Adieu Madeleine Laïk
Adieu Madeleine Laïk
Née en 1944 à Oran, qu’elle avait quittée durant la guerre d’Algérie, elle en avait de cette ville gardé l’accent et elle en était nostalgique. Docteur en psychologie et sociologie, elle s’engage avec fougue dans le mouvement féministe et va alors se consacrer à l’écriture. Fille ou garçon aux éditions Denoël posait déjà, en 1977, la question du genre. Dans La Peur qu’on a (1979) elle approfondit son enquête.
Elle créé en 1980 Les Téléfériques, un collectif de dix femmes qui organise des ateliers d’écriture pour adolescents, surtout en milieu défavorisé. A partir de cette expérience, elle écrit puis réalise en 1983, un long métrage Un Homme à l’endroit, un homme à l’envers.
Transat, sa première pièce, éditée par Théâtre Ouvert et traduite en plusieurs langues, a été mise en scène par Michèle Marquais. Suivront Double commande et Les Voyageurs. Des œuvres comme Les Voyageurs et Didi Bonhomme sont présentées au Salon des auteurs de Poitiers en 1986 et 1987. Joyeux anniversaire et Extérieur vie ont été montés en 1993 à La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Le Fada a été diffusé à France Culture dans le cadre du nouveau répertoire dramatique contemporain. En 1998, les Editions Théâtrales publient La Nuit blanche. Et Alors j’ai crié sera mise en scène par Marie-Do Fréval en 2003 et l’année suivante, La Lettre recommandée sera lue à la Maison du off au festival d’Avignon.
Parallèlement à son travail d’écrivain, Madeleine Laïk lance en 1995 des «commandos d’écriture» qui dans un esprit d’agit-prop, réunissent auteurs, comédiens, metteurs en scène et donnent lieu à des manifestations au Théâtre de la Tempête, au Centre national du Théâtre, à la Maison des Ecrivains, au Dix-Huit Théâtre, au Lavoir moderne Parisien… Une belle aventure collective. Toute sa vie, elle restera engagée auprès des plus fragiles, partageant avec nombre d’adolescents, sa rage d’écrire et traduisant leur aspiration à une plus grande justice sociale et à une réelle égalité entre hommes et femmes.
Une œuvre à redécouvrir…
Mireille Davidovici
Cérémonie d’adieu le jeudi 3 février à 13 heures, au crématorium du cimetière du Père Lachaise, Paris (XX ème).
Hommage à Madeleine Laïk
J’ai failli intituler ce papier sur Madeleine : Laïk on the Beach. D’abord parce que Madeleine adorait les titres : Un homme à l’endroit-un homme à l’envers, Double Commande, Le Permis de démolir, Toute ressemblance, Extérieur Vie, La peur qu’on a… ensuite parce que Madeleine adorait la plage, la liberté et la sensualité de la plage, la salubrité de la mer, l’éblouissement du soleil… la sensation du vent dans ses cheveux, le plaisir de porter des lunettes de soleil, de marcher pieds nus, de s’attabler à une terrasse, de mettre son rouge à lèvres et d’attendre son verre de rosé, en fumant une cigarette blonde négligemment glissée dans le fourreau d’un fume-cigarette en bakélite.
Laïk on the beach… Non pas que l’univers théâtral de Madeleine ait grand-chose à voir avec celui de Bob Wilson* dont elle aimait prononcer le nom. Comme tous ces noms américains qu’elle trouvait infiniment sexy à prononcer: Kim Bassinger, Faye Dunaway, Warren Beatty, Marlon Brando, John Cassavetes, Gena Rowlands… mais parce qu’elle partageait avec Bob Wilson un sens profond de l’ellipse et le culte de l’espace-temps: les personnages dans le théâtre de Madeleine ont toujours eu une relation particulière à l’espace-temps, une conscience aigüe de la relativité de l’existence. «Changer de statut et s’emporter avec soi au moment où l’on part, interrompre une cigarette au milieu, en commencer une autre pour ne pas se quitter tout de suite, dérouler le film de ses gestes futurs, se confondre avec les gens d’en face… disparaître pour mieux se retrouver.»
Dans le continuum dramatique de Madeleine, l’irréfutabilité de la présence et l’écoulement inexorable du temps se dissolvent dans le paroxysme d’un état où la réalité se colore d’une familière étrangeté. La pluie, un pigeon, l’Obélisque de la Concorde s’imposent alors dans toute leur soudaineté. Détourés de l’espace, les choses et les êtres se dispersent en autant de formes incongrues contenant en elles-mêmes la virtualité de leur absence. Le trop-plein et le trop-vide alternent ainsi dans une sorte d’ «aberration logique» où l’intuition d’un huitième jour de la semaine : Troudi, crève -à la façon d’un trou noir dans l’espace- la membrane fragile de la signifiance.
Si Troudi n’apparaît explicitement que dans Les Voyageurs, la figure de Troudi jalonne en revanche tout le théâtre de Madeleine. Ce sont les pulsions de Sophie qui, dans Transat, ne résiste plus à tout «balancer» par la fenêtre, y compris sa propre vie. Ce sont les « flips », les « trous », les «pannes», les «passages à vide» de Tommy, toujours dans Transat. C’est, dans Double Commande, la « prise de la chambre par les pigeons où l’occupation du lit se déroule dans le plus grand silence.» Ce sont, dans La Passerelle, les passages du Visiteur après lesquels « Sam se sent toujours un peu mou, comme désossé, avec des gestes au ralenti.» Ce sont enfin les monologues de l’Artiste dans Les Voyageurs, le temps d’un trajet dans le bus 68, quelque part entre la Place Blanche et le cimetière de Montrouge: «Je préfère être seul pour voyager en commun. D’ailleurs, le plus souvent je préfère être seul… les témoins, les vrais témoins sont toujours des hommes ou des femmes seuls… des SEULS…»
Dominique Proust
* Cf Einstein on the Beach, le célèbre opéra de Philip Glass et Robert Wilson, créé en 1975 au Festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog).
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