Somehow Myself Survived The Night, conception et chorégraphie d’Alban Richard, musique d’Arvo Prat

Somehow Myself Survived The Night, conception et chorégraphie d’Alban Richard, musique d’Arvo Prat

© Agathe Poupeney

© Agathe Poupeney

 Anthony Barreri, Nicolas Chaigneau, Yannick Hugron, Adrien Martins et Alban Richard, tous en noir, sortent les uns après les autres, s’immobilisent et pivotent, face au public disposé en demi-lune comme l’avait demandé Isabelle Danto, programmatrice de l’opération Danse dans les Nymphéas. Ils gagnent le cœur de la clairière. Derrière eux, l’immense tableau de Claude Monet avec ses tons vifs et ses modulations. Une atmosphère bleuissante enveloppe les corps. Pour Laurence Louppe, critique et historienne de la danse contemporaine qui s’est envolée il y a juste dix ans, l’acte de danser relève d’une décision et précède tout élan. Il n’existe pas de danses tristes et la décision, un pré-mouvement, est le noyau de l’être chez  l’interprète. Il existe avant la technique et les choix artistiques et  se situe toujours dans ce qui n’a pas encore été dansé.

Silouan Songs (1991) la musique d’Arvo Part a été déconstruite par un logiciel. Alban Richard ne sépare pas musique et danse mais les entremêle dans une sorte d’étreinte… Merce Cunningham et  John Cage affirmaient l’autonomie de la musique comme celle de la danse. Mais Alban Richard les  rapproche et chez lui, un instant musical interrompt un instant dansé. Des postures se suspendent, vibrent. De quel temps, viennent ces figures, ces pauses, ces corps repliés ou ces bras ouverts, ces têtes qui se courbent, ces torsions ? Les danseurs sont saisis par le temps pur qui;  comme s’il était de passage, il les incarne. Un tempo épidermique. Les tableaux de la Renaissance, de Lippi au Caravage, offrent nombre de postures. «La civilisation médiévale, dit Jacques Le Goff, a parfois été appelée «civilisation du geste ».
Que deviennent ces êtres de couleurs?  Un écrivain de cette époque opéra le transfert du temps pictural, au temps littéraire:  Dante, avec La Divine comédie, offre la plus belle collection de postures, redoublées par les images de Botticelli. Ces bras ouverts, contorsions, visages dans les paumes de mains constituent une réserve de gestes pour la danse. Ici, les cinq interprètes sur un rythme vif,  évoluent sur place. Ce qui leur permet de se situer sur certaines longueurs d’ondes. Le temps pur ignore les dates, les mois, les années.  « Si l’on ne pouvait, écrit Emily Dickinson, observer rien de plus important qu’un Monde Sortant de ses Gonds. » Le titre de cette pièce est justement le premier vers d’un de ses poèmes : «Je ne sais comment j’ai survécu à la Nuit Et je suis entrée avec le jour – Il suffit aux Sauvés d’être sauvés. »

Mourir dans la vie, vivre dans la mort conduit au temps pur, à celui qui sort de ses gonds. Alban Richard montre ici une pièce faite de syncopes, d’interruptions. Où passe-t-on pour créer ? Par des comas partiels qui changent le niveau de la pensée et qui la retournent. Il n’y a rien de psychologique. Ici, deux instants se superposent: le chorégraphique et le musical mais qui ne peuvent coïncider:  leurs moyens diffèrent et un hiatus subsiste. Ce petit écart rend possible un chevauchement entre les instants. Paul Cézanne appelle, modulation, cette pratique. Alban Richard superposa instant chorégraphique et musical, et instant plastique dans ce Somehow Myself Survived The Night, qui avait été dansée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2014 , en rapport avec les merveilleuses sculptures en lambeaux de David Altmejd. Les trous dans les figures révélant des cavités de cristal et diffractant les durées. Si unité des arts, il y a, elle doit se construire et chaque art invente des rapports aux autres et ils naissent par affects (voir L’Ethique de Spinoza). Ils associent les forces de plusieurs corps, changent leur composition de vitesse et de lenteur….

Bernard Rémy

Cette pièce a été dansée au musée de l’Orangerie, à Paris, le 24 janvier dans le cadre de Danse dans les Nymphéas. Elle le sera prochainement à Kaumas (Lituanie), nommée capitale européenne de la Culture.
Le prochain rendez-vous : Boléro 2 et Etrangler le temps de Boris Charmatz, Emanuelle Huynn a eu lieu aujourd’hui  31 janvier.
Aymn moi de François Chaignaud, le 21 février.

 

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