La Parenthèse de sang de Sony Labou Tansi, mis en scène de Thomas Nordlund
La Parenthèse de sang de Sony Labou Tansi, mis en scène de Thomas Nordlund
«Je commence toujours par donner mon état civil, disait Sony Labou Tansi. On devrait dire mon état d’homme plutôt. Ce qui prouve que je suis prétentieux ou insupportable. Je suis donc Sony Labou Tansi. Métier : homme. Fonction : révolté. Nationalité : “afro-humaine.” De son vrai nom, Marcel Ntsoni, né à Kimwanza au Congo dit Belge en 1947, ce dramaturge et romancier est mort du sida, en même temps que son épouse, à Brazzaville en 1995… Il avait dû à l’école renoncer à sa langue maternelle pour apprendre le français et il a une vision très pessimiste du monde et des puissances étrangères qui ont colonisé l’Afrique et francophone, il le dit avec un beau langage poétique : «Je fais l’amour aux mots pour que la vie existe. » Et -nous l’avions bien connu- c’était un homme d’une grande culture. Souvent en France quand il n’était pas au Congo, il aimait beaucoup vivre à Blaye (Gironde) où il cultivait avec grand respect un potager. Nous le revoyons déposer soigneusement haché menu pour servir d’engrais vert, les pelures de légumes au pied des plants de tomates, aubergines et courgettes…
Mais bon, revenons à notre Théâtre des Déchargeurs: cela se passe dans la maison de la famille de Libertashio, un héros de la résistance qu’on vient d’enterrer. Mais une bande de soldats fouille le pays pour le retrouver et l’amener à la Capitale. Ils ne croient pas qu’il est mort et tuent tous les militaires ou civils qui, eux, admettent cette mort. Un sergent désigne le jeune Martial comme étant Libertashio mais il proteste. Il sera torturé le premier puis sa famille y passera aussi. Arrive ensuite le docteur Portès avec sa femme et le curé qui prennent le parti de Libertashio. Comme les autres, ils vont être emprisonnés et condamnés à mort. En attendant leur exécution, la nuit, dans une pièce sombre, ils ne savent plus trop s‘ils sont encore en vie ou déjà été tués. Une scène remarquable… «Serions-nous capables comme la famille de Libertashio de nous opposer à un pouvoir qui veut dénaturer l’être humain, dit le metteur en scène. L’auteur interroge ici les mécanismes de la résistance, en connectant les personnages à la mémoire d’un héros de cette résistance.
« Ici le personnage du Pouvoir c’est la capitale. » Invisible, elle semble représenter pour les soldats un fantasme avec ses ordres venus d’en haut et a plus d’importance que toutes les vérités des civils. Et Martial nait à la vie parce qu’il est un résistant : «Je croyais que la mort était trop ample pour moi. Non. Elle est à ma taille.» Cette pièce sur le pouvoir, la guerre civile et les tueries à chaque coup d’Etat en Afrique, avec ses nombreux personnages dont Libertashio. Martial, un Fou, des sergents et soldats, le docteur Portès et sa femme, un Curé, etc.. est intéressante mais les dialogues sont parfois confus, malgré de beaux moments où visiblement Sony Labou Tansi aimait jouer avec la langue française : -Ta gueule ! (Silence.) Moi je fais ce que la loi me demande. (Un temps.) Est-ce ma faute si les lois n’ont plus de conscience? Je suis soldat. Bon soldat. Et je fais à la manière du bon soldat. (Un temps.) Vous, vous êtes des citoyens. Et pourquoi vous ne faites pas à la manière des citoyens ? Quand on vous appelle aux… aux urines… aux urinaux, comment ça s’appelle en français rapide ? Quand on fait le choix pour un… Y a des moments où leur français-là me complique l’arrière. Des moments où je deviens un véritable pot d’échappement. » Ou cet autre bref mais étonnant dialogue : Cavacha -Je vous trouve belle comme la pleine lune. Votre ventre respire l’herbe d’octobre. Vous fleurissez, et ça me donne des élans, des vertiges, des aller et retour.
Yavilla : Vous avez les mains farouches. Elles me troublent. J’imagine que ce sont elles qui ont tué notre pauvre père. Cavacha : Vos yeux. Vos yeux ont construit la peur dans mon cœur. Je ne comprend pas. Je ne comprend pas. Mon sang devient une sorte de mille-pattes qui rampe, qui rampe, qui rampe sur votre image. Je ne comprend pas et je ne comprend pas. » Cela dit,le texte est d’une belle langue fleurie et souvent drôle, malgré les circonstances tragiques. Mais les pièces de auteur congolais maintenant bien connu en France n’ont pas la qualité dramaturgique de ses romans, eux, nettement mieux construits. Et les personnages ne sont pas aussi bien dessinés…
Sur ce petit plateau des quelque seize m2, le metteur en scène arrive à faire jouer et circuler une dizaine de jeunes comédiens qui passent souvent d’un rôle d’oppresseur à celui d’oppressé. Avec une grande fluidité dans les entrées et sorties et à un rythme constant. Chapeau! Cela suppose une bonne direction d’acteurs. «Mon intention, dit Thomas Nordlund, c’est de jouer sur la vibration du corps humain, l’interprétation sonore par les comédiens et les musiciens au plateau de la faune, du vent, des coups de feu, etc. La musique est fondamentale dans mon rapport au théâtre. »
Pari tenu, même s’il fait trop souvent crier ses interprètes, ce qui n’est pas indispensable surtout dans une aussi petite salle. Mention spéciale à la scénographe et costumière Laure Catalan qui, avec Pierre Pouillot, a travaillé des matières simples avec une grande sensibilité en insistant plus sur la fabuleux que sur le réalisme. Et elle a réussi à traduire le chaos ambiant avec des vêtements sur le sol un peu partout qui font bon ménage avec une batterie, un djembé, une guitare, etc. Et côté costumes, en respectant ce que disait Sony Labou Tansi cité par Thomas Nordlund : «Ne faites pas porter à mes personnages des vêtements qui concordent avec leur rang ; vous seriez coupables d’une méprise mortelle et d’un terrible manque d’imagination. Car ici commence une tragique jouerie ».
Nos aimerions revoir ce spectacle sur un plateau où il pourrait y avoir tout l’espace nécessaire pour que les jeunes acteurs et musiciens donnent une véritable ampleur à ces personnages assez pâlichons. La Parenthèse de sang n’est sans doute pas une très bonne pièce mais, si vous êtes un professionnel du spectacle, cela vaut le coup d’ aller découvrir le travail à la fois précis et sensible de ce jeune metteur en scène qu’il faudra suivre.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 20 janvier au Théâtre des Déchargeurs, rue des Déchargeurs, Paris (I er).
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