Vie de Joseph Roulin de Pierre Michon, mise en scène de Thierry Jolivet

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© Rémi Blasquez

 

Une heureuse surprise!  La prose ciselée de Pierre Michon prend ici toute son ampleur, baignée dans les  tableaux de Vincent Van Gogh, tels que pouvait les voir un facteur arlésien. Il serait resté anonyme s’il n’avait fait plusieurs portraits de lui et de sa famille et si l’auteur des Vies minuscules n’avait imaginé cette biographie romancée, liée à celle dramatique et bien connue de l’artiste.

 L’écrivain creusois se plait à évoquer des gens simples du peuple, comme ici ce modeste employé des Postes, «alcoolique et républicain», ami de l’homme à l’oreille coupée, partageant des tournées d’absinthe avec lui, et témoin de sa démence, dans sa rage de peindre. L’ignorance de Joseph Roulin pour les choses de l’art confère à son regard sur la vie et l’œuvre de Vincent Van Gogh, une innocence dont nous sommes aujourd’hui privés et que Thierry Jolivet nous invite à retrouver. Par les yeux de ce facteur, nous regardons vivre et mourir le spectre décharné de ce fou de Vincent.

L’acteur se détache sur le bleu cobalt d’une de ses toiles, mais agrandie à la taille du miroir qui occupe tout le fond de scène et se reflète sur les flancs et le sol. «Tout l’enjeu du spectacle, dit-il, a consisté à fabriquer une forme qui accompagne les spectateurs dans le récit en maintenant l’écoute dans la sensation visuelle des œuvres du peintre. » Formé au Conservatoire de Lyon il a, depuis dix ans, adapté au théâtre: Fiodor Dostoïevski, Blaise Cendrars, Dante Alighieri, Mikhaïl Boulgakov… Artiste associé aux Célestins-Théâtre de Lyon, il y a créé ce spectacle qui, malheureusement, a depuis été  peu joué pour cause de covid.

 Immergé dans les couleurs et les formes tournoyantes qui envahissent le plateau, sans pour autant parasiter le texte, Thierry Jolivet trouve la juste diction, calme et obsédante et réalise un bel équilibre entre son interprétation, la composition musicale de Jean-Baptiste Cognet et Yann Sandeau, discrètement présents sur scène, le découpage vidéo de Florian Bardet, l’espace et les lumières de David Debrinay et Nicolas Galland. Les miroirs, démultipliant les tableaux, en effacent les contours et en explosent les cadres. Nous entrons en plongée dans les couleurs brutales appliquées au couteau, dans ces images de champs de blé, d’amandiers en fleurs au pied des Alpilles, de soleil implacable brûlant, jaune chrome numéro 3, comme l’absinthe. Apparaissent et s’entrelacent les visages de Joseph et Vincent, ceux des hommes et femmes qu’ils connurent, et les lieux qu’ils fréquentèrent ensemble. Des impressions du passé et lambeaux de vie nous mènent jusqu’à Saint-Rémy-de-Provence où fut interné Vincent. Et à Marseille où Joseph Roulin apprendra la mort de son ami et où il finira ses jours dans l’alcool, rêvant, en rouge qu’il était, aux lendemains qui chantent… Il céda son portrait, gratuitement, pour la gloire, à un marchand de tableaux parisien très chic qui lui en offrait pourtant une somme rondelette.

 Nous nous souviendrons longtemps de la voix tranquille de Thierry Jolivet, disant cette langue simple et belle, soutenu par les sonorités électroniques des synthétiseurs, mêlées à la chaleur des orgues dans une explosion de couleurs. Avis aux amateurs de théâtre, d’art et de littérature et aussi aux programmateurs : ne passez pas à côté de ce travail remarquable. A défaut, relisez ou lisez Pierre Michon…

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 1er février, Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème). T. : 01 43 13 50 50.

 Le texte est publié aux éditions Verdier.

 

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