Ciel, mon mari, d’après Georges Feydeau, adaptation d’Emmanuelle Hamet, mise en scène de Luq Hamett
Ciel, mon mari, d’après Georges Feydeau, adaptation d’Emmanuelle Hamet, mise en scène de Luq Hamett
Acteur, metteur en scène et directeur du Théâtre Edgar depuis 2014, Luq Hamett a repris en l’actualisant parfois Le Mariage de Barillon, une pièce peu connue de Georges Feydeau créée en 90 juste avant ses premiers succès en 92 avec Monsieur Chasse, Le Système Ribadier, puis en 94 des œuvres qui lui apporteront la consécration : Un Fil à la patte, L’Hôtel du Libre-Echange et deux ans plus tard, Le Dindon.
Mais à vingt-huit ans, ce franco-polonais sait déjà jouer comme personne avec le langage et inventer les situations les plus délirantes pour ce vaudeville aux huit comédiens et trois comédiennes. Ecrite en collaboration avec Maurice Desvallière, cette histoire rocambolesque d’une cérémonie de mariage qui tourne mal est de la patte d’un grand dramaturge .
Pour faire vite -c’est toujours compliqué chez Feydeau- cela se passe d’abord à la mairie où un gros et riche bonhomme, la quarantaine et amoureux fou, va épouser Virginie, une jeune fille adorable. Elle aime déjà Surcouf un jeune et beau vétérinaire mais bizarrement elle dira oui à monsieur le maire. Mais à cause d’un formulaire administratif truffé d’erreurs par un employé de mairie qui lève trop souvent le coude, le gros monsieur épouse en fait sa future belle-mère, la redoutable et agressive Madame Jambart. Et ce qui est signé est juridiquement valable….Mais Jambart, le premier mari de celle-ci, un pêcheur de morue, disparu en mer au lendemain de ses noces, revient tout d’un coup accompagné d’un phoque… Cette irruption d’un beau et solide gaillard va encore compliquer la situation et la simplifier en même temps. Et bien entendu la belle Virginie pourra ainsi épouser son beau vétérinaire. Avec quiproquos et malentendus permanents, nous sommes bien chez Feydeau ; inutile de chercher une quelconque vraisemblance sinon cette histoire loufoque ne fonctionnerait pas une seconde. Jurons, mots inventés ou utilisés à contre-sens, jeux de mots. Brigot J’y suis bien, moi ! et je ne suis que témoin. J’ai quitté mon hôpital pour lui. Topeau. Vous étiez à l’hôpital ? Brigot. Oui, un hôpital pour animaux. Flamèche. Ça ne m’étonne pas ! Brigot: soulevant son chapeau. Je suis vétérinaire, à Troyes! Flamèche C’est vous qui soignez le cheval ? Brigot. Quel cheval ? Flamèche. Le cheval de Troie. » Ou encore cette discussion surréaliste avec madame Jambart. » Mon second mari aussi, d’ailleurs ! ce brave Jambart ! je l’ai rendu bien heureux. J’ai rendu tous mes maris heureux ! Barillon. Eh ! bien, oui ! Tant mieux pour eux ! Madame Jambart. Elle sera comme moi, elle rendra tous ses maris heureux. N’est-ce pas, fillette ? Barillon faisant une tête. Hein !Virginie.Je tâcherai, maman ! Barillon. Eh ! bien, vous êtes gaie, vous ! Tous ses maris !
Et Georges Feydeau affuble ses personnages de noms de famille curieux comme ici Flamèche, Barillon, Jambart, Surcouf,Virginie Pornichet, rappelant le Bouzin du Fil à la patte, le Van Putzeboum d’Occupe-toi d’Amélie ou encore les Chouilloux et Follavoine d’On purge bébé… Précédant les fameux Fartov et Belcher imaginés par Samuel Beckett dans En attendant Godot.. Feydeau est passé maître dans ce dérèglement radical du langage.
Sur la très peu profonde petite scène, d’abord une sorte de tribune d’où le maire prononcera le mariage et sur un guéridon, un petit buste qui a des airs de Marianne? Puis un décor d’appartement avec trois portes qui claquent (un peu trop souvent) dans la bonne tradition du boulevard. Et dans costumes assez laids. Ici seulement sept acteurs : Gwénola de Luze, Luq Hamett, David Martin, Jean-Marie Lhomme, Stephan Ronchewski, Emmanuel Vielly et Rosalie Hamet interprètent avec bonne volonté et une excellente diction -par les temps qui courent, c’est déjà cela de pris- ces personnages loufoques, empêtrés dans des situations inextricables mais qui sont loin d’être des imbéciles caricaturaux comme Luq Hamett semble l’avoir imaginé… La circulation se fait difficilement sur cette scène aussi étroite et la direction d’acteurs est assez floue: les acteurs criaillent trop souvent et il n’y a pas guère d’unité de jeu. Manque en fait une vérité composée de petites vérités, aussi bien gestuelles qu’orales. Mention spéciale toutefois à Rosalie Hamet dans le petit rôle de la jeune fille, la seule qui soit vraiment crédible dans un ensemble assez lourd. Et cela fonctionne quand même? Oui, quand même parfois mais jamais très bien. Une partie du public rit et l’autre pas… ce qui n’est jamais bon signe. Ici, mieux vaut donc ne pas être trop difficile. Désolé, si vous êtes un peu exigeant, vous trouverez que cela manque d’envergure, sonne souvent faux et fait un peu vieux théâtre. Bref, le compte n’y est pas vraiment… Georges Feydeau mérite sans aucun doute, bien mieux que cette adaptation approximative et un poil longuette.
Philippe du Vignal
Théâtre d’Edgar , 58 boulevard Edgar Quinet, Paris ( XIV ème). T. : 01 42 79 97 97