Nostalgie 2175 d’Anja Hilling, mise en scène d’Anne Monfort
Nostalgie 2175 d’Anja Hilling, mise en scène d’Anne Monfort
Il y a sept ans déjà, nous avions remarqué Soleil noir (voir Le Théâtre du Blog) de cette jeune auteure allemande qui avait beaucoup impressionné le public français. Cela commençait par un pique-nique entre jeunes bobos assoiffés de nature arrivés en forêt à bord d’un minibus Voslkswagen. Barbecue, bières, érotisme et nuit dehors dans des sacs de couchage… Mais surgissait un gigantesque incendie de forêt provoqué par l’imprudence de ces bobos. « Derrière lui, le feu jaune clair, presque doré, a atteint les cimes ». Plus haut, des traînées de fumée, l’affaissement du ciel, gris sombre. »mais aussi l’âcreté de la fumée, et la poussière de cendres qui va tout envahir. Mort d’un bébé, s’ajouteront celles d’adultes, d’animaux et de milliers d’hectares de forêt! »
Nostalgie 2175 est comme une sorte d’écho- prolongement de cette fiction mais cette fois, Anja Hilling nous projette dans un avenir pas si lointain… et va plus loin. Anticipant mais de peu un virulent cauchemar. A l’inverse, que pouvaient imaginer en 1870, les Français de notre époque actuelle ? Pas mal non plus : deux guerres mondiales, l’énergie et la bombe atomiques, des tours de plus de 500 m, des avions supersoniques, , l’arrivée de la télévision puis d’Internet… Mais aussi l’arrivée des antibiotiques, des greffes de cœur ou de rein.
Mais cela nous fait toujours froid dans le dos, quand nous enlevons une coquille où l’année 2.022 devient 2.122… Que sera encore Paris à cette époque ? Ici, cela se passe en 2.175, après un désastre survenu en 2.103, et la température de la planète frise les 60° ! « Un jour d’août /A coupé le jus au monde entier. /Âmes humaines courant électrique/Écrans systèmes d’ordinateur (…) Peau douce sur les organes/Organismes frêles/Ont fondu/Comme autrefois les cœurs à la vue d’une belle femme ». (…)
Comment s’adapter? Quand il fait 42° au Niger, c’est déjà rude mais au-delà? « Dans un monde silencieux.Libéré. Du bruit de la circulation des appels téléphoniques des guerres et des ordinateurs. On a chaud. La chaleur est tout ce que nous avons tout ce que nous sommes. Nos voitures nos tramways la traversent sans bruit. Elle se pose sur nos membres. Avale nos voix. La chaleur est Le silence de nos yeux Le courant électrique c’est de l’histoire ancienne Et la végétation une forêt de contes. On s’arrange. L’homme est une fée. Il continue à sortir de la joie de vivre de sa manche. On sourit. »
Anja Hilling nous raconte une histoire d’amour parfois comparable à celles qu’imaginaient les dramaturges deux siècles plus tôt autour d’une femme et deux hommes. Bref, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes avec un trio de personnages infernal. Pagona, Taschko et Posch sont les arrière-petits-cousins des Hermance, Ernest, Marjavel du Plus Heureux des trois d’Eugène Labiche. Mais ici, on ne rit plus: on ne peut plus vivre sans tenue de protection. Et les femmes accouchent presque toutes en perdant la vie. Pagona aime Taschko dont le corps entièrement brûlé ne peut être touché. Et elle fera l’amour avec Posch, le directeur de l’usine où Tashko fabrique des revêtements en peau humaine permettant de circuler sans protection. Vite enceinte, elle gardera le bébé pour Taschko et parlera souvent à ce bébé encore dans son ventre…
Mais pourquoi donner la vie dans des conditions aussi extrêmes, alors que la plupart des femmes ( 98 %) en meurent : c’est un des thèmes de cette pièce. Taschko, lui, est aussi peintre et travaille à partir d’un fond de cassettes VHS de films du XX ème siècle. Et certaines scènes de la pièce font référence au scénario de Plein soleil de René Clément (1960) avec Marie Laforêt, Alain Delon et Maurice Ronet. Mais aussi à Dirty Dancing d’Emile Ardolino(1987) où une jeune danseuse séduite est aussi enceinte sans l’avoir désiré.
Nostalgie 2175 s’apparente à du théâtre-récit mais aussi à un monologue poétique où Pagona parle à sa fille qui n’est pas encore née. Et il y a aussi -sans doute plus conventionnels- de très brefs dialogues entre ces personnages comme dans certains films… Du genre: « Tu appelles ça du travail, dit Taschko. Pagona : Non. Taschko : Pourquoi tu le dis alors. Pagona : Parce que j’aimerais t’embrasser. Taschko : Je reste encore un peu debout là-haut. Pagona : Pourquoi.
Le tout soutenu par une musique bruitiste mais aussi parfois plus classique. « Pour donner à cette histoire à la fois son extrême contemporanéité et son atemporalité », dit la metteuse en scène. » En fait, ici Anja Hilling comme d’autres écrivains de science fiction pose avec cette fable poétique la question de savoir pourquoi et comment nos arrière-petits enfants voire déjà nos petits-enfants réussiront encore à vivre dans une planète que nous aurons patiemment mais sûrement encore bien esquintée d’ici là… Là, Anja Hilling a frappé juste !
Les jeunes collégiens et lycéens placés sur quatre rangs et isolés des autres spectateurs (covid oblige : ordre de la Préfecture) avaient bien conscience que les 60° imaginés par Anja Hilling flirtaient avec les 54,4° constatés en 2020 en Californie ! « Le pire n’est pas toujours sûr » (sous-titre du Soulier de satin) écrivait Paul Claudel mais la dramaturge allemande sait elle bien montrer que nous n’en sommes pas loin. Et pour Tedros Adhanom Ghebreyesus,directeur général de l’O.M. S. c’est sans appel : « Les choix intenables qui tuent notre planète, tuent aussi ses habitants. »
Sur le plateau, quelques éléments : sur un sol bleu, un banc avec un livre, une barque et dans le fond une sorte de maison-cabane. La mise en scène d’Anne Monfort est honnête et d’une grande précision et elle dirige bien Mohand Azzoug, Judith Henry et Jean-Baptiste Verquin. Mais était-il bien nécessaire d’employer ces foutus micros HF pour que « les voix, dit Anne Monfort, ne soient pas couvertes par la musique.» Du coup, les nuances du texte passent à la trappe! Quand les metteurs en scène comprendront-ils que cette foutue amplification ne sert à rien sur une scène de dimension moyenne? Mais cette mauvaise balance qui rend moins accessible le sens de cette fable poétique peut être facilement corrigée.
Anne Monfort a eu raison d’abréger un peu les trop longs- monologues intérieurs et les dialogues de cette courte dystopie qui se laisse voir. Mais la pièce souffre d’une dramaturgie un peu bancale. Tout se passe comme si l’autrice avait constamment hésité entre un théâtre d’agit-prop, des bribes de dialogues de cinéma et une forme plus classique où le monologue domine…un peu trop. Et Nostalgie 2.175 n’a pas vraiment la force de Soleil noir ou de Mousson avec, à chaque fois la mort d’un enfant. Mais bon, cela peut être une occasion de découvrir ce texte de cette dramaturge allemande de la catastrophe. Même si elle nous laisse à la fin un léger espoir, même après un accident d’avion où meurt le compagnon de Tagona. «Au plafond à hauteur du cockpit/ Une tache. Ronde et blanche./Au milieu de cette tache/Un animal courbé saute dans le ciel noir/Un dauphin/La gueule ouverte/Directement dans la lune blanche.Ses dents/Tu dois les imaginer comme de petites pointes dans la lumière blanche. Bébé./Je te souhaite beaucoup de bonheur. »
Philippe du Vignal
Spectacle créé au Centre Dramatique National de Besançon (Doubs) du 18 jusqu’au 20 janvier.
Du 25 au 28 janvier, Théâtre de la Cité-Centre Dramatique National de Toulouse-Occitanie (Haute-Garonne).
Le 1er février, Scènes du Jura- Scène Nationale-théâtre de Dole ( Jura).
le 3 février, L’Arc -Scène Nationale du Creusot. (Saône-et-Loire)
Les 15 et 16 mars, Espace des Arts-Scène Nationale de Chalon-sur-Saône ( Saône-et-Loire).