Le Plancher de Jeannot, texte d’Ingrid Thobois, adaptation et mise en scène de Sylvain Gaudu

Le Plancher de Jeannot, texte d’Ingrid Thobois, adaptation et mise en scène de Sylvain Gaudu

Au départ, une tragédie dans la campagne profonde du Béarn, aux environs de Lembeye (Pyrénées-Atlantiques). Une famille issue d’un village voisin achète une grande ferme et ses champs que le père de famille va rapidement faire prospérer.
Jeannot, le fils, très bon élève à l’école et qui aurait aujourd’hui quatre-vingt-trois ans, fait son service militaire et est vite envoyé « pacifier’ l’Algérie, comme on disait… Quand il en revient, son père veut qu’il reprenne la ferme, ce qu’il ne souhaitait pas. Mais il cède à une condition: avoir un un tracteur, alors que pas un agriculteur dans le pays n’en avait…
Mais la tragédie commence avec le suicide du père qui va se pendre… Jeannot continuera à vivre avec sa sœur et sa mère dans la maison familiale. Déjà atteint de schizophrénie, il profère des menaces de mort contre ses voisins et tire un coup de fusil quand il est dans leur maison. Le médecin du village va alors faire procéder à un placement d’office mais les gendarmes venus le chercher renoncent : Jeannot les menace avec son arme.

La famille fait alors le vide autour d’elle puis la mère de Jeannot meurt dans sa maison. Curieusement, il obtient de la mairie qu’elle soit enterrée sous l’escalier intérieur… Lui ne se nourrit presque plus et mourra l’année suivante à trente-trois ans.
Entre temps, dans la solitude la plus extrême, il écrit ce texte où il semble vouloir régler ses comptes avec l’ordre imposé par la société et surtout avec l’Eglise. Ces quelques lignes n’ont rien d’exceptionnel mais font penser à ceux de Jeanne Tripier, cette autre artiste d’art brut qui, en 1934, s’identifiait, elle… à Jeanne d’Arc, pour préparer le Jugement dernier.
Ici, c’est surtout l’acte gestuel et son graphisme qui compte.« Imaginez, dit le psychiatre Jean-Pierre Olié, un jeune type, tout seul à quatre pattes dans sa piaule, en train de graver ses délires dans le sol: Jeannot s’est crucifié lui-même sur ce plancher. »
Avec une remarquable ténacité, il gravera en effet au couteau et poinçonnera sur les seize m2 du plancher de sa chambre, ces phrases uniquement en majuscules dont il faut au moins citer un extrait :

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« LA RELIGION A INVENTE DES MACHINES A COMMANDER LE CERVEAU DES GENS ET BETES ET AVEC UNE INVENTION A VOIR NOTRE VUE A PARTIR DE RETINE DE L’IMAGE DE L’ŒIL ABUSE DE NOUS SANTE IDEES DE LA FAMILLE MATERIEL BIENS PENDANT SOMMEIL NOUS FONT TOUTES CRAPULERIE L’EGLISE APRES AVOIR FAIT TUER LES JUIFS A HITLER A VOULU INVENTER UN PROCES TYPE ET DIABLE AFIN PRENDRE LE POUVOIR DU MONDE ET IMPOSER LA PAIX AUX GUERRES L’EGLISE A FAIT LES CRIMES ET ABUSANT DE NOUS PAR ELECTRONIQUE NOUS FAISANT CROIRE DES HISTOIRES ET PAR CE TRUQUAGE ABUSER DE NOS IDEES INNOCENTES RELIGION A PU NOUS FAIRE ACCUSER EN TRUQUANT POSTES ECOUTE OU ECRIT ET INVENTER TOUTES CHOSES QU’ILS ONT VOULU ET DEPUIS 10 ANS EN ABUSANT DE NOUS PAR LEUR INVENTION A COMMANDE CERVEAU ET A VOIR NOTRE VUE A PARTIR IMAGE RETINE DE L’ŒIL NOUS FAIRE ACCUSER DE CE QU’IL NOUS FON A NOTRE INSU C’EST LA RELIGION QUI A FAIT TOUS LES CRIMES ET DEGATS ET CRAPULERIE (…)
« Les écrits bruts échappent, dit finement l’écrivain belge Frédéric Baal, dans une réédition des Ecrits bruts de Michel Thévoz,  aux carcans de la syntaxe et du lexique qui sont les lieux d’inscription des préjugés de classe. (…) Ils  mettent en déroute le dépôt de valeurs qu’est la langue.  (..) Asociaux, ils dynamitent moins le langage, ses valeurs régressives, qu’il ne les gaspille. (…) Ils bousculent le lexique, redistribuent comme à plaisir, les catégories grammaticales, ignorant l’orthographe, les majuscules ou la ponctuation… »

Après la mort de Jeannot en 72, sa sœur Paule, vêtue un vieux sac à pommes de terre et refusant toute aide alimentaire, mourra elle aussi assez vite. Et, à la vente de la propriété en 93, miracle: l’épouse d’un brocanteur venu acheter les meubles découvre avec lui ce fabuleux plancher… Bref, sur fond de psychose, une tragédie familiale dans le France paysanne de ces années-là aura donné naissance à une œuvre d’art brut devenue légendaire…
Pour atteindre ce degré de schizophrénie, Jeannot a-t-il été traumatisé par ce qu’il avait vu en Algérie ? Par le suicide de son père ? On a aussi parlé d’inceste, aussitôt démenti par la famille… Bref, de ce qui s’est passé il y a un demi-siècle, on ne saura jamais sans doute jamais grand chose. Peu importe: reste cette œuvre exceptionnelle d »art brut » très émouvante. Et créée in situ, pourrait-on dire, même si le mot est réservé à des œuvres d’art plus conventionnelles.

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Sylvain Gaudu a voulu porter à la scène, avec  un monologue dit par Catherine Andreucci, une transcription de cette histoire racontée dans un roman. «Notre démarche essaie de faire tomber les a priori sur la folie et d’en reconsidérer l’approche. (…) «Ce fait divers est un exemple tragique des conséquences de l’isolement social sur notre construction mentale.»
Le Plancher de Jeannot traite des non-dits, de la violence, de la peur de l’autre au sein d’une famille. » Soit, mais cette adaptation en un langage qui se veut poétique sur cette tragique histoire, ne parle jamais de ce fameux plancher. Il y a donc tromperie sur la marchandise par rapport au titre énoncé.
Manquent le contexte social et l’histoire personnelle de ce pauvre Jeannot  qu’il vaut mieux déjà connaître, si on veut saisir le spectacle. Le metteur en scène n’a pas voulu tomber dans un archéologie paysanne et il a eu raison mais sa mise en scène ne fait jamais sens. Pourquoi les nombreux seaux de sciure que Catherine Andreucci jette, puis balaye ? Pourquoi ces fumigènes derrière un buffet faux acajou des années cinquante? Pourquoi l’actrice est-elle aussi mal costumée  avec une grande robe de toile,  un collant sans pieds et de grosses chaussures de randonnée?
Elle a une belle présence et dit correctement, mais presque toujours face public, un texte assez insignifiant.  Comme si elle voulait s’excuser de sa platitude, elle garde un perpétuel sourire… Cela dure une heure juste  nous l’écoutons donc volontiers mais aucune émotion n’arrive à surgir de cette médiocre réalisation…
Au moins, cela vous aura sûrement donnée envie d’aller voir ou revoir ce bouleversant Plancher de Jeannot à l’adresse indiquée ci-dessous. Ce prodigieux artiste méritait bien cela. Pour le reste, autant en emporte les vents béarnais …

Philippe du Vignal

Jusqu’au 25 janvier, Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier).

Le Plancher de Jeannot d’Ingrid Thobois, éditions Buchet Chastel (2015).

Réquisitoire. Le Plancher de Jeannot de Jean-Pierre Olié, photographies de Martin d’Orgeval, Editions du Regard, (2007)

Depuis 2007, Le Plancher de Jeannot est exposé dans de grandes vitrines sur le trottoir de l’hôpital Sainte-Anne, 7 rue Cabanis, Paris (XIV ème).


Archive pour janvier, 2022

Pôles de Joël Pommerat, mise en scène de Christophe Hatey et Florence Marschal

Pôles de Joël Pommerat, mise en scène de Christophe Hatey et Florence Marschal

Vingt ans ans après avoir joué dans la version originale de Pôles, la première pièce éditée en 2002 et mise en scène par son auteur, Christophe Hatey veut faire redécouvrir la seule qu’à l’époque Joël Pommerat voyait à comme aboutie. A l’époque, il n’était pas encore devenu le metteur en scène et dramaturge maintenant célèbre de textes aussi exemplaires que Pinocchio, La Réunification des deux Corées, Au Monde ou ça ira Fin de Louis (voir Le Théâtre du Blog) « L’action se situe dans un pays d’Europe, en paix depuis cinquante ans ». Il y a ici Elda Older, Jean, un voisin d’Elda, Alexandre-Maurice, Walter, le frère d’Elda, Jessica, une amie d’Alexandre-Maurice, Saltz, le frère d’Alexandre-Maurice et la mère d’Alexandre-Maurice et de Saltz.

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©Virginie Gibert

Elda Older a de sérieux problèmes de mémoire. Elle rencontre Alexandre-Maurice, le modèle que fait travailler son frère sculpteur dont elle paye le loyer de l’atelier. Mais comme elle oublie de le faire, toute l’œuvre et les affaires personnelles de son frère vont se retrouver sur le trottoir. Elle recueille ce modèle chez elle et veut lui faire écrire son histoire: vingt ans plus tôt, dans un appartement qui ressemble étrangement au sien, vivaient Alexandre-Maurice, son frère Saltz et leur mère impotente. Mais les propriétaires menacent de les expulser. Pour protéger sa mère, Alexandre-Maurice l’aurait-il tuée ? »

 Le dramaturge cherche et réussit souvent à provoquer le trouble chez le spectateur, en brouillant les pistes et balader sa pièce entre présent et passé donc avec des personnages d’âge mûr et leurs doubles encore jeunes. Mais tout aussi tourmentés… Bref, une version XXI ème siècle du fameux vers de Chimène dans Le Cid de Pierre  Corneille:  «Le passé me tourmente et je crains l’avenir.» Et les didascalies sont très précises: « Vingt ans auparavant. A l’aube. Dans un appartement identique au précédent. Alexandre Maurice, vingt ans plus jeune, est assis sur une chaise, près d’une grande fenêtre. Il est endormi, la tête tombant sur la poitrine, le corps complètement relâché, dans une position étrange. Au fond, un couloir. »
Et plus loin, dit Elda, « J’ai pensé même si cela devait vous paraître insensé… J’ai pensé que pour vous permettre de faire toute la lumière à l’intérieur dans vos idées, il vous serait nécessaire d’écrire un livre, Alexandre-Maurice. (s’emportant, s’exaltant peu à peu) Moi je pense que vous ne pourrez jamais devenir libéré si vous restez comme ça dans votre anonymat sans rien comprendre à ce qui vous est arrivé il y a vingt ans. Parce que votre aventure n’est pas une aventure ordinaire, elle passionnerait un large public, c’est évident. Il faut que toute cette haine, cette rancœur, cette violence dirigée contre votre mère, que vous puissiez vous la raconter enfin cette haine. »

« Elda Older, Alexandre-Maurice, et les autres, dit le metteur en scène, tous sont des êtres inadaptés, inaccomplis (…) empêchés dans leurs parole ou au contraire, déversant une véritable logorrhée pour exister ; la langue très particulière, à la fois écorchée et comique, dont Joël Pommerat affuble ses personnages illustre bien l’absurdité de leur vie, de leurs illusions. Pôles possède un rythme et une personnalité qui s’impose comme une évidence. Il s’agira de s’approprier cette parole si imagée pour raconter la drôle et pathétique histoire de la rencontre d’Elda Older avec Alexandre-Maurice Butofarsy. »

Sur cette petite scène frontale à l’inverse des grands plateaux souvent bi-frontaux qu’aime Joël Pommerat, rien de réaliste ou presque: deux châssis-paravents que l’on déplacera et une chaise noire puis trois autres à la fin. Mise en scène et direction des plus rigoureuses avec de bons acteurs comme, entre autres la co-metteuse en scène Florence Marschal (Elda) et Aurore Mejeber (la jeune Elda). Christophe Hatey (Jean) et le remarquable Roger Davau, plus vrai que nature. Un homme buté dans son mutisme et son impossibilité à percevoir le réel (il y faut une sacrée intelligence d’acteur).

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©x Virginie Gibert    Roger Davau

Il y a ici une belle unité de jeu et un rythme tenu jusqu’au bout de ces deux heures. Mais bon, les metteurs en scène se débrouillent au mieux avec ce texte sans aucun doute trop long et qui n’a pas encore la poésie et la vie intense de ceux qui suivront. Alors à voir? Oui, si vous êtes inconditionnels du théâtre de Joël Pommerat et/ou si vous avez envie de découvrir une langue souvent remarquable. Sinon passée la première heure, vous risquez d’être déçus par ce que le metteur en scène considère comme « une trépidante histoire ». Ce que, désolé, elle n’est tout de même pas ! Malgré encore une fois, la rigueur des acteurs et de cette mise en scène. Mais surtout, n’y emmenez pas votre grand-mère…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 25 février, Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris ( XVII ème).

La pièce comme l’œuvre de Joël Pommerat, est publiée aux éditions Actes Sud.

Le Corps des autres, d’après le livre d’Ivan Jablonka et de Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig, adaptation et mise en scène de Marie Lévy

Le Corps des autres, d’après le livre d’Ivan Jablonka et du film Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig, adaptation et mise en scène de Marie Lévy

A partir du Corps des autres, une enquête sur les esthéticiennes qui sont aussi les grandes confidentes de leurs clientes. Mais aussi d’un film Sois belle et tais-toi, tourné en 77 par la grande comédienne que fut Delphine Seyrig où elle interviewe des actrices françaises mais aussi américaines et canadiennes. »Tantôt adulées et femmes objets-égéries d’une publicité de parfum, tantôt à l’origine du mouvement metoo » dit la metteuse en scène.

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Ici, cela se passe dans un institut dit de beauté où Sofia travaille comme esthéticienne et elle a, entre autres clientes, Marine, une jeune et belle actrice de cinéma. Séance d’épilage où entend juste du papier scotch décollé de son ruban. Bien vu… Puis il y a des témoignages issus du film et des paroles recueillis par la metteuse en scène. But de l’opération, si on bien compris: démontrer qu’il y a encore l’obligation d’avoir un visage et un corps séduisant le plus longtemps possible, grâce à la chirurgie esthétique et aujourd’hui à la chimie. Et cela dans la vie ordinaire, comme sur les plateaux de cinéma… Même si l’épilation comme les parfums, les fards sur les paupières et les cils utilisés aussi comme désinfectant, les ongles colorés au henné, un onguent rouge pour les lèvres et les pommettes, la céruse pour blanchir la peau des joues… Tout cela remonte à la plus haute antiquité égyptienne et grecque : cosmétique, du grec ancien kosmos, signifiant ornement ».

Rosalie Comby qui joue à la fois la cliente et l’actrice et Chloé Lasne (l’esthéticienne et la journaliste) ont une diction impeccable ce qui est rare chez les jeunes interprètes -merci au passage à l’Ecole d’acteurs de Cannes d’où elles viennent. Et elles sont tout à fait crédibles. Nous les écoutons donc avec plaisir mais le spectacle, heureusement court ( à peine une heure) et qui tient plus d’une petite performance, ne tient pas la route : malgré la solide mise en scène de Marie Lévy… la dramaturgie comme les dialogues sont d’une pauvreté affligeante et font penser à un exercice d’improvisation dans une école de théâtre sur le choix ou non d’être belle. Mise à part la parole de Jane Fonda à qui un réalisateur explique « qu’avec le nez que tu as, tu vas jamais pouvoir jouer la tragédie (…) ou « le mot de Jack Warner, le chef de studio qui voulait que je mette des faux seins, il n’aimait pas les femmes avec des petits seins. Alors, c’était clair, j’étais un produit du marché et il fallait bien que je m’arrange pour être commerciale, parce qu’on allait investir de l’argent sur mon dos. » Mais cette dénonciation de la dictature de la beauté n’a rien de très neuf. Et ici, le compte n’y est donc pas et nous sommes restés sur notre faim. Dommage! Nous aimerions revoir ces jeunes actrices sympathiques dans un spectacle au texte plus consistant. A suivre donc…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 janvier, Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris ( XI ème). T. : 01 40 09 70 40.

Anne-Marie La Beauté, texte et mise en scène de Yasmina Reza

 

 

Anne-Marie La Beauté, texte et mise en scène de Yasmina Reza

Atteinte par le covid peu après avoir vu ce spectacle fin décembre, Elisabeth Naud a quand même tenu à écrire ce compte-rendu que nous avons reçu et nous l’en remercions chaleureusement. Toute notre équipe est de tout cœur avec elle.

 Dans ce premier monologue de Yasmina Reza, le personnage, Anne-Marie Mille, actrice vieillissante, évoque à la mort de Giselle Fayolle, leur rencontre et leur vie: «Au temps du Théâtre de Clichy, j’étais sa seule amie. Les autres étaient jalouses.» Tout se passe dans sa chambre, un logement modeste mais soigné, proche du Moulin-Rouge, loin des paillettes et des lumières du Théâtre de Clichy. Anne-Marie, éblouissante malgré les années et toujours aussi passionnée, livre l’aventure de sa vie, à une ou un journaliste imaginaire. Elle passe de Madame à Monsieur à Mademoiselle : « J’allais oublier une chose importante madame : j’ai commencé en découpant des photos de Brigitte Bardot » puis parlant de son fils,   »De tout e façon je m’en fous. Je ne vois ce qui pourrait enrayer notre perdition monsieur, la civilisation a échoué » Ce(tte) journaliste n’existe que dans le récit de ses souvenirs… Et n’est-ce pas en vérité,  à nous public, qu’elle se confie, avec grâce et espièglerie…?

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Emmanuel Clolus avec une scénographie sobre mais subtile exprime bien, dans cet unique décor, l’univers de la comédienne : sur un plateau presque nu, une méridienne en velours vert, et au sol, une paire d’escarpins Salomé, en attente d’une prochaine sortie, d’un prochain spectacle? la tenue d’Anne-Marie en combinaison de soie au début du spectacle, son sac à mains dans lequel elle fouille, pour saisir en autres un rouge à lèvres, l’accroche de ses boucles d’oreilles etc. sont autant d’éléments ou de gestes qui accompagnent la progression poétique et dramatique  du récit.   Nous nous laissons vite conquérir par ce chemin de vie, et par ces souvenirs de théâtre, admirablement interprétés par André Marcon travesti, accompagné par la musique de Laurent Durupt, d’après Bach et Brahms.. Histoire intime et histoire d’une époque : la France des années cinquante-soixante, avec Paris sous les feux de la rampe… Tout un paysage aux mille frémissements s’esquisse au fil des mots et de la composition dramatique parfaite de ce monologue, mais aussi à travers le paysage intérieur d’Anne-Marie, du coeur de cette femme artiste issue d’un milieu populaire. Une enfance à Saint-Sourd dans le Nord: « Moi, je viens de Saint-Sourd-en-Ger, madame, un pays où on ne reste pas couché. (…) Il y avait les puits de charbon et la compagnie théâtrale de Prosper Ginot. On voyait passer en ville les acteurs de la Comédie de Saint-Sourd. (…) Je les reconnaissais tous. » ou les évocations de sa chambre, rue des Rondeaux, du Théâtre de Clichy, et de la banalité domestique  témoignent de l’écriture imagée, charnelle, pleine de nuances de Yasmina Reza. Le jeu d’André Marcon, d’une densité poétique et théâtrale inouïe laisse jaillir toute la richesse du texte. 


André Marcon et Yasmina Reza se connaissent bien, ils ont collaboré ensemble sur cinq créations,  «Il fait partie de mon écriture», dit-elle.  Il a reçu le prix du meilleur comédien 2020 du Syndicat de la critique pour son interprétation de la pièce créée la même année à La Colline. Nous sommes captivés par le personnage de cette grande dame: l’élocution et le timbre de sa voix d’une finesse sans pareil, aux variations infinitésimales selon les faits racontés, ses expressions d’humour ou de nostalgie, donnent au personnage une profondeur et une humeur sans cesse changeantes. D’une incroyable sincérité, il nous touche et nous émerveille : « J’arrivai de Saint-Sourd, j’étais descendue à Paris pour une audition. Les confidentes de tragédie, personne ne les faisait. J’avais une recommandation. » Le jeu de l’acteur transcende ici le texte comme la sensibilité de l’autrice. Ce monologue nous offre avec délicatesse, un kaléidoscope de l’âme humaine et de l’univers du spectacle, du monde de la nuit, du temps qui passe : «Mais la lumière s’était refroidie madame. » La mort qui veille, la roue qui tourne…

La carrière et les personnages autrefois incarnés par Anne-Marie et Giselle …Ces actrices et amies, leur gloire mais aussi ensuite leur solitude et l’oubli : «Sur scène, on ne laisse rien derrière soi. La scène se fout de qui l’occupe, Giselle Fayolle, Anne-Marie. Aucune trace de personne. », se succèdent, prennent forme en notre imaginaire et disparaissent pour mieux ressurgir comme sur les beaux murs gris, les ombres des personnages de l’artiste norvégien Örjan Wikström. Pour Jeanne Labrune, réalisatrice et scénariste, «son œuvre se situe dans l’entre-deux de l’harmonie et du chaos, de l’équilibre et du déséquilibre, du plaisir et de la souffrance. » un écho à l’existence d’Anne-Marie Mille. La mise en scène, le texte, et l’interprétation, un vrai bonheur ! Cet ensemble ciselé nous offre dans une symbiose parfaite, un spectacle d’une théâtralité magique ! Dans la petite salle du Théâtre de La Colline, le temps semble s’être arrêté et le silence règne. Il reste l’émotion et le plaisir ressentis par Anne-Marie nous racontant sa vie bigarrée et ceux du public sous le charme de cette forte et émouvante personnalité, gaie et mélancolique, du théâtre et de sa beauté !  

Elisabeth Naud

Spectacle vu le 22 décembre au Théâtre de la Colline, 13 rue Malte-Brun, Paris (XX ème).

Tournée 2022 en cours de programmation.

 Le texte de la pièce est paru aux éditions Flammarion.

Enfin le Cinéma !

Enfin le Cinéma !

Mireille Davidovici avait ici parlé de cette formidable exposition en novembre dernier. Peu de temps avant sa clôture, Bernard Rémy y revient avec un regard d’historien de la danse et du cinéma. Un autre point de vue…

 Dénominateur commun des peintures, photos, films, et sculptures exposés : la puissance du corps et des matières. Tout devient rapports de forces, tensions sans souci de représentation…

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A la fin du XIX ème siècle, l’idée de mouvement se généralise avec les transports en commun mais aussi avec l’apparition des à-plats en peinture et au début du XX ème siècle, avec ce qu’on appellera la «danse moderne »… On peut voir ici un film exceptionnel où Loïe Fuller (1862-1928) (voir dans Le Théâtre du Blog la performance récemment présentée dans ce même musée) danse avec d’immenses voiles bancs plissés. Cette Américaine est une pionnière de la danse moderne en France, avec Isadora Duncan qu’elle soutint. Elle inventa une Danse des voiles qui l’enveloppent. De longues planches de bois harnachées aux bras  permettaient à l’immense drap blanc de varier la rythmique de ses plis. Son autre invention : dépasser l’espace amorphe construire son milieu de danse et elle crée un dispositif de lumière et de couleurs rendu possible grâce à la lumière électrique. Et dont Laurence Louppe donna une description précise. Loie Fuller tournoie sur un carré de verre éclairé par en-dessous. Faisceaux de projecteurs, miroirs judicieusement placés démultipliaient son image à l’infini.C’est un quasi studio de cinéma. Orson Welles y trouva-t-il une inspiration pour La Dame de Shanghai? Elle vécut vingt ans avec Gabrielle Bloch et participa avec Nathalie Barnay à un groupe d’artistes lesbiennes. Et très audacieuse, Loïe Fuller servit même de certains travaux de Marie Curie.

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Il y a aussi les scintillantes images d’Alice Guy, la première cinéaste qui réussit à capter des points lumineux dans le ruissellement d’une petite chute d’eau. La belle française Cléopâtre-Diane de Mérode (1875-1966), fut nommée grand sujet à l’Opéra de Paris qu’elle quittera en 1898.

Elle présente à l’Exposition Universelle de 1900 des danses cambodgiennes dont La Javanaise. Et on peut voir dans un extrait de film, ses gestes très déliés, fluides, loin de la rigidité classique. On sent qu’elle aime se costumer mais très tôt elle arrêtera de se produire. Elle change de « scène » et posera pour Edgar Degas, Henri de Toulouse-Lautrec et Paul Nadar. Cheveux défaits et diadème, une de ses photos (vers 1893).

PHO%2FPHO%201988%2FPHO%201988%2028%2010Elle devient célèbre dans le monde entier moins pour ce qu’elle fait, que pour son apparence. Paul Klee célébra sa beauté gracieuse et il la voit danser en 1901 à Rome : « C’est la plus belle femme que l’on puisse voir. Chacun connait sa tête. Mais il faut avoir vu son cou pour de vrai. Rien que la beauté absolue. » Il assiste également au spectacle de Loie Fuller à Naples.

La danseuse est comme une Lola Montes qui aurait réussi: avec l’apparition des moyens de reproduction modernes, les échelles de valeur sont en train de changer. Etonnamment, elle surgit ici dans un montage de l’époque entre des jeux d’enfants et une opération chirurgicale…  

Les matériaux abondants ici ne pèsent pas, alors que le film Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttmann(1927) totalisait les mouvements d’une ville en une seule journée. Dominique Païni, lui, décloisonne tout : films, peintures, photographies, céramiques, sculptures et redistribue. Cela crée des rapports entre les parties et tout se passe comme si cette exposition était le creuset actif de nouvelles relations.

Deux principes à cet accrochage : des cadres de toute dimension : hauts, étirés, resserrés et limitant films, peintures, photographies et ce qui se situe entre les formes, créant de l’air. Dominique Païni qui a été directeur de la Cinémathèque française, a une connaissance profonde des films ; il sait éviter l’accumulation et susciter la naissance de cet événement que furent les relations momentanées entre films, photos, peintures, sculptures libérant des couleurs et lumières advenant dans la pensée.    

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Le commissaire de cette exposition inscrit la modulation dans le cadre. Et un des moments exemplaires est Le Linge séchant au bord de la Seine, une toile de Gustave Caillebotte. « Il s’agit pour Caillebotte de peindre l’air » écrit Dominique Païni (il a écrit lui-même toutes les excellentes légendes). Il montre un peu  des frères Lumière, un peu de Claude Monet, un peu de Georges Méliès, un peu de Berthe Morisot, un peu d’Alice Guy ou d’Auguste Rodin... Certaines toiles ponctuent un moment historique : dans La Cathédrale de Rouen, Claude Monet avec quelques petites touches de couleur reconstitue la « grisaille » après l’abandon du « terreux » par les peintres. Mais il y a aussi beaucoup de photos exceptionnelles de Paris, la ville-mouvement, la ville-zone, la ville-pierre qui englobe tout.

Stefan Zweig dans Le Monde d’hier (1941) évoque cette modification de l’ordre du temps qui, cessant d’être cyclique et rural, déborde toute mesure et qui, à chaque instant, contracte passé, présent et avenir. Ces ramifications participent à la création des villes montrées ici avec ces photos de Paris… Du temps pur advenant en éclair dans notre actualité. Dominique Païni sait créer un cadre comme rapport de production et sans contours fermés, comme le disait Gilles Deleuze dans son Cours sur la peinture à Vincennes en 81. A travers couleurs, lumières et gestes, circulent ici des variations d’énergie, ascendantes ou descendantes…

Bernard Rémy

Musée d’Orsay, Paris (VII ème) jusqu’au 16 janvier.

 

 

Là-bas, Chansons d’aller-retour, pièce musicale de Nathalie Joly, chorégraphie de Dominique Rebaud, sous le regard de Simon Abkarian

Là-bas, Chansons d’aller-retour, pièce musicale de Nathalie Joly, chorégraphie de Dominique Rebaud, sous le regard de Simon Abkarian

Une pièce interprétée par l’auteure et sa sœur Valérie Joly accompagnées au piano et à l’accordéon par Thierry Roques. Sous le regard  et les oreilles, cela tombe sous le sens. De nos jours, à l’ère du wokisme, nous n’osons même plus dire :  mise en scène, comme si l’expression contrariait la veine libertaire de l’artiste, encore moins « dirigée » par qui que ce soit. Ainsi le petit métier de « regard extérieur » s’applique couramment aux arts de la scène en général comme celui, par exemple, de dramaturge. Un glossaire sert de feuille de salle et peut aider à comprendre la pièce, si on est équipé d’une torche électrique. Le soir où nous y étions, personne ne l’avait anticipé et nous devions suivre attentivement dialogues et paroles de chansons énoncées en version originale, puis les traduire, du moins  si nous maîtrisions l’espagnol, le grec, l’arabe mais aussi le langage populaire algérien dit «pataouète » ou «papalouette »…  Le thème annoncé « là-bas » rappelle plus le fameux slogan : C’est bon comme là-bas (1973) du couscous Garbit, que celui du non moins fameux roman de Joris-Karl Huysmans mais il est ici bel et bien traité. L’adverbe désigne plusieurs ports d’attache, de départ mais aussi d’arrivée quand il s’agit de retour aux sources : une notion vague et précise à la fois. .. Et l’auteure entend dire son histoire, ses racines, ses ancêtres, sa culture, sa brûlure- pas seulement celle du soleil-, « les odeurs d’épices et de fleurs, la lumière qui réconforte, le son des vagues ».

 

© Nicolas Villodre

© Nicolas Villodre

Comme le suggère le sous-titre Chansons d’aller-retour connoté cubain. Nathalie Joly traite de thèmes comme celui des diseuses qu’elle lie à l’exil, des flux migratoires, des pieds-noirs. Mais aussi bien entendu des «idas y vueltas » (chants d’aller-retour) des sœurs Faez et de leur « trova familiale », des sœurs Abatzi venues depuis Smyrne, au Pyrrhée où, dit-elle, «les cabarets enfumés retentissent de haschich songs».  Ces airs sont caribéens mais aussi argentins, brésiliens, mexicains, grecs, arabo-andalous… et ont fait l’objet d’un bel album édité par Frémeaux et Associés, interprété par le trio de cette pièce, enrichi des percussions d’Inor Sotolongo, du bandonéon de Carmela Delgado, de la contrebasse de Théo Girard, du violon-quinton de Bruno Girard, de la trompette et du bugle de Julien Matrot, du bendir et de la darbouka d’Amar Mohali, de la voix de Julia Marini et de la guitare de Maurice Durozier.

Là-bas Chansons d’aller-retour est une excellente surprise: scénographie de Jean-Jacques Gernolle simple et efficiente, son de Margaux Dancoine subtilement dosé et lumières de Charly Thicot, enchanteresses et émouvantes, en particulier quand les sœurs Joly chantent La Llorona, un des plus beaux airs arrangés par l’auteure et Thierry Roques. La justesse de ton des dialogues entre elles vaut d’être soulignée, comme la grâce de leur gestuelle, en accord avec l’humanité de leur propos.

 Nicolas Villodre

 Le Local, 18 rue de l’Orillon, Paris ( XI ème), jusqu’au 7 février.

Judith ou Le corps séparé d’Howard Barker, traduction de Jean-Michel Déprats, par le collectif Morsures

Judith ou Le corps séparé d’Howard Barker, traduction de Jean-Michel Déprats, par le collectif Morsures

La pièce avait été créée en France dans une mise en scène de Jean-Paul Wenzel en 2007, puis reprise par Chantal de La Coste à la MC 93 à Bobigny.  Le dramaturge britannique (soixante-quinze ans) maintenant bien connu et joué en France (voir Le Théâtre du Blog), prône un «théâtre de la catastrophe. Selon lui, « ce doit être une expérience éprouvante : la plus grande réussite d’un écrivain est de créer un personnage qui suscite de l’angoisse. » Ici, il reprend la célèbre histoire de Judith, celle qu’on peut lire dans L’Ancien Testament. Une  jeune et belle veuve sauvera la ville de Béthulie, en séduisant le chef de l’armée assyrienne, Holopherne qui assiège cette cité juive. Pour ensuite, avec l’aide de sa servante, le décapiter avec son épée. Puis elle accrochera la tête d’Holopherne à un rempart, démoralisant ainsi l’ennemi.

© Marie Pétry

© Marie Pétry

Un formidable scénario (unité de temps, de lieu et d’action) pour cette décapitation nocturne par Judith qui sait aussi parler pour séduire. Donc à la fois faible mais assez forte pour affronter la violence sexuelle d’un chef  de guerre tout puissant, résister à sa séduction et arriver ensuite à le tuer… Un thème traité, entre autres dramaturges, par Jean Giraudoux et qu’on voit aussi peint dans de nombreux tableaux, le plus célèbre étant du Caravage mais aussi celui d’Artemisia Gentileschi, la grande peintre de la Renaissance (1597-1653). Mais La Bible est juste une source d’inspiration pour Howard Barker et il en donne une vision personnelle.  «Pour moi, la définition de la tragédie est la suivante: il s’agit d’un moyen permettant de comprendre la nécessité de mourir. La tragédie n’est pas une histoire triste… La tragédie est une forme artistique pour ceux qui aiment la vie… Si vous aimez la vie vous aimez forcément la mort. » 

Comme dans La Bible, cette jeune et belle veuve juive s’introduit la nuit dans la tente d’Holopherne avant une grande bataille qu’il doit mener au petit matin. Chef de guerre redoutable et cruel, il côtoie la mort y compris celle de ses amis. Mais il est ici obsédé par la question de sa disparition à lui… Et il accueille Judith, en mettant curieusement les choses au point : «Ce soir, il faut que je parle de la mort. Par exemple, de l’arbitraire de ses choix. Ça, il m’est impossible de le comprendre. Ça, ce m’est une torture de l’envisager. Sa façon de tripoter tel ou tel. Son indifférence vis-à-vis d’un autre. Le signe qu’elle fait à tel ou tel. Son aveuglement vis-à-vis d’un autre. Cette désinvolture, ça me hante. Ça ronge ma curiosité. J’irais jusqu’à dire que cette qualité propre à la mort a gouverné mes émotions et m’a rendu la bataille précieuse. Entrez. Car si la victoire est l’objet de la bataille, la mort en est le sujet, et la mélancolie des soldats n’est que le singulier silence d’un amour profond. »
Chez Howard Barker, Judith n’est pas insensible à Holopherne et a envie de faire l’amour avec lui. Mais elle ira jusqu’au bout et tranchera la gorge de cet homme tourmenté dont une partie de lui-même sait ce qui l’attend. Et tout se passe ici comme s’il éprouvait  même une sorte de jouissance dans la résignation. La servante de Judith étant là comme le faire-valoir mais aussi l’idéologue de sa maîtresse, et bien entendu elle a un rôle essentiel, ici remarquablement bien interprété par Karin Romer.

Reste à faire vivre avec intelligence et sensibilité…ce texte écrit avec un minimum de de détails – l’écrivain va droit au but en privilégiant même parfois un langage des plus crus : Judith : Je ne peux me déshabiller avec vous. Holopherne : Leur cul, leur con de cul à l’air. Judith : C’est beaucoup plus dur que je ne pensais. Holopherne : Oui, et vous avez à peine commencé. » Sur un beau parquet, juste un sommier avec un drap, une chaise droite noire et, derrière une poutre verticale, l’épée d’Holopherne dont Judith se saisira pour accomplir l’irréparable. C’est tout. Aucune musique ou effet sonore, juste -et bien vu- le léger bruissement de la pluie sur la toiture de cet ancien atelier. Comment dire à la fois le plaisir sensuel et la folie, l’autorité et le pouvoir de séduction d’Holopherne, la cruauté monstrueuse de cette décapitation accomplie par cette amoureuse qui reste une guerrière: on l’oublie trop souvent? Comment dire scéniquement cette réflexion sur la mort, la volupté, le désir, alors qu’elle va tuer Holopherne qui sait qu’il va mourir. Comment montrer Judith presque nue à cheval sur le corps de cet homme qui vient de mourir et qui va en prendre le sexe.  La pièce exige une actrice exemplaire, puisqu’il faut marier réalisme, tragique et surtout érotisme… Et là tous les metteurs en scène savent que ce n’est jamais facile au théâtre, surtout dans un petit espace.

Le collectif Morsures s’est attaqué à cette Judith ou le corps séparé «en faisant le choix de rester toujours au plus près du texte. Pénétrer la langue de Barker. L’attaquer frontalement, la mordre en toute naïveté et dans l’innocence du désir. Etre mordu par elle ? Consentir et succomber à la tragédie, à ses excès nécessaires, à son lyrisme comme à sa crudité. Penser le théâtre comme un combat joyeux, en corps à corps avec la matière du texte. Oser la brutalité. Eprouver la jubilation de tenter l’impossible. Jouer avec l’outrance et faire le pari de représenter l’irreprésentable. (…) Aucun artifice. Des corps dans la mastication des mots.Un oratorio politique et charnel. Cruel, punk, sensuel. »

Ce que nous avons vu est encore une étape de travail. Faute de  metteur en scène, le jeu n’est pas assez précis et il manque ici une direction d’acteurs efficace. Les pièces d’Howard Barker sont d’une rare exigence et pas faciles à monter. Et il  faudra encore du travail pour que ce collectif arrive à un résultat convaincant. A suivre donc…

 Philippe du Vignal

 Spectacle vu le 7 décembre au Regard du Cygne, 210 rue de Belleville, Paris ( XX ème).

La pièce et l’œuvre d’Howard Barker dans son ensemble sont publiés aux Editions Théâtrales.

 

Maîtres anciens de Thomas Bernhard, traduction de Gilberte Lambrichs, mise en scène et adaptation de Gerold Schumann

Maîtres anciens de Thomas Bernhard, traduction de Gilberte Lambrichs, mise en scène et adaptation de Gerold Schumann

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© Pascale Stih

Dans les lumières crues de Philippe Lacombe, François Clavier s’empare avec maestria du texte caustique de l’auteur autrichien,  adapté d’un roman de 1985. Il incarne Reger, un célèbre musicologue habitué depuis longtemps à fréquenter le Musée d’art ancien à Vienne. Tous les deux jours, il s’assied sur une banquette devant L’Homme à la barbe blanche du Tintoret, sous le regard du vieux gardien dont il dit pis que pendre… Là-même où il a rencontré sa compagne, l’amour de sa vie. Depuis qu’elle est morte, en proie à la solitude, il ne renonce pas à ces visites qui, manière de survie, lui donnent prétexte à vitupérer son pays, son époque, la politique, l’art et ses contemporains et à voir la mort venir, face au portrait du vieillard.

Tout pour lui est matière à critique, jusqu’aux maîtres anciens de la galerie : « Tous ces tableaux me sont insupportables, ils sont affreux. Pour pouvoir les supporter, je cherche en chacun d’eux un défaut. J’ai toujours trouvé l’échec de son créateur. Cela me rend heureux. » Il s’en prend aussi à Beethoven et autres grands de la musique, sans épargner artistes, philosophes et écrivains… En fond sonore, un quatuor à cordes égrène discrètement une pièce de Fanny Mendelssohn enregistrée en répétition et une voix off commente les faits et gestes de Reger.  Alter ego de l’auteur qui, lui aussi, vient de perdre sa femme quand il écrit Maîtres anciens. Sous-jacent, le deuil de l’être aimé infuse le texte, et, entre vindictes, ruminations et critiques, nous sentons sourdre chez François Clavier, une émotion sans que jamais il s’y complaise.

Le metteur en scène allemand, installé en France depuis 1992, s’est déjà frotté à Thomas Bernhard avec Minetti, portrait de l’artiste en vieil homme,  qui valut, en 2009, à Serge Merlin, dans le rôle-titre, le prix du meilleur acteur attribué par le syndicat de la critique.  Dans la partition minutieuse que Gerold Schumann a établie, il y a derrière le ressassement, la répétition obsessionnelle, un rapport paradoxal avec l’héritage de ces «maîtres anciens» que Reger honnit: «Les soi-disant grands maîtres sont des enthousiastes de l’hypocrisie qui ont fait des courbettes et se sont vendus à l’Etat catholique, qui ont toujours trouvé leurs sujets au ciel et en enfer, mais jamais sur terre. » Il y revient pourtant depuis plus de trente ans, comme il revient vers les hommes, malgré sa répugnance: «Je déteste les hommes, mais ils sont en même temps, mon unique raison de vivre.»

François Clavier, immobile pendant plus d’une heure, joue avec une profonde humanité, de cette ironie propre à Thomas Bernard: « Celui qui ne sait pas rire, ne doit pas être pris au sérieux ! » dit Reger. Et nous rions, nous sourions aux traits acérés et à cet humour particulier qui n’a rien perdu de son mordant. Le public jubile aux saillies de Reger contre l’Etat: « Nous sommes gouvernés par un gouvernement hypocrite et menteur et grossier, un gouvernement le plus bête qu’on puisse imaginer. » Ou contre l’art : «L’art se tourne toujours vers les Puissants. Il n’y a rien de plus répugnant que le pouvoir peint. Peinture de pouvoir, rien d’autre! » Un texte qu’on réentend ou qu’on découvre avec plaisir. ..

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 29 janvier, Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs Paris (Ier). T. 01 42 36 00 50.

Le roman est publié aux éditions Gallimard.

 

Les Couleurs de l’air, écriture et mise en scène d’Igor Mendjisky

Les Couleurs de l’air, écriture et mise en scène d’Igor Mendjisky

 

© Lionel Nakache

© Lionel Nakache

Cela commence par une évocation de la mort du père. Le metteur en scène a perdu le sien il y a quelques années. Toute la famille réunie devant le notaire, découvre que ce bon artiste peintre était aussi un escroc qui soutirait de grosses sommes d’argent. «J’ai toujours su, dit Igor Mendjinski, que les affaires de mon père n’étaient pas claires. Enfant, j’ai toujours trouvé cela étrange de savoir qu’il fallait dire au téléphone à certaines personnes que mon père n’était pas là, c’était presque devenu un jeu. Le continent sur lequel j’ai accosté était un mensonge sidérant, un feu d’artifice de mensonges… » 

Et il y a d’abord une belle scène où frères et sœurs ouvrent les lettres de condoléances: « « C’est avec une immense tristesse que la Maison du caviar a appris le décès de Samuel Jeminsky. Toutes nos pensées vont vers vous dans ce moment douloureux. Nous garderons de Samuel son éternel sourire. » Ils ont joint une boîte dit l’un d’eux . « Chère Madame, sachez que nous avons toujours eu beaucoup de considération à l’égard de l’artiste qu’était votre époux. Samuel Jeminsky a su tout au long de sa carrière sublimer la diversité remarquable des peintures à l’huile Rembrandt. Toutes nos condoléances à vous et votre famille ». « La maison Rolls-Royce moto cars Monaco a été très émue d’apprendre le décès de monsieur Samuel Jeminsky. Nous sommes dévastés par cette terrible nouvelle et nous vous envoyons tout notre soutien ». Il leur a acheté combien de voitures pour qu’ils soient dévastés comme ça demande lun deux ? . « Chère Madame, Je viens d’apprendre la terrible nouvelle. Samuel était quelqu’un que j’appréciais énormément : son enthousiasme, ses histoires et sa peinture m’ont apporté beaucoup de joie de vivre. Je ne pourrai être présent aux obsèques mais mes pensées seront auprès de vous. » Elton John.
Mais personne n’est dupe : « 
Ce qui les intéresse c’est l’argent de papa et c’est de savoir s’il nous en reste pour continuer à nous le faire cracher ! » Même si la mère semble ne pas bien comprendre la situation. « Et lpassif porté à notre connaissance, dit le notaire, dépasse largement l’actif ; celui-ci se compose de nombreuses dettes pour un montant déjà estimé à 566.000 €. En notre qualité de conseil, nous ne pouvons que vous inciter à renoncer à la succession. » Mais on a retrouvé 50.000 € en liquide dans la maison… Une autre source de conflits !
Et cerise sur le gâteau funèbre, un certain Ziyad réclame six cent mille euros qu’il aurait prêté à Samuel, lequel ne lui aurait jamais rendus. Et Nacari, un autre soi-disant créancier; réclame plusieurs dessins de Pablo Picasso: il aurait avancé à Samuel cinq cent mille euros pour en effectuer l’achat. Réclamation supplémentaire: un Seurat, un Soutine, trois Picasso, un Signac, un Renoir, une sculpture de Matisse et un dessin de Cézanne. N’en jetez plus, si tout est vrai, cet escroc était vraiment doué!

Un tableau de Claude Monet serait aussi là mais on n’est pas sûr de son propriétaire… Bref, les toiles de maîtres, objets de convoitises familiales et marchandages douteux, sont souvent secrètement exfiltrés vers l’étranger pour y être revendus en toute  discrètion. D’autres créanciers réclament eux aussi des toiles de Modigliani, soi-disant enfermées dans des coffres à l’étranger mais… inexistants. Et ils vont bien entendu devoir refuser l’héritage… C’est le point de départ pour un « biopic » à gros budget comme on dit, qu’Ilia, un réalisateur, double d’Igor Mendjinsky, lui-même depuis devenu père, va entreprendre sur ce père mythomane, à partir de documents familiaux et cassettes audio où il racontait sa vie d’escroc, mais aussi de résistant. 

Le metteur en scène a ensuite fait faire des improvisations aux acteurs et, avec sa dramaturge Charlotte Farcet, il a construit une sorte de fable sur la paternité, mais aussi sur la notion d’héritage avec son lot de surprises… Ce thème, puisque à cette occasion, les cartes familiales sont rebattues, a été à la base de nombreuses pièces dont, entre autres, Les Aventures de Zelinda et Lindoro récemment montées par Muriel Mayette-Holtz, Le Legs ,actuellement mis en scène par Cécile Garcia-Fogel au Théâtre des Amandiers-Nanterre) et L’Héritier de village  de Marivaux, Le Légataire universel de Jean-François Regnard. Et de films comme Les Grandes Gueules de Roberto Enrico ou L’Extravagant Mr Deeds du grand Frank Capra  avec Gary Cooper, ou plus hexagonal comme  L’Oncle Charles d’Etienne Chatilliez ou encore Le Trou normand  de Jean Boyer avec Bourvil, L’Heure d’été d’Olivier Assayas (1988): là aussi il s’agit de l’œuvre d’un tonton peintre décédé. L’héritage avec son lot de surprises mais aussi avec tout le passé d’une famille revient en boomerang dans le présent des vivants. Tous les notaires savent cela par cœur… Ici beaucoup d’argent mais «en négatif» ! pour les héritiers. 

Et dans cette mise en abyme aux airs brechtiens avec un tournage de film subtilement réalisé, Igor Mendjisky reste discret et n’abuse pas de la manie actuelle chez les metteurs en scène de très gros plans du visage des acteurs sur le plateau… Et au fil des scènes; il y a nombre de personnages un peu comme chez Tchekhov, comme entre autres la famille : Macha, Olga, Ada, Hortense, Michael mais aussi le notaire, le chef-opérateur, le Producteur, un médecin. Et belle trouvaille, le Père qui revient fantôme bien vivant (excellent Jean-Paul Wenzel).
Comme on est sur un plateau de tournage, le metteur en scène s’autorise des flash-back comme un tournage à Cagnes-sur-mer en 1959, avec Samuel jeune qui a inventé « une machine qui pourrait à la fois imprimer du texte sur papier mais aussi du texte sur photo, peintures et dessins. » Et à Moscou, Ilia reçoit un appel à propos de son père . « Il a demandé de vous contacter trois ans jour pour jour après son décès pour vous informer que le contenu du coffre 240529 devait vous être remis. » Contenu : trente-six dessins d’un petit garçon qui écoute à une porte.

Réalité? Fiction? Le metteur en scène navigue avec grâce et habileté. Théâtre ou tournage d’un film? Igor Mendjinsky sait faire. Léquipe technique installe le matériel pour tourner la séquence suivante avec Ilia derrière la caméra. Et ensuite une scène de couple entre Ilia et Juliette. Et enfin Ilia tue son père mais Samuel lui répond: « Comment veux-tu tuer un fantôme, Ilia, dis-moi? » Puis il y a plus comique: une histoire de vente de tableaux par Ilia à une richissime Américaine. » Mais coup du sort : on estime qu’il n’est plus en mesure de porter le film et on a contacté un autre réalisateur à qui on a donné les rushs, il va les visionner pendant les trois jours de trêve et prendre ton relais dès la semaine prochaine. Il y a également un scénariste qui travaille depuis ce matin à trouver un moyen pour faire disparaître le personnage d’Ilia qui va rencontrer le samouraï Miyamoto Musachi, né en 1584, calligraphe, peintre reconnu, philosophe et le plus célèbre escrimeur de l’histoire de son pays. Puis l’histoire prend un tour nettement surréaliste. Ensuite, la femme d’Ilia ne peut accoucher dans la clinique car Ilia est endetté, alors que, dit-il, il a refusé l’héritage il ya plus de neuf mois…

©Lionel Nakache

©Lionel Nakache

Ilia se trouve dans le tableau de son père. On entend au loin une musique jazz. Et il ya un beau monologue où Ilia semble enfin se délivrer. « Tu sais, j’ai longtemps parlé de ce que je raconte en disant « je prépare un spectacle sur la mort de mon père », et à force de le dire, de l’écrire j’en suis même venu à écouter parler les gens de cette manière : « alors, où en est ce spectacle sur la mort de ton père ? », « ce n’est pas trop difficile d’écrire sur la mort de ton père ? », mais peut être qu’au bout du compte, peut-être qu’au bout du conte ce n’est pas de ta mort dont il s’agit. Il s’agit de la mienne, de la mort du fils que j’ai été et que je ne suis . »plus, il s’agit de la petite mort qui est venue s’inscrire en moi le jour de la tienne. « Tu entends la musique ? », « Oui, j’entends », «je vais frapper, mais nous pourrons continuer à parler jusqu’à la fin, est ce que ça te va ? », « Je vois le silence et la lumière, la mort et la vie, je vois les enroulements incompréhensibles du temps, je vois mon père, ma mère, je vois ta mère, je vous vois vous, et je me vois moi vous regarder, vous parler, vous bercer. (…) Toutes les voix, toutes les histoires, tous les sourires, tous les mensonges, tout l’amour, toutes les aspirations, toutes les convoitises, toutes les souffrances, tous les plaisirs, toute la peinture, toutes les couleurs, tout le bien, tout le mal, si bien et mal il y a, tout cela ensemble c’est le monde papa ! Le monde ou l’air danse à chaque coin de rue, à chaque coin d’arbre ! L’air et ses couleurs, l’air et ses couleurs papa, l’air et ses couleurs, ses couleurs, ses couleurs, ses couleurs… »

Ce scénario est assez compliqué et nous avons essayé de vous en donner une idée… Mais quelle intelligence, quelle beauté dans ces images qu’Igor Mendjisky crée dans une langue singulière et elles ont une telle force poétique que le jeune auteur-metteur en scène réussit à emmener le public là où il veut. Surtout dans la première partie de ces Couleurs de l’air. La seconde, un peu bavarde, mériterait sans doute quelques coupes.
L’ensemble est encore un peu brut de décoffrage et la scénographie pas toujours réussie: il y a un espace central juste destiné à recevoir un peu d’eau à la fin mais avec un rebord casse-gueule qui gêne les déplacements. Et il faudrait que le metteur en scène revoie sa direction d’acteurs, surtout au début: mis à part Jean-Paul Wenzel, la diction de Raphaèle Bouchard, Pierre Hiessler, Igor Mendjisky, Hortense Monsaingeon, Léo-Antonin Lutinier, Juliette Poissonnier, Esther Van den Driessche et Yuriy Zavalnyouk est trop souvent assez approximative… Et c’est dommage.

Mais il y a chez Igor Mendjinsky un souffle poétique indéniable, un parti pris de mise en scène et il parle comme rarement de la vie, du mensonge, de l’irréversible, des non-dits enfouis depuis un demi-siècle voire plus, et de l’héritage. «C’est presque toujours recevoir quelque chose qu’on n’a aucunement mérité. » Et cela rend la situation diabolique dans toutes les familles. Malgré le désir bien ancré de transmettre. On perçoit aussi chez cet homme jeune, encore un peu enfant comme tous les poètes, l’effroi devant cette mort qui l’a fait avancer d’un cran. Il parle avec lucidité de «la mort du fils que je ne suis plus » et «cette petite mort »s’est alors inscrite à jamais en lui.  Le texte est un peu trop long et ce spectacle aussi sensible qu’intelligent, n’a pas encore trouvé toutes ses marques mais si vous pouvez aller le voir, n’hésitez surtout pas.

Philippe du Vignal


Jusqu’au 9 janvier, L’Azimut-Théâtre La Piscine, 254 avenue de la Division Leclerc, Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). T. : 01 41 87 20 84.

Le 21 janvier, Théâtre du Vésinet (Yvelines). Les 28 et 29 janvier, Théâtre Romain Rolland, Villejuif (Val-de-Marne).

Le 4 février, Théâtre de Corbeil-Essonne (Essonne). Le 17 février, Espace Marcel Carné,Saint-Michel-sur-Orge (Essone).

Et du 3 au 19 novembre, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris (XIX ème).

 

 
 

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Girls and Boys de Dennis Kelly, traduction de Philippe Le Moine, mise en scène de Chloé Dabert

Girls and boys de Dennis Kelly, traduction de Philippe Le Moine, mise en scène de Chloé Dabert

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Bénédicte Cerutti © Victor Tonelli

La directrice de la Comédie-Centre Dramatique National de Reims depuis 2019, après avoir monté Orphelins et L’Abattage rituel de Gorge Mastromas de cet auteur britannique souvent joué en France (voir Le Théâtre du Blog) s’empare de ce monologue. « Surprenant, Dennis Kelly, explore toujours des nouvelles formes. Son théâtre raconte l’humain, sans complaisance », dit-elle. Une jeune femme (Bénédicte Cerutti) au langage cru et direct, prend le public à témoin d’un coup de foudre à l’aéroport de Naples  Fuyant une vie de sexe, d’alcool et drogue, elle trouve enfin l’amour. Nous pensons tout d’abord avoir à faire à du café-théâtre, avec bons… ou gros mots mais son discours se fait moins bravache, au fur et à mesure qu’elle nous entraîne dans ses histoires de couple, de mère, de travail, ses colères contre le sexisme, le harcèlement et les violences masculines.

Malgré une carrière professionnelle florissante qu’elle se trace, en jonglant avec les horaires de ses deux enfants, nous sentons qu’il y a anguille sous roche… Son mari a changé, c’est le temps des soupçons et d’une prochaine guerre de couple. Drame ordinaire du désamour? Le récit confine au bizarre : la comédienne parle avec des enfants fantômes : effet de théâtralité renforcé par un décor qui s’ouvre vers un lointain brouillardeux et fantomatique ? Soudain tout bascule, la jeune femme nous livre le fin mot de l’histoire : l’horreur absolue, venue d’un homme envieux, haineux et autoritaire…

La scénographie de Pierre Nouvel, sobre, donne accès à plusieurs espaces : bureau, maison, salon… à la fois réalistes et chimériques, lieux d’un passé révolu, celui du récit… Chloé Dabert dirige avec justesse Bénédicte Cerutti qui incarne avec brio une femme ordinaire, pugnace et naïve. La pièce, vive et rythmée, ménage les temps, pauses et silences.  Elle aborde des thèmes dans l’air du temps comme la violence et les guerres engendrées par les hommes, la souffrance au travail dans une système où le profit est roi, la résilience des femmes…

Elu meilleur auteur étranger par le magazine allemand Theater Heute en 2009, Dennis Kelly inscrit son théâtre, comme nombre de dramaturges  anglo-saxons, dans une réalité sociale et politique… Mais ce monologue d’une heure quarante, peu innovant dans la forme et la langue, se perd à la longue dans les détails du récit au détriment de sa force dramatique et de l’énergie de la comédienne. Malgré cela, Girls and Boys -un sans faute pour l’équipe artistique- ne manquera pas de toucher le public…

 Mireille Davidovici  

 Jusqu’au 30 janvier, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème) T. : 01 44 95 98 00.

 Du 2 au 5 février, Théâtre National de la Criée, Marseille (Bouches-du-Rhône) et du 22 au 26 février, Comédie de Reims (Marne).

 

 

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