Le Tartuffe ou L’Imposteur de Molière, mise en scène d’Yves Beaunesne

Le Tartuffe ou L’Imposteur de Molière, mise en scène d’Yves Beaunesne

 Et encore un Tartuffe!  Décidément, la célèbre pièce n’a pas beaucoup de chance avec les mises en scène de Macha Makeieff puis d’Ivo van Hove (voir Le Théâtre du Blog).  Elle vient aussi d’être créée au Théâtre de Liège ce mois-ci. «Comme dans Parasite de Bong Joon-ho, dit Yves Beaunesne, c’est une satire sociale où l’on se demande qui, des riches ou des pauvres, est le parasite de l’autre… Tartuffe essaye de résister au mal, sans se prendre pour autant pour une incarnation du bien. (…) J’ai désiré retrouver une situation où, à l’image d’avant 68, la France vit des années dites de «reconstruction», des années où une certaine liberté gagne la jeunesse, où le besoin de vivre est ardent, une période où, après les horreurs et les privations, souffle un vent de liberté et un besoin de dévorer la vie. » Pas très convaincant….

Sur le plateau « nu »du Théâtre Montensier, sans pendrillons, une scénographie signée Damien Caille-Perret. Une grande table nappée de blanc avec théière et tasses, un grand pot en terre cuite où Orgon mettra un bouquet de fleurs. Cette table se révélera être ensuite un billard, quelques tables rondes avec lampes de chevet, un grand canapé en cuir Chesterfield, des chaises de cuisine en formica et, dans le fond, un synthé avec quelques bancs… Accrochés au-dessus du plateau, côté jardin, un grand miroir, un en tôle, trois lustres en cristal et deux autres suspendus devant le manteau d’Arlequin. Tout ce bric-à-brac n’a rien de signifiant et tient plus d’une brocante sur un plateau de théâtre nu, que d’une maison bourgeoise. Et on ne voit pas,à moins de lire la note d’intention d’Yves Beaunesne, que «Cela se passe dans les Trente Glorieuses, dit-il, avec des Orgon qui sont les représentants d’un milieu où l’argent coule à flot… J’essaye donc de tisser un parallèle historique fécond, en rapprochant les années 1960 avec le XVIIe siècle.»

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Bref, c’est mal parti… Et il a des erreurs flagrantes dans cette scénographie et dans cette mise en scène : sur un plateau très encombré, la circulation des acteurs se fait mal. Et comme il est nu de tout rideau (un des stéréotypes du théâtre contemporain), les voix se perdent dans les cintres. Nicolas Avinée, Noémie Gantier, Jean-Michel Balthazar, Johanna Bonnet, Léonard Berthet-Rivière, Victoria Lewuillon, Benjamin Gazzeri-Guillet, Maria-Leena Junker, Maximin Marchand, Vincent Minne, Antoni Sykopoulos font le boulot mais ne sont pas crédibles: peu ou mal dirigés sauf Elmire et Tartuffe à quelques moments… Malgré une médiocre sonorisation qui, ce soir-là,  avait des défaillances, on les entend et surtout on les comprend surtout très mal. Pas de mystère… Rappelons à Yves Beaunesne que les alexandrins ont été écrits par Molière pour être dits comme des alexandrins, donc avec six pieds et pas quatre ou quatre et demi... Une diction est une technique INDISPENSABLE au jeu de l’acteur. Comme le disait à ses élèves, Stella Adler (1901-1992) la prof de tous les grands acteurs du cinéma américain: «Vous devez améliorer vos qualités vocales. Cela passe pour la télévision mais c’est trop juste pour le théâtre. (…) Je veux que vous réfléchissez à votre façon de parler. Lorsque vous vous tenez sur scène, vous devez avoir l’impression de vous adresser au monde entier. « (…) Vous ne pouvez pas parler sur scène comme vous parlez dans la vie, cela ne fonctionne pas. » Et le grand acteur polonais Andrej Seweryn avait demandé à une candidate au concours de l’École de Chaillot : «Allez au fond de la salle, montez sur une chaise, dites votre texte simplement mais en vous adressant à huit cent personnes. Je me suis fait bien comprendre? »

Quant à la mise en scène, Yves Beaunesne dans sa note d’intention dit des choses intéressantes,  entre autres sur la période dite des Trente Glorieuses. Mais le parallèle ne ne fonctionne pas comme il le croit un peu naïvement et nous n’en retrouvons rien ici. Que viennent faire ces chœurs religieux de Camille Rocailleux : Ave Verum, O Salutaris, Gospel et le Stabat Mater chantés par les acteurs assis sur des bancs en fond de scène et accompagnés au synthé ? Pour dire l’importance du catholicisme sous Louis XIV? Pourquoi Tartuffe hurle-t-il au micro Precious Lord, une chanson rock du même pianiste et compositeur? Au moins, cela distrait et pendant quelques courtes minutes, nous n’entendons pas ces pauvres alexandrins esquintés comme jamais… Pourquoi, à la toute fin, Tartuffe est-il aussi longuement bousculé et frappé par toute la famille? Pourquoi faire jouer, souvent dans la pénombre, les acteurs dans des costumes aussi laids qu’approximatifs? Et en fond de scène et souvent de dos ou de trois quarts, ce qui n’arrange rien. Des erreurs et approximations que même un metteur en scène débutant ne commettrait pas. Ce qu’Yves Beaunesne n’est en rien. Vraiment un tel travail reste incompréhensible à la fois dans sa dramaturgie et sa médiocre direction d’acteurs.


Allez du Vignal, un petit effort, il y a bien quelque chose à sauver de ce naufrage? Oui, quand même:  la seconde -et célèbre- scène entre Elmire et Tartuffe. Elle quitte pantalon et chemisier et vite fait,  s’habille en grande robe noire, puis chaussée d’escarpins rouge vif, se laisse -presque- séduire, allongée sur le billard par un jeune Tartuffe jeune qui reste méfiant. Elle l’embrasse fougueusement en silence et lui enlève sa chemise. Là enfin, Nicolas Avinée et Noémie Gantier sont un Tartuffe et une Elmire qui commencent  à exister pendant quelques minutes. Et il y a alors un léger frémissement comme si la pièce commençait à exister… Mais pour le reste, les habitants de Versailles et ceux des villes où le spectacle ira en tournée, méritent mieux que cela.

«Laissons au verbe toute latitude, dit le metteur en scène, pour s’inventer tout seul dans l’esprit et le cœur du spectateur, plus affamé qu’on ne veut nous le faire croire. » Soit ! Encore faudrait-il qu’il ne nous serve pas ce texte formidable en bouillie. Nous sommes en colère et nous le disons : il y a des limites! Encore une fois, le minimum syndical en Belgique comme en France, est de dire correctement la langue de Molière. Tartuffe comme Dom Juan ou L’Avare font partie d’un trésor national vivant exceptionnel. Ces pièces écrites dans une langue formidable, restent compréhensibles plus de quatre siècles après leur création! Alors pourquoi infliger ce traitement à Tartuffe où «la clarté de la narration» que revendique Yves Beaunesne, n’apparait jamais.  Et quant à  « l’authenticité et un Tartuffe résistant, avec une parole fondamentalement humaniste », désolé mais ce n’est pas avec ce genre de pirouettes dramaturgiques qu’on séduit un public… Et nous nous sommes ennuyés. Soyons honnêtes: les acteurs, nous a-t-on signalé, ont choppé le micron et des représentations ont été annulées, ce qui  peut expliquer en partie du moins, leur manque de dynamisme. Mais quand le metteur en scène veut nous montrer le parallèle entre la gloire du Roi Soleil et les Trente Glorieuses… encore une fois, il faudra repasser.

Une lueur d’espoir? Le spectacle gagnerait sans aucun doute déjà beaucoup si Yves Beaunesne revoyait la scénographie en plus sobre,  s’il faisait concevoir de vrais éclairages et surtout s’il voulait bien dispenser de micro ses acteurs et les diriger vraiment pour les rendre crédibles et incarner leur personnage. Il y a encore du boulot mais, comme le disait déjà Guillaume d’Orange: «Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » En attendant, vous aurez sans doute compris qu’il vaut mieux vous abstenir d’y aller et surtout, vous les profs de français et/ou de théâtre, n’y emmenez pas vos élèves: ce serait à jamais les dégoûter des pièces classiques, voire même contemporaines… 

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 6 février, Théâtre Montansier, Versailles (Yvelines).

Centre des Bords de Marne, Le Perreux (Val-de-Marne) le 10 février. L’Azimut à Châtenay-Malabry (Hauts-de Seine), les 16 et 17 février.

Scène Nationale d’Albi (Tarn), les 7 et 8 mars. Théâtre Alexandre Dumas, Saint-Germain-en-Laye, (Yvelines), 18 mars. Théâtre la Colonne à Miramas (Bouches-du- Rhône)), le 22 mars.  L’Olympia, Arcachon (Gironde) le 29 mars.

Théâtre de Suresnes-Jean Vilar, le 1er avril. Théâtre Jean Arp, Clamart (Hauts-de-Seine), le 2 avril.

Scène nationale du Grand Narbonne (Hérault) le 5 avril. Théâtre Molière Sète-Scène Nationale Archipel de Thau, ( Hérault) les 7 et 8 avril. Théâtre de Nîmes (Gard) du 12 au 14 avril. Théâtre de la ville de Luxembourg du 20 au 22 avril.

Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence ( Bouches-du-Rhône) du 3 au 7 mai. Équinoxe-Scène Nationale de Châteauroux, (Indre-et-Loire) le 10 mai. L’Arsenal-Val de Reuil (Eure), le 13 mai.

 

 

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