Plouk(s) création librement inspirée du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l’histoire de Salah Oudjane, mise en scène de Louis Berthélémy
Plouk(s) création librement inspirée du recueil Plouk Town de Ian Monk et de l’histoire de Salah Oudjane, mise en scène de Louis Berthélémy
Ian Monk dans ses courtes poésies retrace la vie quotidienne pas spécialement exaltante des habitants de la périphérie lilloise. cela se passe dans un pauvre bistrot tenu par Salah Oujdane, un vieil émigré kabyle que tous fréquentent depuis longtemps. Ils aiment beaucoup cet homme qu’ils ont toujours connu et qui a réellement existé. Dans ce bistrot où on boit (trop) des bières pression, des cocas « allongés» et des whisky, on parle beaucoup aux autres et à soi-même, et on écoute pour seule musique, celle qui sort d’un juke-box.
Mais, comme tout le quartier, ce café est lui aussi menacé, puisque des promoteurs veulent le racheter mais Salah tient bon et ne veut pas lâcher, avec l’appui de toute sa clientèle. Bref, une sorte de Cerisaie du pauvre. Et ils viennent tous avec leurs bribes de vie, leur histoire faite de joies et de peines. Il y a là, entre autres, un grand maigre qui vient aider Salah maintenant âgé à ouvrir et fermer le bar, une jeune femme très bavarde, une autre qui vient de Paris voir où ses grands-parents ont vécu et travaillé, un grand escogriffe sympathique en instance de divorce qui remâche son histoire d’amour et qui fait tout pour continuer à voir sa petite fille, malgré un emploi de cuisinier très prenant… Une autre jeune femme qui a des relations difficiles avec son amoureux. Et ici, comme dans un village, chacun connaît les espoirs et les regrets des autres. Le passé a rendez-vous avec le présent mais quant à l’avenir, plus qu’incertain, personne n’ose trop en parler… Cela ne les empêche pas de rire et parfois de danser. Ces habitants d’un quartier populaire ont subi ou vont subir de plein fouet les conséquences d’un projet de réhabilitation d’un périmètre où les usines notamment textiles qui employaient par centaines Français, Polonais, Algériens…
C’était les Trente Glorieuses et le plein emploi. Mais depuis nombre d’industries ont été délocalisées et les usines ont fermé, les maisons individuelles ont disparu, rachetées à bon prix par les promoteurs. Et tout un cadre de vie disparaît. Avec la bénédiction de la Région et de l’Etat dont l’énarchie n’a jamais brillé par sa générosité.. Dernier rempart contre le capitalisme immobilier, reste le café de Salah. Né en Kabylie, en 1929, il débarquera à Marseille dans un bateau de marchandises, puis arrivera à Roubaix. Comme il l’avoue, il vit de contrebande de tabac et café avec la Belgique puis il trouve facilement du travail dans une usine .Et il réussit ensuite à acheter à crédit en 65 ce Bon Coin après avoir épousé Ginette et fait venir un juke-box des Etats-Unis qui a une succès immédiat. Et son café ne désemplit pas…
Quand ce territoire commencera à intéresser les promoteurs, il en refusera obstinément les offres. Il voulait céder son seul bien à son fils. Ce qu’il raconte déterminé mais d’un air las. Après bien des luttes, la société en charge de l’aménagement du secteur, sera mise en demeure de conserver ce vieux bistrot. Tout un symbole. David pour une fois aura triomphé de Goliath… Sur le plateau, un café d’autrefois avec quelques pauvres appliques, un sol aux carreaux en plastique rouge et noir, des murs délabrés, un bar avec machine à café et pompe à bière. Sur des étagères, quelques bouteilles d’apéritif et whisky. Et contre un mur, le fameux juke-box, quelques tables et chaises en bois, un puzzle de quelque 5.000 pièces entièrement reconstitué.
Cette première mise en scène a des qualités évidentes, d’abord une remarquable direction d’acteurs et un bon rythme. Ici, pas de vidéo ni micro HF Ouf! pour une fois ! Les personnages créés par Mael Besnard, Ahmed Hammadi-Chassin, Kenza Lagnaoui, Louise Legendre, Emma Meunier, Neil Adam Mohammedi, Edouard Penaud sont tous crédibles. Ces jeunes acteurs ont tous une bonne diction, ce qui devient exceptionnel (voir le compte-rendu dans Le Théâtre du Blog du Tartuffe mise en scène d’Yves Beaunesne!). Même le personnage de Salah joué -mission impossible- par un jeune comédien, finit par être convaincant. Mention spéciale à celui qui joue le père divorcé. Côté bémols: ce théâtre semi-documentaire est beaucoup trop long et il faudrait offrir une paire de ciseaux à Louis Berthélémy. Bon, cela n’est jamais facile une fois qu’un spectacle a été monté mais il faut faire vite. En effet, passées les soixante-dix minutes, il y a trop de scènes qui se répètent ou inutiles, des fausse fins et, dramaturgiquement, cela ne se justifie en rien. Mais bon, il faudra suivre ce jeune metteur en scène, ancien élève du Conservatoire National qui a participé à l’Ecole Nomade d’Ariane Mnouchkine. Elle a bien eu raison de l’inviter avec sa compagnie dans une salle du Théâtre du Soleil…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 13 février, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Métro : Château de Vincennes et ensuite navette gratuite.
T. : 07 66 19 36 35 ou resaplouks@gmail.com