Festival Faits d’hiver danse, à Micadanses Mes Soudains de Carole Quettier

Festival Faits d’hiver danse à Micadanses

Mes Soudains de Carole Quettier

©Laurent Pailler

©Laurent Pailler

Ici, une question d’instants mais leur soudaineté doit être relativisée. La chorégraphe et interprète en présente plusieurs types dont certains échappent à la surprise, au coup d’éclat, tout en incluant une nouveauté discrète, d’autant plus insaisissable, presque imperceptible… Elle aiguise notre perception. Sur une musique de Mauricio Kagel joué par le pianiste Alexandre Tharaud, tempos vifs et tempos lents se succèdent mais ne dominent pas. Le retour des bras au-dessus de la tête dessinent une courbe, un pont entre vivacité et lenteur. Comme le disait Gilles Deleuze en 1981 dans un cours sur les vitesses de la pensée chez Spinoza : «Je vois quelqu’un entrer, je ne le vois plus comme un objet délimité, je le vois comme un ensemble de rapports ambulants. Et Spinoza dira: «Une proportion de repos et de mouvement, de vitesse et de lenteur». Et je le reconnais à cette proportion que je ne confonds avec aucune autre proportion. » Ces rapports renvoient aux parties du corps et selon Carole Quettier, elles communiquent de manière à la fois autonome et fluctuante. Jambes, bras, cous, têtes, mains, même isolément, offrent de multiples combinatoires. Mais elle découvre une merveille: des lignes se relient aux parties et créent un plan qui survole l’ensemble. Henri Michaux disait justement : «Une ligne pour le plaisir d’être ligne. Une ligne rêve. On n’avait jamais jusque-là jamais laissé rêver une ligne. Une ligne de conscience. » Et pour Paul Klee, il fallait conjurer notre assujettissement à l’attraction terrestre : «On est allongé et on renonce à toute réaction. »

Et le peintre aurait aimé cette chorégraphie. La danseuse commence allongée, immobile. Que devient la gravitation dans une ligne où Carole Quettier dessine inclinaisons d’épaules, changements d’axe, courbes continues et pliures? Comment devenir à la fois une seule ligne au dehors et au-dedans, une onde qui précède le corps et en même temps l’explore, découvre avec calme le non-encore vécu ? Sa ligne à la fois sort un peu d’elle-même et y revient. Une extériorité circulaire qui se manifeste en torsions et tournoiements et il y a une inversion de l’extériorité en intériorité, et de l’intériorité en extériorité. Comme un cercle irrégulier qui penche parfois à droite, parfois à gauche. Renvoyant au circulo vicioso de Pierre Klossowski :« L’individu combat pour son existence propre… Il veut dominer. Mais alors, il découvre qu’il est quelque chose qui change, que son goût est changeant… sa subtilité l’amène à dévoiler le secret qu’il n’y pas d’individu, que dans le moindre instant, il est autre que dans l’instant suivant… l’instant infinitésimal est la réalité… une image-éclair qui surgit de l’éternel fleuve. »

La danse contemporaine plonge dans le devenir et une suite d’instants et nous découvrons des rapports de force et durée, des rythmes entre animal et humain. Carole Quettier, en vivant les trois couches d’instant: rapports de vitesse, de lenteur, lignes survolant les ramifications de lignes, s’interroge sur la naissance du mouvement… Et elle invente à la terminaison d’un geste, des esquisses : ses magnifiques mains se plient, ondulent légèrement l’une au-dessus de l’autre, évitent parfois de se situer dans le prolongement des bras, avec changements d’axe et remontés de station au sol et dégradés. L’esquisse prépare la place à l’instant qui autrement, se consumerait.

Quelques images exemplaires : la droite ouverte, le bras horizontal en travers de la poitrine, la tête en arrière, la jambe droite dessinent une seule ligne pure incurvée. Une série de torsions d’ensemble prépare la naissance de la courbe. Carole Quettier pivote et expose la même figure en changeant d’appui et esquive l’instant de la pression puis en tordant ses pieds sur le côté, disperse la pesanteur au bord du déséquilibre. Cette déformation contenue évoque le style de Dore Hoyer, une danseuse expressionniste allemande (1911-1967) dont le travail passionne Carole Quettier.

Des lignes symétriques, bras disposés tout au long de la partie supérieure du corps mais un peu penchés entrent en contraste avec la partie inférieure des jambes écartées, genoux en dedans : une très belle posture où en fait la notion de contraste se dissout. Genoux en dedans, bras pliés le long du corps, elle plonge la tête qui ne remonte pas par un vif dégradé. Un pli de rêve… Le nombre de figures de ce solo impressionne : Carole Quettier développe et invente autour de ses suites, un « air » propre à la danse. Une pièce bénéfique et en variation continue, qui ne finit pas, qui ne peut pas  finir et semble s’achever sur une immobilité. Il y a alors comme un blanc. Mais elle continue par une esquisse de geste sur le côté d’une hanche. Cette fois, l’esquisse est première,  et la fluctuation disparait alors dans le noir.

Bernard Rémy

Spectacle vu le 20 janvier au festival Faits d’hiver danse, à Micadanses, 20 rue Geoffroy-L’asnier, Paris ( IV ème).

 


Archive pour 26 janvier, 2022

La Parenthèse de sang de Sony Labou Tansi, mis en scène de Thomas Nordlund

La Parenthèse de sang de Sony Labou Tansi, mis en scène de Thomas Nordlund

 «Je commence toujours par donner mon état civil, disait Sony Labou Tansi. On devrait dire mon état d’homme plutôt. Ce qui prouve que je suis prétentieux ou insupportable. Je suis donc Sony Labou Tansi. Métier : homme. Fonction : révolté. Nationalité : “afro-humaine.” De son vrai nom, Marcel Ntsoni, né à Kimwanza au Congo dit Belge en 1947, ce dramaturge et romancier est mort du sida, en même temps que son épouse, à Brazzaville en 1995… Il avait dû à l’école renoncer à sa langue maternelle pour apprendre le français et il a une vision très pessimiste du monde et des puissances étrangères qui ont colonisé l’Afrique et francophone, il le dit avec un beau langage poétique : «Je fais l’amour aux mots pour que la vie existe. » Et -nous l’avions bien connu- c’était un homme d’une grande culture. Souvent en France quand il n’était pas au Congo, il aimait beaucoup vivre à Blaye (Gironde) où il cultivait avec grand respect un potager. Nous le revoyons déposer soigneusement haché menu pour servir d’engrais vert, les pelures de légumes au pied des plants de tomates, aubergines et courgettes…

© Théo Bianconi

© Théo Bianconi

Mais bon, revenons à notre Théâtre des Déchargeurs: cela se passe dans la maison de la famille de Libertashio, un héros de la résistance qu’on vient d’enterrer. Mais une bande de soldats fouille le pays pour le retrouver et l’amener à la Capitale. Ils ne croient pas qu’il est mort et tuent tous les militaires ou civils qui, eux, admettent cette mort. Un sergent désigne le jeune Martial comme étant Libertashio mais il proteste. Il sera torturé le premier puis sa famille y passera aussi. Arrive ensuite le docteur Portès avec sa femme et le curé qui prennent le parti de Libertashio. Comme les autres, ils vont être emprisonnés et condamnés à mort. En attendant leur exécution, la nuit, dans une pièce sombre, ils ne savent plus trop s‘ils sont encore en vie ou déjà été tués. Une scène remarquable… «Serions-nous capables comme la famille de Libertashio de nous opposer à un pouvoir qui veut dénaturer l’être humain, dit le metteur en scène. L’auteur interroge ici les mécanismes de la résistance, en connectant les personnages à la mémoire d’un héros de cette résistance.

©x

©Théo Bianconi

« Ici le personnage du Pouvoir c’est la capitale. » Invisible, elle semble représenter pour les soldats un fantasme avec ses ordres venus d’en haut et a plus d’importance que toutes les vérités des civils. Et Martial nait à la vie parce qu’il est un résistant : «Je croyais que la mort était trop ample pour moi. Non. Elle est à ma taille.» Cette pièce sur le pouvoir, la guerre civile et les tueries à chaque coup d’Etat en Afrique, avec ses nombreux personnages dont Libertashio. Martial, un Fou, des sergents et soldats, le docteur Portès et sa femme, un Curé, etc.. est intéressante mais les dialogues sont parfois confus, malgré de beaux moments où visiblement Sony Labou Tansi aimait jouer avec la langue française : -Ta gueule ! (Silence.) Moi je fais ce que la loi me demande. (Un temps.) Est-ce ma faute si les lois n’ont plus de conscience? Je suis soldat. Bon soldat. Et je fais à la manière du bon soldat. (Un temps.) Vous, vous êtes des citoyens. Et pourquoi vous ne faites pas à la manière des citoyens ? Quand on vous appelle aux… aux urines… aux urinaux, comment ça s’appelle en français rapide ? Quand on fait le choix pour un… Y a des moments où leur français-là me complique l’arrière. Des moments où je deviens un véritable pot d’échappement. » Ou cet autre bref mais étonnant dialogue : Cavacha -Je vous trouve belle comme la pleine lune. Votre ventre respire l’herbe d’octobre. Vous fleurissez, et ça me donne des élans, des vertiges, des aller et retour.
Yavilla : Vous avez les mains farouches. Elles me troublent. J’imagine que ce sont elles qui ont tué notre pauvre père. Cavacha : Vos yeux. Vos yeux ont construit la peur dans mon cœur. Je ne comprend pas. Je ne comprend pas. Mon sang devient une sorte de mille-pattes qui rampe, qui rampe, qui rampe sur votre image. Je ne comprend pas et je ne comprend pas. » Cela dit,le texte est d’une belle langue fleurie et souvent drôle, malgré les circonstances tragiques. Mais les pièces de auteur congolais maintenant bien connu en France n’ont pas la qualité dramaturgique de ses romans, eux, nettement mieux construits. Et les personnages ne sont pas aussi bien dessinés…

Sur ce petit plateau des quelque seize m2, le metteur en scène arrive à faire jouer et circuler une dizaine de jeunes comédiens qui passent souvent d’un rôle d’oppresseur à celui d’oppressé. Avec une grande fluidité dans les entrées et sorties et à un rythme constant. Chapeau! Cela suppose une bonne direction d’acteurs. «Mon intention, dit Thomas Nordlund, c’est de jouer sur la vibration du corps humain, l’interprétation sonore par les comédiens et les musiciens au plateau de la faune, du vent, des coups de feu, etc. La musique est fondamentale dans mon rapport au théâtre. »
Pari tenu, même s’il fait trop souvent crier ses interprètes, ce qui n’est pas indispensable surtout dans une aussi petite salle. Mention spéciale à la scénographe et costumière Laure Catalan qui, avec Pierre Pouillot, a travaillé des matières simples avec une grande sensibilité en insistant plus sur la fabuleux que sur le réalisme. Et elle a réussi à traduire le chaos ambiant avec des vêtements sur le sol un peu partout qui font bon ménage avec une batterie, un djembé, une guitare, etc. Et côté costumes, en respectant ce que disait
Sony Labou Tansi cité par Thomas Nordlund : «Ne faites pas porter à mes personnages des vêtements qui concordent avec leur rang ; vous seriez coupables d’une méprise mortelle et d’un terrible manque d’imagination. Car ici commence une tragique jouerie ».

Nos aimerions revoir ce spectacle sur un plateau où il pourrait y avoir tout l’espace nécessaire pour que les jeunes acteurs et musiciens donnent une véritable ampleur à ces personnages assez pâlichons. La Parenthèse de sang n’est sans doute pas une très bonne pièce mais, si vous êtes un professionnel du spectacle, cela vaut le coup d’ aller découvrir le travail à la fois précis et sensible de ce jeune metteur en scène qu’il faudra suivre.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 20 janvier au Théâtre des Déchargeurs, rue des Déchargeurs, Paris (I er).

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Vie de Joseph Roulin de Pierre Michon, mise en scène de Thierry Jolivet

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© Rémi Blasquez

 

Une heureuse surprise!  La prose ciselée de Pierre Michon prend ici toute son ampleur, baignée dans les  tableaux de Vincent Van Gogh, tels que pouvait les voir un facteur arlésien. Il serait resté anonyme s’il n’avait fait plusieurs portraits de lui et de sa famille et si l’auteur des Vies minuscules n’avait imaginé cette biographie romancée, liée à celle dramatique et bien connue de l’artiste.

 L’écrivain creusois se plait à évoquer des gens simples du peuple, comme ici ce modeste employé des Postes, «alcoolique et républicain», ami de l’homme à l’oreille coupée, partageant des tournées d’absinthe avec lui, et témoin de sa démence, dans sa rage de peindre. L’ignorance de Joseph Roulin pour les choses de l’art confère à son regard sur la vie et l’œuvre de Vincent Van Gogh, une innocence dont nous sommes aujourd’hui privés et que Thierry Jolivet nous invite à retrouver. Par les yeux de ce facteur, nous regardons vivre et mourir le spectre décharné de ce fou de Vincent.

L’acteur se détache sur le bleu cobalt d’une de ses toiles, mais agrandie à la taille du miroir qui occupe tout le fond de scène et se reflète sur les flancs et le sol. «Tout l’enjeu du spectacle, dit-il, a consisté à fabriquer une forme qui accompagne les spectateurs dans le récit en maintenant l’écoute dans la sensation visuelle des œuvres du peintre. » Formé au Conservatoire de Lyon il a, depuis dix ans, adapté au théâtre: Fiodor Dostoïevski, Blaise Cendrars, Dante Alighieri, Mikhaïl Boulgakov… Artiste associé aux Célestins-Théâtre de Lyon, il y a créé ce spectacle qui, malheureusement, a depuis été  peu joué pour cause de covid.

 Immergé dans les couleurs et les formes tournoyantes qui envahissent le plateau, sans pour autant parasiter le texte, Thierry Jolivet trouve la juste diction, calme et obsédante et réalise un bel équilibre entre son interprétation, la composition musicale de Jean-Baptiste Cognet et Yann Sandeau, discrètement présents sur scène, le découpage vidéo de Florian Bardet, l’espace et les lumières de David Debrinay et Nicolas Galland. Les miroirs, démultipliant les tableaux, en effacent les contours et en explosent les cadres. Nous entrons en plongée dans les couleurs brutales appliquées au couteau, dans ces images de champs de blé, d’amandiers en fleurs au pied des Alpilles, de soleil implacable brûlant, jaune chrome numéro 3, comme l’absinthe. Apparaissent et s’entrelacent les visages de Joseph et Vincent, ceux des hommes et femmes qu’ils connurent, et les lieux qu’ils fréquentèrent ensemble. Des impressions du passé et lambeaux de vie nous mènent jusqu’à Saint-Rémy-de-Provence où fut interné Vincent. Et à Marseille où Joseph Roulin apprendra la mort de son ami et où il finira ses jours dans l’alcool, rêvant, en rouge qu’il était, aux lendemains qui chantent… Il céda son portrait, gratuitement, pour la gloire, à un marchand de tableaux parisien très chic qui lui en offrait pourtant une somme rondelette.

 Nous nous souviendrons longtemps de la voix tranquille de Thierry Jolivet, disant cette langue simple et belle, soutenu par les sonorités électroniques des synthétiseurs, mêlées à la chaleur des orgues dans une explosion de couleurs. Avis aux amateurs de théâtre, d’art et de littérature et aussi aux programmateurs : ne passez pas à côté de ce travail remarquable. A défaut, relisez ou lisez Pierre Michon…

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 1er février, Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème). T. : 01 43 13 50 50.

 Le texte est publié aux éditions Verdier.

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