Pôles de Joël Pommerat, mise en scène de Christophe Hatey et Florence Marschal
Pôles de Joël Pommerat, mise en scène de Christophe Hatey et Florence Marschal
Vingt ans ans après avoir joué dans la version originale de Pôles, la première pièce éditée en 2002 et mise en scène par son auteur, Christophe Hatey veut faire redécouvrir la seule qu’à l’époque Joël Pommerat voyait à comme aboutie. A l’époque, il n’était pas encore devenu le metteur en scène et dramaturge maintenant célèbre de textes aussi exemplaires que Pinocchio, La Réunification des deux Corées, Au Monde ou ça ira Fin de Louis (voir Le Théâtre du Blog) « L’action se situe dans un pays d’Europe, en paix depuis cinquante ans ». Il y a ici Elda Older, Jean, un voisin d’Elda, Alexandre-Maurice, Walter, le frère d’Elda, Jessica, une amie d’Alexandre-Maurice, Saltz, le frère d’Alexandre-Maurice et la mère d’Alexandre-Maurice et de Saltz.
Elda Older a de sérieux problèmes de mémoire. Elle rencontre Alexandre-Maurice, le modèle que fait travailler son frère sculpteur dont elle paye le loyer de l’atelier. Mais comme elle oublie de le faire, toute l’œuvre et les affaires personnelles de son frère vont se retrouver sur le trottoir. Elle recueille ce modèle chez elle et veut lui faire écrire son histoire: vingt ans plus tôt, dans un appartement qui ressemble étrangement au sien, vivaient Alexandre-Maurice, son frère Saltz et leur mère impotente. Mais les propriétaires menacent de les expulser. Pour protéger sa mère, Alexandre-Maurice l’aurait-il tuée ? »
Le dramaturge cherche et réussit souvent à provoquer le trouble chez le spectateur, en brouillant les pistes et balader sa pièce entre présent et passé donc avec des personnages d’âge mûr et leurs doubles encore jeunes. Mais tout aussi tourmentés… Bref, une version XXI ème siècle du fameux vers de Chimène dans Le Cid de Pierre Corneille: «Le passé me tourmente et je crains l’avenir.» Et les didascalies sont très précises: « Vingt ans auparavant. A l’aube. Dans un appartement identique au précédent. Alexandre Maurice, vingt ans plus jeune, est assis sur une chaise, près d’une grande fenêtre. Il est endormi, la tête tombant sur la poitrine, le corps complètement relâché, dans une position étrange. Au fond, un couloir. »
Et plus loin, dit Elda, « J’ai pensé même si cela devait vous paraître insensé… J’ai pensé que pour vous permettre de faire toute la lumière à l’intérieur dans vos idées, il vous serait nécessaire d’écrire un livre, Alexandre-Maurice. (s’emportant, s’exaltant peu à peu) Moi je pense que vous ne pourrez jamais devenir libéré si vous restez comme ça dans votre anonymat sans rien comprendre à ce qui vous est arrivé il y a vingt ans. Parce que votre aventure n’est pas une aventure ordinaire, elle passionnerait un large public, c’est évident. Il faut que toute cette haine, cette rancœur, cette violence dirigée contre votre mère, que vous puissiez vous la raconter enfin cette haine. »
« Elda Older, Alexandre-Maurice, et les autres, dit le metteur en scène, tous sont des êtres inadaptés, inaccomplis (…) empêchés dans leurs parole ou au contraire, déversant une véritable logorrhée pour exister ; la langue très particulière, à la fois écorchée et comique, dont Joël Pommerat affuble ses personnages illustre bien l’absurdité de leur vie, de leurs illusions. Pôles possède un rythme et une personnalité qui s’impose comme une évidence. Il s’agira de s’approprier cette parole si imagée pour raconter la drôle et pathétique histoire de la rencontre d’Elda Older avec Alexandre-Maurice Butofarsy. »
Sur cette petite scène frontale à l’inverse des grands plateaux souvent bi-frontaux qu’aime Joël Pommerat, rien de réaliste ou presque: deux châssis-paravents que l’on déplacera et une chaise noire puis trois autres à la fin. Mise en scène et direction des plus rigoureuses avec de bons acteurs comme, entre autres la co-metteuse en scène Florence Marschal (Elda) et Aurore Mejeber (la jeune Elda). Christophe Hatey (Jean) et le remarquable Roger Davau, plus vrai que nature. Un homme buté dans son mutisme et son impossibilité à percevoir le réel (il y faut une sacrée intelligence d’acteur).
Il y a ici une belle unité de jeu et un rythme tenu jusqu’au bout de ces deux heures. Mais bon, les metteurs en scène se débrouillent au mieux avec ce texte sans aucun doute trop long et qui n’a pas encore la poésie et la vie intense de ceux qui suivront. Alors à voir? Oui, si vous êtes inconditionnels du théâtre de Joël Pommerat et/ou si vous avez envie de découvrir une langue souvent remarquable. Sinon passée la première heure, vous risquez d’être déçus par ce que le metteur en scène considère comme « une trépidante histoire ». Ce que, désolé, elle n’est tout de même pas ! Malgré encore une fois, la rigueur des acteurs et de cette mise en scène. Mais surtout, n’y emmenez pas votre grand-mère…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 25 février, Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris ( XVII ème).
La pièce comme l’œuvre de Joël Pommerat, est publiée aux éditions Actes Sud.