous devez améliorer vos qualités vocales. Cela passe pour la télévision mais c’est trop juste pour le théâtre. (…) Je veux que vous réfléchissez à votre façon de parler. Lorsque vous vous tenez sur scène, vous devez avoir l’impression de vous adresser au monde entier. « (…) Vous ne pouvez pas parler sur scène comme vous parlez dans la vie, cela ne fonctionne pas. » Et le grand acteur polonais Andrej Seweryn avait demandé à une candidate au concours de l’École de Chaillot : «Allez au fond de la salle, montez sur une chaise, dites votre texte simplement mais en vous adressant à huit cent personnes. Je me suis fait bien comprendre? »

Quant à la mise en scène, Yves Beaunesne dans sa note d’intention dit des choses intéressantes,  entre autres sur la période dite des Trente Glorieuses. Mais le parallèle ne ne fonctionne pas comme il le croit un peu naïvement et nous n’en retrouvons rien ici. Que viennent faire ces chœurs religieux de Camille Rocailleux : Ave Verum, O Salutaris, Gospel et le Stabat Mater chantés par les acteurs assis sur des bancs en fond de scène et accompagnés au synthé ? Pour dire l’importance du catholicisme sous Louis XIV? Pourquoi Tartuffe hurle-t-il au micro Precious Lord, une chanson rock du même pianiste et compositeur? Au moins, cela distrait et pendant quelques courtes minutes, nous n’entendons pas ces pauvres alexandrins esquintés comme jamais… Pourquoi, à la toute fin, Tartuffe est-il aussi longuement bousculé et frappé par toute la famille? Pourquoi faire jouer, souvent dans la pénombre, les acteurs dans des costumes aussi laids qu’approximatifs? Et en fond de scène et souvent de dos ou de trois quarts, ce qui n’arrange rien. Des erreurs et approximations que même un metteur en scène débutant ne commettrait pas. Ce qu’Yves Beaunesne n’est en rien. Vraiment un tel travail reste incompréhensible à la fois dans sa dramaturgie et sa médiocre direction d’acteurs.


Allez du Vignal, un petit effort, il y a bien quelque chose à sauver de ce naufrage? Oui, quand même:  la seconde -et célèbre- scène entre Elmire et Tartuffe. Elle quitte pantalon et chemisier et vite fait,  s’habille en grande robe noire, puis chaussée d’escarpins rouge vif, se laisse -presque- séduire, allongée sur le billard par un jeune Tartuffe jeune qui reste méfiant. Elle l’embrasse fougueusement en silence et lui enlève sa chemise. Là enfin, Nicolas Avinée et Noémie Gantier sont un Tartuffe et une Elmire qui commencent  à exister pendant quelques minutes. Et il y a alors un léger frémissement comme si la pièce commençait à exister… Mais pour le reste, les habitants de Versailles et ceux des villes où le spectacle ira en tournée, méritent mieux que cela.

«Laissons au verbe toute latitude, dit le metteur en scène, pour s’inventer tout seul dans l’esprit et le cœur du spectateur, plus affamé qu’on ne veut nous le faire croire. » Soit ! Encore faudrait-il qu’il ne nous serve pas ce texte formidable en bouillie. Nous sommes en colère et nous le disons : il y a des limites! Encore une fois, le minimum syndical en Belgique comme en France, est de dire correctement la langue de Molière. Tartuffe comme Dom Juan ou L’Avare font partie d’un trésor national vivant exceptionnel. Ces pièces écrites dans une langue formidable, restent compréhensibles plus de quatre siècles après leur création! Alors pourquoi infliger ce traitement à Tartuffe où «la clarté de la narration» que revendique Yves Beaunesne, n’apparait jamais.  Et quant à  « l’authenticité et un Tartuffe résistant, avec une parole fondamentalement humaniste », désolé mais ce n’est pas avec ce genre de pirouettes dramaturgiques qu’on séduit un public… Et nous nous sommes ennuyés. Soyons honnêtes: les acteurs, nous a-t-on signalé, ont choppé le micron et des représentations ont été annulées, ce qui  peut expliquer en partie du moins, leur manque de dynamisme. Mais quand le metteur en scène veut nous montrer le parallèle entre la gloire du Roi Soleil et les Trente Glorieuses… encore une fois, il faudra repasser.

Une lueur d’espoir? Le spectacle gagnerait sans aucun doute déjà beaucoup si Yves Beaunesne revoyait la scénographie en plus sobre,  s’il faisait concevoir de vrais éclairages et surtout s’il voulait bien dispenser de micro ses acteurs et les diriger vraiment pour les rendre crédibles et incarner leur personnage. Il y a encore du boulot mais, comme le disait déjà Guillaume d’Orange: «Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » En attendant, vous aurez sans doute compris qu’il vaut mieux vous abstenir d’y aller et surtout, vous les profs de français et/ou de théâtre, n’y emmenez pas vos élèves: ce serait à jamais les dégoûter des pièces classiques, voire même contemporaines… 

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 6 février, Théâtre Montansier, Versailles (Yvelines).

Centre des Bords de Marne, Le Perreux (Val-de-Marne) le 10 février. L’Azimut à Châtenay-Malabry (Hauts-de Seine), les 16 et 17 février.

Scène Nationale d’Albi (Tarn), les 7 et 8 mars. Théâtre Alexandre Dumas, Saint-Germain-en-Laye, (Yvelines), 18 mars. Théâtre la Colonne à Miramas (Bouches-du- Rhône)), le 22 mars.  L’Olympia, Arcachon (Gironde) le 29 mars.

Théâtre de Suresnes-Jean Vilar, le 1er avril. Théâtre Jean Arp, Clamart (Hauts-de-Seine), le 2 avril.

Scène nationale du Grand Narbonne (Hérault) le 5 avril. Théâtre Molière Sète-Scène Nationale Archipel de Thau, ( Hérault) les 7 et 8 avril. Théâtre de Nîmes (Gard) du 12 au 14 avril. Théâtre de la ville de Luxembourg du 20 au 22 avril.

Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence ( Bouches-du-Rhône) du 3 au 7 mai. Équinoxe-Scène Nationale de Châteauroux, (Indre-et-Loire) le 10 mai. L’Arsenal-Val de Reuil (Eure), le 13 mai.

 

Wo-Man et Point Zéro, chorégraphie d‘Amala Dianor

Wo-Man et Point Zéro, chorégraphie d‘Amala Dianor

 Avec ce solo et ce trio regroupés en une soirée, l’artiste revient aux sources de son style élégant et organique, sur la musique de son complice de toujours, le compositeur d’électro-soul Awir Léon. Né à Dakar, et arrivé en France à sept ans, Amala Dianor intègre, après un parcours de hip hop, l’école supérieure du Centre National de Danse Contemporaine d’Angers. Il a créé des chorégraphies alliant hip hop, néo-classique, contemporain, afro-contemporain… Avec une quinzaine de pièces à son actif, il s’emploie, comme on le voit surtout ici, à ôter à la danse tout artifice superflu pour en conserver les seuls mouvements bruts.

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Nangaline Gomis © Romain Tissot

Dans Wo-Man, Nangaline Gomis entre dans un halo de lumière au bord du plateau et, comme épinglée sur place, amorce des gestes simples avant de s’aventurer au-delà. Dans un combat entre elle et l’espace qu’elle va occuper complètement, avançant en guerrière et reculant avec prudence. Puis elle disparaît, avalée par le noir. «Man signifie : moi en wolof, dit le chorégraphe. Man Rec, c’était moi seulement. Wo-Man sera ainsi la version féminine de ce moi choral, riche d’influences diverses, de racines plurielles. »

Rencontrée au Conservatoire National Supérieur de danse de Lyon, Nangaline Gomis lui inspirera l’adaptation au féminin  de son propre solo, créé en 2014, où il construisait déjà la trame d’une écriture hybride et singulière, à la fois dépouillée et complexe, abstraite et incarnée, énergique et tranquille. La vitalité et l’engagement de la jeune interprète laisse présager pour elle d’un bel avenir de danseuse.

 Pour Point Zéro Amala Dianor a invité Johanna Faye et Mathias Ruffin, eux aussi chorégraphes, à le rejoindre sur le plateau pour confronter leur style dans une joyeuse émulation: «Nous avons tous trois commencé par la street-danse, dit-il, puis avons creusé des sillons personnels, nourris de rencontres, partages et hybridation,. Le point zéro est aussi littéralement le lieu à partir duquel les distances sont calculées. Quel est le chemin que nous avons parcouru?»

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Mathias Rassin, Johanna Faye, Amala Dianor

Avec un style hip hop démembré, déconstruit puis reconstruit, la pièce ramène les gestuelles à l’os. Gros plan sur un mouvement d’épaule ou de bras, un lancer jambe, une pirouette : chacun décortiquant les éléments de sa grammaire. La musique beat d’Awir Léon est à leur disposition sur un clavier où chacun va choisir, parmi les nombreuses touches, sa propre partition et l’enrichit de nouvelles pistes, histoire de faire monter la tension. De solo en battle, ces interprètes nous offrent des échantillons de leur écriture personnelle, et nous transmettent la joie de danser. Ce trio, simple et dépouillé, pourra, de ce fait, paraître un peu trop sommaire à certains mais cette démarche amicale de partage est  généreuse. 

Mais reste la question que se pose Amala Dianor: « Qu’en est-il de notre cathédrale de danseurs urbains, de nos chapelles originelles? Sont-elles restées intactes après tant d’années ? Sommes-nous toujours capables d’y retourner afin d’y puiser pour créer, transmettre, nous mouvoir ensemble? » Il y répond, en présentant actuellement The Falling Stardust, une grande forme pour neuf danseurs. Et Siguifin, une création collective avec Ladji Koné, Alioune Diagne et Naomi Fall, dansée par des pré-professionnels du Burkina-Faso, du Mali et du Sénégal. En 2022, il va créer A 20 cms près, une pièce pour dix danseurs et un musicien.

 Mireille Davidovici

 Du 25 au 29 janvier, dans le cadre du festival Faits d’Hiver, Les Abbesses-Théâtre de la ville, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

 Les 4 et 5 mars C.N.D.C. Angers, dans le cadre du festival Conversations ( Maine-et-Loir).

Le 10 mars, Le Carroi, La Flèche (Sarthe) et le12 mars, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis).

Le 1 er avril,  Festival Imprudanse, Draguignan  (Var) ; du 5 au 7 avril, Annecy (Haute-Savoie).

Le 7 mai, Théâtre-Scène Nationale de Mâcon (Saône-et- Loire).

Festival d’Avignon : Du lundi 11 au vendredi 15 juillet • 10h • Belle Scène Saint-Denis  Une programmation du Théâtre Louis Aragon à La Parenthèse, 18 rue des études, Avignon

 

 

 

Débris de Dennis Kelly, mise en scène de Julien Kosellek et Viktoria Kozlova

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Débris de Dennis Kelly, traduction de Philippe Le Moine et Pauline Sales, mise en scène de Julien Kosellek et Viktoria Kozlova

 Le dramaturge anglais maintenant bien connu en France et plusieurs fois monté notamment par Arnaud Anckaert (voir Le Théâtre du Blog), n’y va pas avec le dos de la cuiller. Objet littéraire à part, ce conte pour enfants désespérés, navigue entre réalisme très cru, fantasmagorie de cauchemar et forte charge de tendresse agressive…
Que reste-t-il à Michael et Michelle, un frère et une sœur orphelins, une fois devenus adultes ? Une enfance encore intacte avec  toute sa violence innocente. Dennis Kelly, dans cet exercice particulier du conte cruel, détaille la mort du père alcoolique auto-crucifié, puis brouillant la chronologie, celle de la mère en mettant au monde Michelle son deuxième enfant qui imagine -et cela va très loin- ce que veut dire naître d’une morte… Ces enfants auront rencontré des adultes prédateurs, « Onclenri », pourvoyeur de « smile-and-smart », chez qui on leur promet luxe, valets en habit et cette chose étrange qu’on nomme du champagne. Dans le peu qu’ils en auront vu, ils auront deviné le monde et  se seront exercés ensemble à la fraternité et à la bagarre.

Mais la rencontre décisive pour ce garçon de seize ans, est ce bébé trouvé sur un tas d’ordures, qu’il baptise Débris. Alors, il sait, il vit ce qu’est «l’amour maternel ». Julien Kosellek et Viktoria ont placé ce récit qu’ils interprètes aussi dans une sorte de bric-à-brac d’objets fanés sur fond de musiques dansantes années quatre-vingt, devant un écran où sont projetés des collages troublants de photos d’enfants masqués (Paola Valentin). Mais ces images produisent avec le décor et outils musicaux d’Anya Fuentes Uno un effet d’accumulation, ce qui affaiblit chacun des éléments, pourtant nécessaires…

L’interprétation, comme les danses enfantines, suivent la même logique. Avec une belle vitalité juvénile mais aussi la brutalité du texte surjoué, donc déjoué, qui passe au second degré. Plutôt qu’à l’humour noir, nous avons ainsi affaire à un humour (trop) pudique qui dit: «Non, je rigole», en proférant des horreurs, des vraies. Comme s’il fallait avant tout apprivoiser, déréaliser le récit. Mais Dennis Kelly n’exagère pas et nous transmet la violence de la pauvreté et de l‘injustice qu’il reçoit en pleine figure… Comme le faisait en son temps, Edward Bond, avec entre autres, sa pièce Sauvés. Et Dennis Kelly avec Occupe-toi du bébé au Théâtre de la Colline, mise en scène par Olivier Werner en 2011. Le point commun tragique, le point sacré, l’incarnation même de la fragilité et de l’endurance de la vie, c’est le bébé, un sauveur qu’il faut sauver. Cette mise en scène en version adoucie de Débris peut faire plaisir, mais nous ne sommes pas sortis du théâtre avec «des expérience émotionnelles qui font bouger des choses en nous», selon les mots de Denis Kelly. Ici, la tragédie n’est pas au rendez-vous…

Christine Friedel

Jusqu’au 6 février, Théâtre de la Reine Blanche, Paris (XVII ème). T. : 01 40 05 06 96.

La Grange Dimière, Fresnes (Val-de-Marne) le 13 mai.

Théâtre Jean Arp, Clamart (Hauts-de-Seine), le 3 juin.

 

 

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