La Réponse des hommes, texte et mise en scène Tiphaine Raffier

La Réponse des hommes, texte et mise en scène Tiphaine Raffier

 

Cela commence par un rêve avec une vidéo sur grand écran : de jeunes femmes dansent, couronnées de fleurs. Puis elles entrent sur scène, frénétiques et joyeuses. Le film s’attarde sur la tête de la « mariée », la reine de l’entrée en féminité. Et, sous les fleurs se révèle, en gros plan, une couronne de fer, instrument du cauchemar.

On s’habitue, disent les femmes plus avancées dans la vie, ce n’est qu’un moment à passer… Mais pour la jeune femme, elle, revenue dans son siècle, cela ne passe pas. Vouée à l’accueil des étrangers, elle travaille à Action contre la faim et ne peut accueillir cette étrangère, ce bébé-fille qui lui est né. Voilà, avec ses développements, la première histoire. D’autres suivent, sans lien entre elles, sinon parfois un personnage qui passe, et toutes construites à partir des « œuvres de miséricorde » de la religion chrétienne. 

©x Le Caravage

©x Le Caravage

Tiphaine Raffier a pris ces injonctions : Accueillir les étrangers, Donner à boire à ceux qui ont soif, Vêtir ceux qui sont nus, Visiter les prisonniers et les malades… comme autant de commandes d’écriture. Et elle ose explorer,-on pourrait dire : en oblique- les questions du don et du contre-don, du point de tolérance au mal, de « l’interface entre le juste et l’injuste », du « tri ».
Qui faut-il sauver ? Au nom de quoi, « les femmes et les enfants d’abord » ? Pour autant, le propos n’a rien ici de didactique ni moralisant. Et la question éthique posée à chaque scène est toujours aussi essentielle qu’inattendue, et très riche de potentiel théâtral.
Un Noël en famille : chacun a apporté un cadeau mystérieux, on tire au sort, et …. nous ne vous dirons pas le secret qui passionne tous les participants, mais nous en découvrirons un autre que nous ne révèlerons pas non plus. Un prisonnier écartera sa propre histoire pour raconter celle de son ancienne visiteuse de prison, sainte et criminelle… Un psychiatre tentera de faire prononcer à son patient pédocriminel les mots de sa maladie. Des scènes à la fois très concrètes et presque théologiques : dans un tribunal, on juge un soldat qui aurait causé la mort d’un autre. Ou un danseur en dialyse qui attend une greffe de rein.

Cette gravité, cette profondeur n’interdit ni le rire, ni le plaisir de la danse et la présence des musiciens sur le plateau. Nous avons aussi aimé cette conférence de musicologie donnée par un acteur virtuose qui nous fait monter –ou plutôt descendre- de l’harmonie à la discordance, jusqu’à l’angoisse. Une mystérieuse affiche clandestinement tout au long du spectacle ces seuls mots : « Nous sommes désolés » sur fond de triangle fractal. Cela distille, malgré les mots apaisants, une inquiétante étrangeté qui trouvera son sens dans l’apocalypse finale.

Et l’ensemble est très bien réalisé. Le mur du décor, imposant sans être lourd, joue son rôle psychologique, donnant à voir les angoisses des personnages. La musique a aussi une véritable fonction dans l’action, et surtout, malgré ce que le choix de la vidéo pouvait faire craindre, les comédiens sont toujours très présents.
Mêlant générations et  écoles, Tiphaine Raffier a su créer une véritable troupe, convaincante dans ses duos, solos et moments collectifs.La Réponse des hommes est un beau spectacle, agissant, intelligent et sensible. Long, il prend le temps de ses cheminements : il faut donc avoir un peu de patience mais nous ne nous en plaindront pas. Et cette jeune autrice et metteuse en scène qui fait preuve d’une grande maturité, a déjà réalisé un moyen métrage et en prépare un  long. Mais elle ne se laisse pas griser par l’emploi de la vidéo au théâtre. Elle s’en sert au cœur même des scènes, et de biais , mais pas comme outil de surveillance. En choisissant de la mettre entre les mains de psys et de médecins qui essayent de s’en servir pour regarder leurs patients et permettre à ceux-ci de se voir et de voir.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce spectacle généreux, sur l’audace de Tiphaine Raffier qui voit grand et qui se donne les moyens de son audace. Une trouvaille particulièrement touchante : à la fin cette méditation sur le mal, le pardon survient sous la forme d’un tout petit objet : une clé usb. Les disques durs d’’une vie tourmentée une fois effacés, c’est dans ce petit fragment de mémoire : une danse délicate de Fred Astaire, que le personnage trouvera l’absolution. Et le public y verra une réflexion à la fois modeste et profonde.
La Réponse des hommes, enfin un spectacle qui parle, avec les meilleurs moyens du théâtre, des réalités importantes et intimes de la vie de chacun. A voir à Nanterre mais aussi dans tous les grands lieux qui ont fait confiance à Tiphaine Raffier.

Christine Friedel

Jusqu’au 28 janvier, Théâtre des Amandiers- Nanterre (Hauts-de-Seine) T. : 01 46 14 70.

Du 3 au 12 février, Théâtre National Populaire, Villeurbanne (Rhône).

Du 23 au 24 février , Théâtre de Lorient (Finistère).

Du 2 au 4 mars, La Comédie de Saint-Etienne (Loire). Du 8 au 11 mars, Théâtre de la Cité, Toulouse (Haute-Garonne). Du 16 au 19 mars, Théâtre Olympia, Tours (Indre-et-Loire).

 Du 6 au 9 avril, Théâtre du Nord Lille (Nord)

 

 

 

 


Archive pour 13 janvier, 2022

La Réponse des hommes, texte et mise en scène Tiphaine Raffier

La Réponse des hommes, texte et mise en scène Tiphaine Raffier

 

Cela commence par un rêve avec une vidéo sur grand écran : de jeunes femmes dansent, couronnées de fleurs. Puis elles entrent sur scène, frénétiques et joyeuses. Le film s’attarde sur la tête de la « mariée », la reine de l’entrée en féminité. Et, sous les fleurs se révèle, en gros plan, une couronne de fer, instrument du cauchemar.

On s’habitue, disent les femmes plus avancées dans la vie, ce n’est qu’un moment à passer… Mais pour la jeune femme, elle, revenue dans son siècle, cela ne passe pas. Vouée à l’accueil des étrangers, elle travaille à Action contre la faim et ne peut accueillir cette étrangère, ce bébé-fille qui lui est né. Voilà, avec ses développements, la première histoire. D’autres suivent, sans lien entre elles, sinon parfois un personnage qui passe, et toutes construites à partir des « œuvres de miséricorde » de la religion chrétienne. 

©x Le Caravage

©x Le Caravage

Tiphaine Raffier a pris ces injonctions : Accueillir les étrangers, Donner à boire à ceux qui ont soif, Vêtir ceux qui sont nus, Visiter les prisonniers et les malades… comme autant de commandes d’écriture. Et elle ose explorer,-on pourrait dire : en oblique- les questions du don et du contre-don, du point de tolérance au mal, de « l’interface entre le juste et l’injuste », du « tri ».
Qui faut-il sauver ? Au nom de quoi, « les femmes et les enfants d’abord » ? Pour autant, le propos n’a rien ici de didactique ni moralisant. Et la question éthique posée à chaque scène est toujours aussi essentielle qu’inattendue, et très riche de potentiel théâtral.
Un Noël en famille : chacun a apporté un cadeau mystérieux, on tire au sort, et …. nous ne vous dirons pas le secret qui passionne tous les participants, mais nous en découvrirons un autre que nous ne révèlerons pas non plus. Un prisonnier écartera sa propre histoire pour raconter celle de son ancienne visiteuse de prison, sainte et criminelle… Un psychiatre tentera de faire prononcer à son patient pédocriminel les mots de sa maladie. Des scènes à la fois très concrètes et presque théologiques : dans un tribunal, on juge un soldat qui aurait causé la mort d’un autre. Ou un danseur en dialyse qui attend une greffe de rein.

Cette gravité, cette profondeur n’interdit ni le rire, ni le plaisir de la danse et la présence des musiciens sur le plateau. Nous avons aussi aimé cette conférence de musicologie donnée par un acteur virtuose qui nous fait monter –ou plutôt descendre- de l’harmonie à la discordance, jusqu’à l’angoisse. Une mystérieuse affiche clandestinement tout au long du spectacle ces seuls mots : « Nous sommes désolés » sur fond de triangle fractal. Cela distille, malgré les mots apaisants, une inquiétante étrangeté qui trouvera son sens dans l’apocalypse finale.

Et l’ensemble est très bien réalisé. Le mur du décor, imposant sans être lourd, joue son rôle psychologique, donnant à voir les angoisses des personnages. La musique a aussi une véritable fonction dans l’action, et surtout, malgré ce que le choix de la vidéo pouvait faire craindre, les comédiens sont toujours très présents.
Mêlant générations et  écoles, Tiphaine Raffier a su créer une véritable troupe, convaincante dans ses duos, solos et moments collectifs.La Réponse des hommes est un beau spectacle, agissant, intelligent et sensible. Long, il prend le temps de ses cheminements : il faut donc avoir un peu de patience mais nous ne nous en plaindront pas. Et cette jeune autrice et metteuse en scène qui fait preuve d’une grande maturité, a déjà réalisé un moyen métrage et en prépare un  long. Mais elle ne se laisse pas griser par l’emploi de la vidéo au théâtre. Elle s’en sert au cœur même des scènes, et de biais , mais pas comme outil de surveillance. En choisissant de la mettre entre les mains de psys et de médecins qui essayent de s’en servir pour regarder leurs patients et permettre à ceux-ci de se voir et de voir.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce spectacle généreux, sur l’audace de Tiphaine Raffier qui voit grand et qui se donne les moyens de son audace. Une trouvaille particulièrement touchante : à la fin cette méditation sur le mal, le pardon survient sous la forme d’un tout petit objet : une clé usb. Les disques durs d’’une vie tourmentée une fois effacés, c’est dans ce petit fragment de mémoire : une danse délicate de Fred Astaire, que le personnage trouvera l’absolution. Et le public y verra une réflexion à la fois modeste et profonde.
La Réponse des hommes, enfin un spectacle qui parle, avec les meilleurs moyens du théâtre, des réalités importantes et intimes de la vie de chacun. A voir à Nanterre mais aussi dans tous les grands lieux qui ont fait confiance à Tiphaine Raffier.

Christine Friedel

Jusqu’au 28 janvier, Théâtre des Amandiers- Nanterre (Hauts-de-Seine) T. : 01 46 14 70.

Du 3 au 12 février, Théâtre National Populaire, Villeurbanne (Rhône).

Du 23 au 24 février , Théâtre de Lorient (Finistère).

Du 2 au 4 mars, La Comédie de Saint-Etienne (Loire). Du 8 au 11 mars, Théâtre de la Cité, Toulouse (Haute-Garonne). Du 16 au 19 mars, Théâtre Olympia, Tours (Indre-et-Loire).

 Du 6 au 9 avril, Théâtre du Nord Lille (Nord)

 

 

 

 

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