Grand Reporterre/5 : Faut-il séparer l’homme de l’artiste ? par Étienne Gaudillère et Giulia Foïs
Faut-il séparer l’homme de l’artiste ? par Étienne Gaudillère et Giulia Foïs
Un spectacle joué dans le cadre du festival Azimuts initié à Lyon par le Théâtre du Point du Jour pour promouvoir la jeune création, en partenariat avec Les Subsistances et le Théâtre de l’Elysée. Dans cette série bi-annuelle qui vise à « mettre en pièce de l’actualité » (voir Le Théâtre du blog), un nouveau tandem metteur en scène et journaliste qui a voulu traiter un thème brûlant : le harcèlement sexuel et le viol dans le monde artistique. Un titre issu d’une phrase de l’actrice Adèle Haenel dans une tribune de Médiapart à propos du César attribué à Roman Polanski en 2020, un César qu’elle a contesté avec fracas en quittant la salle avec d’autres comédiennes: «Ils voulaient séparer l’homme de l’artiste, ils séparent aujourd’hui les artistes du monde. »
Etienne Gaudillère attrape la balle au bon et, peu à l’aise sur ce terrain, a trouvé la partenaire idéale pour tirer au clair ces questions qui agitent la sphère médiatique, jusqu’à récemment, les déclarations de Wajdi Mouawad, directeur du théâtre de la Colline contre le radicalisme de #Metoo. Guilia Foïs anime Pas son genre, une émission hebdomadaire à France-Inter, où elle décrypte la société post #MeToo et des chroniques féministes, Un Jour dans le monde. «Je suis, plaisante-t-elle, le quota #MeToo de Radio-France.
Le metteur en scène a sollicité la journaliste, autrice par ailleurs de Je suis une sur deux, livre sur le viol qu’elle a subi. L’homme de théâtre et la femme de radio entrent en dialogue sur scène, accompagnés d’un acteur et d’une actrice qui mettent en acte les situations conflictuelles auxquelles est confronté tout un chacun. La pensée « woke », le décolonialisme et le féminisme radical font débat. Si on accuse leur auteur de crime sexuel ou raciste, que faire des films de Woody Allen? Des toiles de Paul Gauguin ? De la musique de Michael Jackson ou de Bertrand Cantat? Mais aussi des écrits de Céline, de l’architecture de Le Corbusier, des poèmes de Paul Verlaine et des œuvres de Gabriel Matzneff… L’artiste est-il au-dessus des lois et quelle est la place de la justice ? Doit-on refaire l’Histoire ?
Étienne Gaudillère et Giulia Foïs se sont appuyés sur une solide documentation, puisée dans les livres et les témoignages des victimes comme Adèle Haenel, Vanessa Spingora (Le Consentement) ou Camille Kouchner (La Famila Grande)… On cite aussi les positions de Catherine Deneuve sur la séduction, dans Paris-Match, qui alimentent la controverse. Étienne Gaudillère et Giulia Foïs ont trouvé le point d’équilibre entre journalisme et théâtre en demandant à Jean-Philippe Salério et Marion Aeschlimann de faire vivre ces débats contradictoires et les injonctions paradoxales auxquels tous peuvent être soumis. Sous forme de saynètes dialectiques : «Tu es comédienne, tu as trente ans et u rêves de faire du cinéma, on te propose un rôle dans un film de Roman Polanski, Tu fais quoi ?» L’humour de ces petites fictions et la distance parodique du jeu permettent de mêler le rire à l’indignation. Par exemple, l’imitation de Les Villes de grande solitude de Michel Sardou : « J’ai envie de violer des femmes,/ De les forcer à m’admirer/ Envie de boire toutes leurs larmes… » Chanson, qui provoqua à l’époque l’ire des féministes.
Faut-il séparer l’homme de l’artiste ? s’empare de cette polémique qui, au-delà de la sphère artistique, concerne les conduites déviantes des hommes de pouvoir, dans le monde du travail ou de la politique. Sans vouloir apporter de réponses dogmatiques, le spectacle, en forme de tribune, pose les bonnes questions. Rien de sectaire dans la démarche : «Jamais je n’appellerai au boycott des œuvres, dit Giulia Foïs. #Metoo propose de ne plus considérer comme acquis un certain nombre de choses. Ce qui compte, c’est de s’interroger.» « Je n’avais pas les bases », chante Etienne Gaudillère dans un rap conclusif. Le public sort de la salle mieux instruit qu’en y entrant et a offert aux artistes une ovation debout bien méritée. Puisse ce spectacle circuler au-delà des quelques dates déjà prévues.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 23 janvier, Théâtre du Point du jour, 7 rue des Aqueducs Lyon (V ème). T. : 04 78 25 27 59.
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