La Mouette d’Anton Tchekhov,traduction de Françoise Morvan et André Markowicz, mise en scène de Paul Desveaux
La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction de Françoise Morvan et André Markowicz, mise en scène de Paul Desveaux
Créé en 1896 sans succès à Saint-Pétersbourg puis accueillie triomphalement à Moscou deux plus tard dans la mise en scène de Constantin Stanislavski et Vladimir Nemirovitch-Dantchenko, la pièce a ensuite a été jouée dans le monde entier et montée en France, il y a juste un siècle par Georges Pitoëff à la Comédie des Champs-Elysées. Puis jouée chez nous, pratiquement chaque année; la dernière mise en scène truffée de vidéos -assez décevante- (voir Le Théâtre du Blog) était celle de Cyril Teste l’an passé. Des Mouette, nous en avons vu voler un dizaine mais jamais avec une distribution comprenant acteurs confirmés et très jeunes comédiens; cela valait donc le coup d’ aller jusqu’à Asnières-sur Seine…
Un des meilleurs scénarios du théâtre moderne, même si au début, le public a un peu de mal à savoir qui est qui dans ces nombreux personnages. Comme toujours chez Tchekhov, cela se passe à la campagn. Ici, chez Sorine, un haut fonctionnaire retraité à la santé chancelante. Sa sœur, la célèbre actrice Irina Arkadina, assez contente d’elle, arrive pour quelques jours avec son amant Trigorine, un écrivain à succès et lui aussi, un peu suffisant. Konstantin, le fils d’Arkadina, a écrit une petite pièce qu’il va jouer dans le jardin avec Nina, une très jeune fille qui rêve d’être comédienne et qu’il aime. Mais l’actrice réputée trouve le texte sans intérêt et le dit très maladroitement à son fils qui est furieux. Question de générations… Mais quand une mère s’adresse à son fils, autant qu’elle le fasse avec des pincettes. Medviedenko, un brave instituteur, lui, aime Macha, la fille de Chamraïev l’intendant de la propriété mais elle aime Konstantin. Quant au bon vieux docteur Dorn, il veille sur la santé défaillante de Sorine et sur celle des autres…
Quelques jours plus tard, Arkadina se dispute avec Chamraïev et veut partir. Konstantin offre curieusement à Nina une mouette qu’il a tuée Et elle a évidemment horreur de ce cadeau. Konstantin voit, très jaloux et non sans raison Trigorine flirter avec Nina, qui elle est très séduite par cet écrivain qui sait rester modeste. Elle veut absolument, elle devenir actrice, même si elle sait que cela ne va pas être facile. Mais Arkadina et Trigorine vont partir. Arrive Konstantin avec un bandage sur la tête : il a voulu se suicider. Nina l’amoureuse, offre à l’écrivain un petit médaillon où est gravée une phrase de lui : « Si vous avez jamais besoin de ma vie, venez et prenez-la. » Sorine affaibli dort sur un divan. Konstantin demande à sa mère de changer son pansement et s’attaque à Trigorine. Violente dispute entre eux. Trigorine demande à Arkadina, s’ils peuvent rester à la propriété. L’actrice comprend alors l’attirance de son amant pour Nina mais repartira avec elle à Moscou. Nina, bouleversée, dit adieu à Trigorine mais lui dit qu’elle aussi va aller à Moscou pour être actrice : les dés sont jetés et les amoureux se reverront…
C’est le long hiver russe et deux ans ont passé. Konstantin écrit des pièces et commence à être reconnu. On apprend que Macha, par dépit, a épousé Medviedenko et qu’ils ont eu un enfant, même si elle est restée amoureuse de Konstantin. Nina et Trigorine, eux, ont vécu un temps ensemble à Moscou mais leur bébé est mort. Trigorine a fini par quitter Nina et a retrouvé Arkadina. Quant à Nina, elle n’a pas fait la carrière dont elle rêvait et joue seulement dans une petite troupe et en province… Pas à Moscou.. Sorine, lui, s’affaiblit et Arkadina revient pour le voir. Ils font tous un loto, sauf Konstantin qui préfère écrire. Soudain, Nina qui est arrivée dan le village arrive et lui dit qu’elle est bien une actrice… Il lui demande de rester. Elle, désemparée s’en va. Konstantin déchire alors le texte qu’il écrit, la partie de loto reprend mais on entend un coup de feu. Dorn va voir puis revient et dit, beau mensonge comme seuls savent en faire les médecins, que simplement un flacon d’éther a éclaté. Il demande à Trigorine de faire sortir Arkadina : Konstantin vient de se tuer…
Medviedenko aime Macha, qui aime Konstantin, qui aime Nina, qui aime Trigorine dont Arkadina est passionnée. Et le docteur Dorn que Paulina aime, est amoureux d’Arkadina. Mais aucun de ces personnages n’est vraiment heureux, comme s’ils cherchaient en vain à trouver le grand amour de leur vie. Seuls paraissent plus lucides Trigorine et peut-être le docteur Zorn… Il y a de la comédie dans l’air mais aussi et finalement, la mort est au rendez-vous… C’est un des aspects que l’on oublie souvent: une mouette tuée , la mot d’un bébé fréquente à l’époque, le suicide de Konstantin et la fin prochaine de Trigorine. Bref, la mort plane à tous les âges : quelques mois, deux dizaines d’années ou plus de soixante, que l’on soit un oiseau ou un humain. Mais dans cette pièce si riche, Tchekhov parle aussi des artistes et des écrivains, » « tous deux dans le tourbillon » (…) Jadis j’étais heureuse comme une enfant, je chantais le matin en me réveillant, je vous aimais, je rêvais de gloire et maintenant ? (…) Et tout ici est aussi affaire de générations : on est toujours le vieil homme de théâtre ou la vieille actrice de quelqu’un, comme dans la vie. La vie est brutale, dit, à la toute fin de la pièce, Nina à Konstantin. Et le grand dramaturge russe aborde aussi le thème du théâtre dans le théâtre, avec des extraits de la pièce de Constantin, et Arkadina est très souvent dans la vie comme sur une scène, toujours exubérante et en représentation.
Il fallait rappeler les enjeux de cette pièce que Paul Desvaux a bien compris et comme il le dit, c’est peut-être ce qui fait marcher le monde et les conflits semblent insolubles entre générations, c’est aussi un des thèmes de cette pièce si riche. Sur le plateau, quelques arbres en pot pour figurer le jardin de la propriété. Pas très beaux (sans doute de la récup) mais qu’importe, une table et quelques chaises blanches de jardin ; puis le salon de la grande demeure, habilement figuré par quelques portes-fenêtres et une grande table bricolée assez laide, (mais là aussi, qu’importe). Compte ici le tissage, -comment dire cela autrement- entre acteurs confirmés comme René Loyon tout à fait remarquable dans le rôle du vieux Trigorine, Léonore Chaix (Arkadina) et Igor Skreblin ( Sorine) et les jeunes acteurs du Studio Esca dont, avec Tatiana Breidi, Paul Desveaux est le directeur. Ils jouent tous les autres rôles, même s’ils n’en ont pas toujours l’âge. Et cela fonctionne plutôt bien, même si au soir de cette première, les chose sont encore fragiles. Simon Cohen semble avoir quelque mal à garder son personnage et semble peu affecté par le coup de feu qu’il s’est tiré dans le front. Là, il a quelque chose à revoir. Héloïse Werther, très juste en Irina dans les trois premiers actes est moins convaincante au IV ème, quand elle retrouve Konstantin après deux ans…
Paul Desveaux a réalisé un travail très honnête, sans esbroufe et sans poncifs ou vieux trucs à la mode… ouf ! cela fait du bien ! Ici, pas d’ajouts, vidéos, voix et musique amplifiées, fumigènes dont nous avons notre ration quotidienne ou presque (sauf le petit éclair de souffre inhérent à la pièce) . Et bien éclairé par Laurent Schneegans. Le metteur en scène a imposé une excellente diction chez tous les acteurs y compris les jeunes. Cela change de bien des spectacles actuels dont Le Tartuffe d’Yves Beaunesne ( voir Le Théâtre du Blog) Et ici nous entendons ce texte magnifique comme rarement. Des bémols ? Oui, il ya quelques ruptures de rythme quand il y a changement d’accessoires et Paul Desveaux nous a semblé moins à l’aise dans le IV ème acte: nous nous n’y ressentons pas l’écoulement du temps toujours difficile à traiter au théâtre. Et il n’a pas vraiment respecté les didascalies ni tout à fait le texte. Bref, cette mise en scène et surtout la fin a encore besoin d’être encore affinée et rodée mais la substantifique moelle de la pièce est bien là, grâce aussi à la belle traduction de Françoise Morvan et André Markowicz. Et il y a ici une vérité des êtres et des situations comme le voulait l’incomparable Anton Tchekhov qui insistait pour que l’on respecte ses didascalies. Roger Grenier, un de ses traducteurs, nous dit que Lika, une collègue de lycée et amie de la sœur d’Anton Tchekhov dont elle était très amoureuse, choisira aussi par désespoir de vivre avec Potapenko, un écrivain dont elle eut un enfant. Mais cela se passa trois ans après que Tchekhov eut écrit La Mouette…
Note à bonnets: serait-il possible pour faire plaisir aussi à Anton Tchekhov, déjà grand défenseur de la Nature, que le dossier de presse soit exempt de couverture et reliure en plastique et imprimé recto-verso? Ce serait aussi un bon exemple pédagogique…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 20 février, Studio-ESCA, 3 Rue Edmond Fantin, Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine). T. : 01 47 90 95 33.
Métro Gabriel Péri: relativement simple mais attention mieux vaut avoir un plan, la rue Edmond Fantin est tout près de l’Hôtel de ville…