Le Tartuffe ou l’hypocrite, de Molière, mise en scène d’Ivo van Hove, diffusé dans les salles de cinéma, en direct depuis la Comédie-Française

Le Tartuffe ou l’hypocrite, de Molière, mise en scène d’Ivo van Hove, diffusé dans les salles de cinéma, en direct depuis la Comédie-Française 

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Il fallait fêter cet anniversaire : les quatre cents ans de Jean-Baptiste, né et baptisé Jean (Baptiste) Poquelin  le 15 janvier 1622  et mort cinquante et un ans plus tard, sous le nom de Molière.  Et samedi soir, ce fut donc au cinéma. Une opération menée de main de maître par Eric Ruf, administrateur la Comédie-Française, et par la société Pathé-live, spécialisée dans la diffusion en temps réel des grands opéras dans le monde entier.  L’événement a été annoncé avec les tambours et trompettes qu’il mérite. Cela rend aux salles de cinéma le caractère festif qu’elles avaient perdu au profit du pop-corn (avant le covid). Mais il faut réserver sa place -à peine moins chère qu’au Français :25 € ! pour un fauteuil… plus confortable que ceux de la salle Richelieu. Il faut arriver à l’heure pour assister d’abord à l’entrée du public. Lever du rideau dans dix, cinq, zéro minutes, nous informe un compte à rebours, à droite de l’écran. 

Un cérémonial malheureusement interrompu par les mentions de productions et partenariats. Puis l’administrateur annonce: Denis Podalydès, «cas-contact», jouera masqué! Ensuite, à nous ce spectacle si attendu. Qu’on a quand même l‘impression de voir derrière une vitre, comme les gens regardant le bal des patrons, à la Vaubyessard dans Madame Bovary de Gustave Flaubert. Consolation: ici, les gros plans soulignent les brutalités et finesses de la pièce. On connaît cette histoire d’une famille totalement déréglée par l’arrivée de cet «homme de bien » et «pauvre homme»… Dont s’éprennent aussitôt Madame Pernelle, la grand-mère,  Orgon, le père et peut-être Elmire son épouse. Mais pas du tout leur fils Damis ni Cléante, le frère d’Orgon, ni Dorine la servante…

Dans un prologue tendant la perche à l’épilogue, ce gueux est accueilli, lavé, vêtu, nourri (fort bien). Dorine aura eu l’occasion de le voir «nu du haut jusques en bas» sans en être autrement émue. Ensuite, nous trouverons Tartuffe impatronisé dans la maison, grâce à un saut dans le temps. Ici, il n’exercera qu’à peine sa fonction de directeur de conscience qu’il aura remplie auparavant et hors scène (à l’exception du fameux vers : «Couvrez ce sein que je saurais voir… » Et «reprenant tout», selon Madame Pernelle, remplissant de joie ses partisans et exaspérant les autres. Ce temps est une sorte de récréation qu’il s’offre, une parenthèse de vérité dont il profite pour déclarer son désir à Elmire dans son langage pieux et son habit d’hypocrite.  Mais il sera plus direct à la fin quand il n’en aura plus besoin et en imposteur brutal et cynique, il ruinera sans état d’âme son bienfaiteur. 

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© Comédie-Française

Cette version de 1664, jouée aux fêtes de Versailles Les Plaisirs de l’île enchantée, avait diverti le Roi. Mais il en avait quand même interdit les représentations publiques : une affaire de politique entre le royaume de France et la papauté… Plus radicale que sa version définitive en cinq actes – exempte des histoires d’amour des fils et fille- elle ne comporte pas encore la grande révérence au Roi: « Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude.» Ici Molière s’offre la liberté de finir la pièce comme elle a commencé, avec Madame Pernelle toujours «entartuffiée», malgré l’attentat flagrant de celui qu’elle admire, contre l’honneur d’Orgon et une réconciliation express entre père et  fils. En 1669, Molière alignera Tartuffe sur ses autres comédies qui finissent par un mariage et une intervention tout aussi magique que celle du Roi (il avait déjà osé l’oncle d’Amérique dans L’École des Femmes et ce sera un père napolitain dans L’Avare).
Ivo van Hove a pris au sérieux la brutalité de cette version. Dans le gris et noir métallique d’une maison, plus industrielle que familiale, il traite la pièce, entre son prologue et son épilogue, comme le châtiment de la bourgeoisie.  Sans fouiller dans la psychologie, d’où l’absence, pour une fois, du doublage du jeu par la vidéo (une mise en abyme qu’il a épargnée au public des cinémas).
La troupe de la Comédie-Francaise fait le travail. Madame Pernelle, la matriarche, n’est pas jouée en bouffonnerie, elle a l’allure, la beauté de Claude Mathieu et sa puissance de doyenne.  Denis Podalydès, les yeux écarquillés, est un Orgon qui ne voit rien tant qu’il n’a pas entendu Tartuffe se moquer de lui. Et il court toujours après les faits, fasciné par son Tartuffe. En grand improvisateur, le comédien joue de son masque-covid. Délectable… Dominique Blanc, Dorine délicieuse et piquante, attrape le public, même par écran interposé. Marina Hands a toute la sensualité boudeuse et indécise d’Elmire, Julien Frison (Damis) et Loïc Corbery (Cléante) mettent ce qu’il faut d’énervement sincère dans leurs personnages. Bref, une distribution exemplaire, ce qui n’étonnera pas avec la troupe actuelle. Mention spéciale à Christophe Montenez en Tartuffe, que nous avions déjà repéré notamment dans Les Damnés, dans la mise en scène d’Ivo van Hove, d’après Luchino Visconti. Il est ici un voyou prêt à exploser sous la couverture de l’hypocrite. Glaçant, bouillant, dangereux… Et bel homme, ce qui peut expliquer les tentations d’Elmire.

Cela fait une bonne représentation, drôle parfois mais dont on nous a un peu sur-vendu le côté subversif. Représenter la séduction cauteleuse d’un Tartuffe :« Que fait là votre main ? Je tâte votre habit »… peut être l’être autant que la mise en scène d’un corps à corps, soulignée par le film qui conduit le regard du public –voyeur sans l’avoir choisi- jusqu’à la peau. Et bien des mises en scène au XX ème siècle, avaient déjà réduit la fameuse intervention royale du cinquième acte à ce qu’elle vaut : une courbette de Molière qui n’était pas un ingrat. Et l’on n’a pas fini de réfléchir aux rapports entre le théâtre et le pouvoir….

Puis, un cadeau pour ce quatre centième anniversaire : l’hommage rituel à Molière, qu’on aurait aimé, surtout cette année,mis en scène avec un peu plus de recherche. Le buste de notre grand auteur est apporté sur le plateau, face public, en un geste à la foi religieux et enfantin. Qu’aurait-il fait de ce culte? Une comédie- ballet? Les quelque quatre-vingt acteurs de la troupe viennent, rang par rang, lancer une citation de Molière. Elle se répondent, s’entrechoquent, font rire, confortent l’entre-soi des connaisseurs et rappellent, avant tout, le génie du « patron » qui fut ovationné, comme ce Tartuffe, rajeuni et durci.

Christine Friedel

Spectacle vu le 15 janvier. 

Saison Molière jusqu’au 25 juillet: voir le site de la Comédie-Française. Sont aussi programmées des visites guidées du Théâtre.

Le spectacle sera à nouveau transmis en direct  dans les salles Pathé du 6 au 22 février.


Archive pour 19 janvier, 2022

Les Cinq fois où j’ai vu mon père, texte et mise en scène de Guy Régis Jr.

Les Cinq fois où j’ai vu mon père, texte et mise en scène de Guy Régis Jr.

Les cinq fois où j'ai vu mon père

Christian Gonin © Nicolas Lascourrèges

« Le thème est personnel, voire intime. Alors qu’il concerne bien d’autres car nous avons chacun subi une absence quelque part. » L’auteur haïtien remonte ici vers son enfance de la dernière fois, à la première où il a vu son père: « Je l’ai vu partir quand j’avais douze ans. Je voudrais replonger profondément dans ma mémoire.» En cinq temps, Christian Gonon de la Comédie-Française donne les couleurs de l’enfance à cette adaptation du roman éponyme. La langue concise et dense, porte en elle des images et climats. Mais y-avait-il besoin des jolis dessins animés avec ciels, nuages et pluie, au graphisme naïf, de Raphaël Caloone qui rythment la représentation ? 

« L’écriture théâtrale demande à être plus concise, dit Guy Régis Jr. C’est de la parole parlée comme j’aime le dire. Le théâtre, c’est créer de la parole et non pas de l’écrit. » Il est ici question non de l’absence mais plutôt de la présence en pointillé de ce père, à travers les paroles de la mère, et par des adresses de l’écrivain adulte à l’auteur de ses jours. Avec des reproches mais aussi une sorte de complicité interrogative. Très forte est l’évocation de la Haïti des années soixante dix, « pays sans dessus dessous », où les dictatures successives et la misère chassent les hommes vers l’exil. «Le départ de celui qui va gagner de l’argent et lui permettra de nourrir sa famille, dit Guy Régis Jr. On oublie souvent qu’on vient d’une société qui a vécu l’esclavage pendant trois siècles. C’est donc normal qu’il y ait encore l’éclatement de la famille. »

 Une mise en scène sobre et réussie qui doit beaucoup à la présence de Christian Gonon. Il se glisse avec humour, élégance et une émotion retenue dans cette langue concrète et poétique, mais sans pathos. Il est à la fois cet enfant avec toutes ses questions et cet adulte qui revient avec lucidité sur son passé. Un spectacle à voir mais aussi un texte à lire…

 Mireille Davidovici.

 Jusqu’au 29 janvier, Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta, Paris (XX ème).

Les 25 et 26 mars, Tropique Atrium, Fort-de-France (Martinique).

Les 1er et 2 avril, Archipel-Scène nationale de Basse-Terre (Guadeloupe).

 Le texte est publié aux éditions Gallimard.

 

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