Une Télévision française, texte et mise en scène de Thomas Quillardet

Une Télévision française, texte et mise en scène de Thomas Quillardet

Le metteur en scène a monté des pièces de Valère Novarina, Tiago Rodriges, le nouveau directeur du festival d’Avignon mais cette fois, il a écrit le texte de cette pièce qui a pour thème, la privatisation de la Une devenue TF 1, en 1987. Achetée par le groupe de B.T.P. dirigé par Francis Bouygues sur fond de manœuvres pas très reluisantes jusqu’au plus haut niveau de l’Etat.
Pour Thomas Quillardet, cette histoire douteuse d’un passé relativement récent peut éclairer le présent. Et il a fait un gros travail préparatoire en examinant les nombreuses d’heures d’archives de l’Institut national de l’Audiovisuel et recueilli les témoignages de journalistes pour écrire cette fiction… Et montrer ce qui se joue dans une rédaction où toute équipe de journalistes prépare les émissions dont le fameux Journal Télévisé de Patrick Poivre d’Arvor, Anne Sinclair, Yves Mourousi, Jean-Pierre Pernaut, Claire Chazal ou Bruno Masure… Eux bien connus du grand public, enfin celui de l’époque… Et on peut aussi y croiser des dirigeants  comme Patrick Le Lay, Etienne Mougeotte…

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Toute une époque (mais de nombreux protagonistes ne sont plus là) avec la terrible catastrophe de Tchernobyl en 86, maquillée par la plupart des médias et quelques scientifiques, mais aussi la chute du mur de Berlin qui met le feu aux rédactions des journaux papier ou  télévisés qui veulent toutes en rendre compte immédiatement. Il y a aussi le décès de Coluche et quelques mois plus tard celui de Thierry Le Luron, les Etats-Unis bombardent la Libye, en représailles d’attentats terroristes, avec plus de cent victimes et une fille de Kadhafi  tuée, le général Pinochet chilien échappe à un attentat.  Après des affrontements entre milices rivales libanaises, l’armée syrienne s’installe à Beyrouth, attentat de la rue de Rennes à Paris et pour mal clore l’année, Malek Oussekine meurt aussi à Paris de violences policières…
Et dans les médias français, les rumeurs galopent… Une chaîne de télévision serait privatisée mais personne ne pense que ce serait la Une. Mais la chaîne le sera en avril 87 avec un traitement de l’actualité nettement à droite. Patrick Le Lay annonce une programmation culturelle avec, entre autres, Olivier Messiaen… Plus le mensonge est gros, mieux cela passe, dit un vieux proverbe. Et bien entendu pas plus que programme culturel que de beurre en broche. Avec un slogan du même tonneau : « Il n’y en a qu’une ! C’est la Une. TF 1 est maintenant détenue à 100 % par une filiale du groupe industriel français Francis Bouygues. » 

Et il y a ici des débats politiques entre Jean-Marie Le Pen et Bernard Tapie, ou encore entre Jacques Chirac, alors premier ministre et François Mitterrand qui se représentait en 88 contre lui à la Présidentielle, dans un fameux duel tend,  arbitré par Michèle Cotta et Elie Barnier. Pour Jacques Chirac, ils sont tous les deux candidats mais le Président lui servira du: « Monsieur le Premier ministre ». Et pris au dépourvu, Jacques Chirac lui répondra : Monsieur le Président!  Un des courts mais très rares bons moments de cette Télévision française

Sur le plateau, est reconstituée une salle de rédaction avec grandes tables,  nombreux téléphones à cadran et micros. Scénographie efficace de Lisa Navarro où évoluent facilement Agnès Adam, Benoît Carre, Blaise Pettebone, Bénédicte Mbemba, Josué Ndofusu, Jean-Baptiste Anoumon, Charlotte Corman, Florent Cheippe, Emile Baba, Titouan Lechevelier et Anne-Laure Tondu. Ils jouent ainsi à tour de rôle et sans distinction de sexe, les nombreux personnages de journalistes et les dirigeants comme Francis Bouygues…Un truc à la mode: ainsi Charlotte Corman est Bouygues, Anne-Laure Tondu: Patrick Poivre d’Arvor,  et Blaise Pettebone:  Claire Chazal.

L’ensemble est très décevant à cause d’un texte bavard et d’une dramaturgie faiblarde. Nous assistons presque sans arrêt à la préparation d’un J.T. et à quelques petits règlements de compte internes où chacun convoite souvent un poste en France ou à l’étranger… déjà offert à un collègue. On se drague aussi un peu, on s’engueule parfois et on boit beaucoup de champagne… Mais cela sonne faux et, comme la chose dure trois heures, l’ennui s’installe vite.
Malgré une direction d’acteurs précise, les personnages ressemblent plus à des silhouettes sans densité. Thomas Le Quillardet a du mal à choisir entre un théâtre-documentaire, une comédie parfois teintée de boulevard et surtout un théâtre de réflexion politique qui manque cruellement ici… En fait, ce texte ne répond jamais à la question : comment sous la présidence de François Mitterrand, en est-on arrivé à ce dérapage politique et à cette privatisation… Avec comme conséquence, une nette tendance à éviter les thèmes sensibles qui pourraient nuire en termes d’audience aux intérêts financiers du groupe Bouygues. Cela aurait pourtant été d’un intérêt évident.

Quelques années plus tard, le même Patrick Le Lay déclarait avec un incroyable cynisme dans une phrase restée célèbre : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » Et là, une analyse socio-politique par le biais d’une dramaturgie rondement menée aurait pu faire sens, même si de temps à autre, c’est vrai, la question est abordée mais très vite… Et ce bavardage sur trois heures ne peut tenir la route, même avec dix acteurs qui font leur boulot ; tout ici reste bien superficiel… Il y a un tout petit souffle quand la chaîne est rebaptisée : TF I, avec un nouvel aménagement de l’espace et un nouveau logo… Malheureusement, cela ne dure pas et Thomas Quillardet retombe dans le même travers : des dialogues à l’écriture négligée qui font penser à ceux d’une série médiocre ( suivez notre regard).
Désolé mais le théâtre documentaire répond à d’autres exigences. Comme le font entre autres, le collectif allemand Rinini Protocol à la remarquable intelligence scénique ou le du collectif Groupov avec Rwanda 94 mis en scène par le Belge Jacques Delcuvellerie. Ou encore  Milo Rau ou Nicolas Lambert dénonçant les magouilles de l’industrie pétrolière, et bien sûr il y a quelques années, le remarquable Bettencourt Boulevard de Michel Vinaver… (voir pour ces mises en scène, Le Théâtre du Blog). Et cette pièce récente A la Vie d’Elise Chatauret dont nous vous rendrons compte lundi prochain. Les fictions à base documentaire sont maintenant bien inscrites dans le paysage scénique européen…

Mais ici, malgré sans doute un réel travail en amont, tout ici reste superficiel…Dommage! Surtout à un moment où, dans la France macroniste, l’ombre de la privatisation reste toujours aussi menaçante. Bref, cette fiction n’arrive jamais à un degré suffisant d’authenticité et surtout de virulence pour montrer une privatisation en ordre de marche. Et on pourrait se demander pourquoi et surtout comment l’Elysée et le P.S. ont fini par flirter dangereusement avec le capitalisme adoubé par Jacques Chirac et son entourage… On ne traite pas la privatisation avec autant de légèreté et nos amis anglais ont appris à le savoir à leurs dépens… Un ami musicien français qui a vécu une grande partie de sa vie à Londres, nous a dit récemment ces mots cruels : « Si vous voulez savoir ce que seront les hôpitaux français dans quelques années, allez de l’autre côté de la Manche, vous ne serez pas déçus du voyage. » Reste aussi une question : qui, au Théâtre de la Ville, a lu le texte de cette pseudo-pièce avant qu’elle soit programmée?

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 janvier, Théâtre des Abbesses-Théâtre de la Ville, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77

 

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