Anne-Marie La Beauté, texte et mise en scène de Yasmina Reza

 

 

Anne-Marie La Beauté, texte et mise en scène de Yasmina Reza

Atteinte par le covid peu après avoir vu ce spectacle fin décembre, Elisabeth Naud a quand même tenu à écrire ce compte-rendu que nous avons reçu et nous l’en remercions chaleureusement. Toute notre équipe est de tout cœur avec elle.

 Dans ce premier monologue de Yasmina Reza, le personnage, Anne-Marie Mille, actrice vieillissante, évoque à la mort de Giselle Fayolle, leur rencontre et leur vie: «Au temps du Théâtre de Clichy, j’étais sa seule amie. Les autres étaient jalouses.» Tout se passe dans sa chambre, un logement modeste mais soigné, proche du Moulin-Rouge, loin des paillettes et des lumières du Théâtre de Clichy. Anne-Marie, éblouissante malgré les années et toujours aussi passionnée, livre l’aventure de sa vie, à une ou un journaliste imaginaire. Elle passe de Madame à Monsieur à Mademoiselle : « J’allais oublier une chose importante madame : j’ai commencé en découpant des photos de Brigitte Bardot » puis parlant de son fils,   »De tout e façon je m’en fous. Je ne vois ce qui pourrait enrayer notre perdition monsieur, la civilisation a échoué » Ce(tte) journaliste n’existe que dans le récit de ses souvenirs… Et n’est-ce pas en vérité,  à nous public, qu’elle se confie, avec grâce et espièglerie…?

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Emmanuel Clolus avec une scénographie sobre mais subtile exprime bien, dans cet unique décor, l’univers de la comédienne : sur un plateau presque nu, une méridienne en velours vert, et au sol, une paire d’escarpins Salomé, en attente d’une prochaine sortie, d’un prochain spectacle? la tenue d’Anne-Marie en combinaison de soie au début du spectacle, son sac à mains dans lequel elle fouille, pour saisir en autres un rouge à lèvres, l’accroche de ses boucles d’oreilles etc. sont autant d’éléments ou de gestes qui accompagnent la progression poétique et dramatique  du récit.   Nous nous laissons vite conquérir par ce chemin de vie, et par ces souvenirs de théâtre, admirablement interprétés par André Marcon travesti, accompagné par la musique de Laurent Durupt, d’après Bach et Brahms.. Histoire intime et histoire d’une époque : la France des années cinquante-soixante, avec Paris sous les feux de la rampe… Tout un paysage aux mille frémissements s’esquisse au fil des mots et de la composition dramatique parfaite de ce monologue, mais aussi à travers le paysage intérieur d’Anne-Marie, du coeur de cette femme artiste issue d’un milieu populaire. Une enfance à Saint-Sourd dans le Nord: « Moi, je viens de Saint-Sourd-en-Ger, madame, un pays où on ne reste pas couché. (…) Il y avait les puits de charbon et la compagnie théâtrale de Prosper Ginot. On voyait passer en ville les acteurs de la Comédie de Saint-Sourd. (…) Je les reconnaissais tous. » ou les évocations de sa chambre, rue des Rondeaux, du Théâtre de Clichy, et de la banalité domestique  témoignent de l’écriture imagée, charnelle, pleine de nuances de Yasmina Reza. Le jeu d’André Marcon, d’une densité poétique et théâtrale inouïe laisse jaillir toute la richesse du texte. 


André Marcon et Yasmina Reza se connaissent bien, ils ont collaboré ensemble sur cinq créations,  «Il fait partie de mon écriture», dit-elle.  Il a reçu le prix du meilleur comédien 2020 du Syndicat de la critique pour son interprétation de la pièce créée la même année à La Colline. Nous sommes captivés par le personnage de cette grande dame: l’élocution et le timbre de sa voix d’une finesse sans pareil, aux variations infinitésimales selon les faits racontés, ses expressions d’humour ou de nostalgie, donnent au personnage une profondeur et une humeur sans cesse changeantes. D’une incroyable sincérité, il nous touche et nous émerveille : « J’arrivai de Saint-Sourd, j’étais descendue à Paris pour une audition. Les confidentes de tragédie, personne ne les faisait. J’avais une recommandation. » Le jeu de l’acteur transcende ici le texte comme la sensibilité de l’autrice. Ce monologue nous offre avec délicatesse, un kaléidoscope de l’âme humaine et de l’univers du spectacle, du monde de la nuit, du temps qui passe : «Mais la lumière s’était refroidie madame. » La mort qui veille, la roue qui tourne…

La carrière et les personnages autrefois incarnés par Anne-Marie et Giselle …Ces actrices et amies, leur gloire mais aussi ensuite leur solitude et l’oubli : «Sur scène, on ne laisse rien derrière soi. La scène se fout de qui l’occupe, Giselle Fayolle, Anne-Marie. Aucune trace de personne. », se succèdent, prennent forme en notre imaginaire et disparaissent pour mieux ressurgir comme sur les beaux murs gris, les ombres des personnages de l’artiste norvégien Örjan Wikström. Pour Jeanne Labrune, réalisatrice et scénariste, «son œuvre se situe dans l’entre-deux de l’harmonie et du chaos, de l’équilibre et du déséquilibre, du plaisir et de la souffrance. » un écho à l’existence d’Anne-Marie Mille. La mise en scène, le texte, et l’interprétation, un vrai bonheur ! Cet ensemble ciselé nous offre dans une symbiose parfaite, un spectacle d’une théâtralité magique ! Dans la petite salle du Théâtre de La Colline, le temps semble s’être arrêté et le silence règne. Il reste l’émotion et le plaisir ressentis par Anne-Marie nous racontant sa vie bigarrée et ceux du public sous le charme de cette forte et émouvante personnalité, gaie et mélancolique, du théâtre et de sa beauté !  

Elisabeth Naud

Spectacle vu le 22 décembre au Théâtre de la Colline, 13 rue Malte-Brun, Paris (XX ème).

Tournée 2022 en cours de programmation.

 Le texte de la pièce est paru aux éditions Flammarion.


Archive pour 9 janvier, 2022

Enfin le Cinéma !

Enfin le Cinéma !

Mireille Davidovici avait ici parlé de cette formidable exposition en novembre dernier. Peu de temps avant sa clôture, Bernard Rémy y revient avec un regard d’historien de la danse et du cinéma. Un autre point de vue…

 Dénominateur commun des peintures, photos, films, et sculptures exposés : la puissance du corps et des matières. Tout devient rapports de forces, tensions sans souci de représentation…

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A la fin du XIX ème siècle, l’idée de mouvement se généralise avec les transports en commun mais aussi avec l’apparition des à-plats en peinture et au début du XX ème siècle, avec ce qu’on appellera la «danse moderne »… On peut voir ici un film exceptionnel où Loïe Fuller (1862-1928) (voir dans Le Théâtre du Blog la performance récemment présentée dans ce même musée) danse avec d’immenses voiles bancs plissés. Cette Américaine est une pionnière de la danse moderne en France, avec Isadora Duncan qu’elle soutint. Elle inventa une Danse des voiles qui l’enveloppent. De longues planches de bois harnachées aux bras  permettaient à l’immense drap blanc de varier la rythmique de ses plis. Son autre invention : dépasser l’espace amorphe construire son milieu de danse et elle crée un dispositif de lumière et de couleurs rendu possible grâce à la lumière électrique. Et dont Laurence Louppe donna une description précise. Loie Fuller tournoie sur un carré de verre éclairé par en-dessous. Faisceaux de projecteurs, miroirs judicieusement placés démultipliaient son image à l’infini.C’est un quasi studio de cinéma. Orson Welles y trouva-t-il une inspiration pour La Dame de Shanghai? Elle vécut vingt ans avec Gabrielle Bloch et participa avec Nathalie Barnay à un groupe d’artistes lesbiennes. Et très audacieuse, Loïe Fuller servit même de certains travaux de Marie Curie.

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Il y a aussi les scintillantes images d’Alice Guy, la première cinéaste qui réussit à capter des points lumineux dans le ruissellement d’une petite chute d’eau. La belle française Cléopâtre-Diane de Mérode (1875-1966), fut nommée grand sujet à l’Opéra de Paris qu’elle quittera en 1898.

Elle présente à l’Exposition Universelle de 1900 des danses cambodgiennes dont La Javanaise. Et on peut voir dans un extrait de film, ses gestes très déliés, fluides, loin de la rigidité classique. On sent qu’elle aime se costumer mais très tôt elle arrêtera de se produire. Elle change de « scène » et posera pour Edgar Degas, Henri de Toulouse-Lautrec et Paul Nadar. Cheveux défaits et diadème, une de ses photos (vers 1893).

PHO%2FPHO%201988%2FPHO%201988%2028%2010Elle devient célèbre dans le monde entier moins pour ce qu’elle fait, que pour son apparence. Paul Klee célébra sa beauté gracieuse et il la voit danser en 1901 à Rome : « C’est la plus belle femme que l’on puisse voir. Chacun connait sa tête. Mais il faut avoir vu son cou pour de vrai. Rien que la beauté absolue. » Il assiste également au spectacle de Loie Fuller à Naples.

La danseuse est comme une Lola Montes qui aurait réussi: avec l’apparition des moyens de reproduction modernes, les échelles de valeur sont en train de changer. Etonnamment, elle surgit ici dans un montage de l’époque entre des jeux d’enfants et une opération chirurgicale…  

Les matériaux abondants ici ne pèsent pas, alors que le film Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttmann(1927) totalisait les mouvements d’une ville en une seule journée. Dominique Païni, lui, décloisonne tout : films, peintures, photographies, céramiques, sculptures et redistribue. Cela crée des rapports entre les parties et tout se passe comme si cette exposition était le creuset actif de nouvelles relations.

Deux principes à cet accrochage : des cadres de toute dimension : hauts, étirés, resserrés et limitant films, peintures, photographies et ce qui se situe entre les formes, créant de l’air. Dominique Païni qui a été directeur de la Cinémathèque française, a une connaissance profonde des films ; il sait éviter l’accumulation et susciter la naissance de cet événement que furent les relations momentanées entre films, photos, peintures, sculptures libérant des couleurs et lumières advenant dans la pensée.    

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Le commissaire de cette exposition inscrit la modulation dans le cadre. Et un des moments exemplaires est Le Linge séchant au bord de la Seine, une toile de Gustave Caillebotte. « Il s’agit pour Caillebotte de peindre l’air » écrit Dominique Païni (il a écrit lui-même toutes les excellentes légendes). Il montre un peu  des frères Lumière, un peu de Claude Monet, un peu de Georges Méliès, un peu de Berthe Morisot, un peu d’Alice Guy ou d’Auguste Rodin... Certaines toiles ponctuent un moment historique : dans La Cathédrale de Rouen, Claude Monet avec quelques petites touches de couleur reconstitue la « grisaille » après l’abandon du « terreux » par les peintres. Mais il y a aussi beaucoup de photos exceptionnelles de Paris, la ville-mouvement, la ville-zone, la ville-pierre qui englobe tout.

Stefan Zweig dans Le Monde d’hier (1941) évoque cette modification de l’ordre du temps qui, cessant d’être cyclique et rural, déborde toute mesure et qui, à chaque instant, contracte passé, présent et avenir. Ces ramifications participent à la création des villes montrées ici avec ces photos de Paris… Du temps pur advenant en éclair dans notre actualité. Dominique Païni sait créer un cadre comme rapport de production et sans contours fermés, comme le disait Gilles Deleuze dans son Cours sur la peinture à Vincennes en 81. A travers couleurs, lumières et gestes, circulent ici des variations d’énergie, ascendantes ou descendantes…

Bernard Rémy

Musée d’Orsay, Paris (VII ème) jusqu’au 16 janvier.

 

 

Là-bas, Chansons d’aller-retour, pièce musicale de Nathalie Joly, chorégraphie de Dominique Rebaud, sous le regard de Simon Abkarian

Là-bas, Chansons d’aller-retour, pièce musicale de Nathalie Joly, chorégraphie de Dominique Rebaud, sous le regard de Simon Abkarian

Une pièce interprétée par l’auteure et sa sœur Valérie Joly accompagnées au piano et à l’accordéon par Thierry Roques. Sous le regard  et les oreilles, cela tombe sous le sens. De nos jours, à l’ère du wokisme, nous n’osons même plus dire :  mise en scène, comme si l’expression contrariait la veine libertaire de l’artiste, encore moins « dirigée » par qui que ce soit. Ainsi le petit métier de « regard extérieur » s’applique couramment aux arts de la scène en général comme celui, par exemple, de dramaturge. Un glossaire sert de feuille de salle et peut aider à comprendre la pièce, si on est équipé d’une torche électrique. Le soir où nous y étions, personne ne l’avait anticipé et nous devions suivre attentivement dialogues et paroles de chansons énoncées en version originale, puis les traduire, du moins  si nous maîtrisions l’espagnol, le grec, l’arabe mais aussi le langage populaire algérien dit «pataouète » ou «papalouette »…  Le thème annoncé « là-bas » rappelle plus le fameux slogan : C’est bon comme là-bas (1973) du couscous Garbit, que celui du non moins fameux roman de Joris-Karl Huysmans mais il est ici bel et bien traité. L’adverbe désigne plusieurs ports d’attache, de départ mais aussi d’arrivée quand il s’agit de retour aux sources : une notion vague et précise à la fois. .. Et l’auteure entend dire son histoire, ses racines, ses ancêtres, sa culture, sa brûlure- pas seulement celle du soleil-, « les odeurs d’épices et de fleurs, la lumière qui réconforte, le son des vagues ».

 

© Nicolas Villodre

© Nicolas Villodre

Comme le suggère le sous-titre Chansons d’aller-retour connoté cubain. Nathalie Joly traite de thèmes comme celui des diseuses qu’elle lie à l’exil, des flux migratoires, des pieds-noirs. Mais aussi bien entendu des «idas y vueltas » (chants d’aller-retour) des sœurs Faez et de leur « trova familiale », des sœurs Abatzi venues depuis Smyrne, au Pyrrhée où, dit-elle, «les cabarets enfumés retentissent de haschich songs».  Ces airs sont caribéens mais aussi argentins, brésiliens, mexicains, grecs, arabo-andalous… et ont fait l’objet d’un bel album édité par Frémeaux et Associés, interprété par le trio de cette pièce, enrichi des percussions d’Inor Sotolongo, du bandonéon de Carmela Delgado, de la contrebasse de Théo Girard, du violon-quinton de Bruno Girard, de la trompette et du bugle de Julien Matrot, du bendir et de la darbouka d’Amar Mohali, de la voix de Julia Marini et de la guitare de Maurice Durozier.

Là-bas Chansons d’aller-retour est une excellente surprise: scénographie de Jean-Jacques Gernolle simple et efficiente, son de Margaux Dancoine subtilement dosé et lumières de Charly Thicot, enchanteresses et émouvantes, en particulier quand les sœurs Joly chantent La Llorona, un des plus beaux airs arrangés par l’auteure et Thierry Roques. La justesse de ton des dialogues entre elles vaut d’être soulignée, comme la grâce de leur gestuelle, en accord avec l’humanité de leur propos.

 Nicolas Villodre

 Le Local, 18 rue de l’Orillon, Paris ( XI ème), jusqu’au 7 février.

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