Le Malade Imaginaire, comédie-ballet de Molière, musique de Marc-Antoine Charpentier, mise en scène de Vincent Tavernier, direction musicale d’Hervé Niquet et Nicolas André

Le Malade Imaginaire, comédie-ballet de Molière, musique de Marc-Antoine Charpentier, mise en scène de Vincent Tavernier, direction musicale d’Hervé Niquet et Nicolas André

Quatre centième anniversaire de sa naissance et si l’on cherchait à retrouver le «vrai» Molière ? En commençant par sa mort : oui, il jouait en 1673 au théâtre du Palais Royal la quatrième représentation du Malade Imaginaire quand il a été pris d’une terrible crise de toux. Et il a fallu le ramener chez lui mais pas à la vie, malgré tous les efforts de ses proches et médecins. Cela fait porter à la comédie, jouée la plupart du temps sans ballet ni musique, à l’exception de la farandole finale des médecins, un poids biographique et symbolique peut-être trop lourd. En tout cas, dans la veine actuelle du retour à l’authentique Molière, c’est une des raisons qui ont poussé la compagnie des Malins Plaisirs, celle de l’Éventail et le Concert Spirituel à relever le défi et à jouer cette comédie-ballet.

Nous avons une image assez nette des fêtes de Versailles. Tartuffe même, ce premier Tartuffe, ensuite censuré à la ville, était imbriqué dans Les Plaisirs de l’île enchantée avec musique, danse, feux d’artifice, jeux d’eau et théâtre à l’intention de Louis XIV et de sa Cour. Et selon l’Histoire, l’hôte élégant de Versailles préférait de loin les farces, aux grandes comédies. Le public du théâtre Graslin à Nantes puis ceux d’Angers Reims ,Tourcoing, Avignon et de la chaîne Culture box, ont la chance de se voir offrir les divertissements du Roi-Soleil…

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Dans le beau décor de Claire Niquet -une petite ville en silhouettes- a lieu un carnaval coloré teinté de plaintes amoureuses. On attend l’aimée, et cela dure, jusqu’au moment où l’on comprend que l’aimée, c’est le roi, revenant vainqueur. Retentit l’hymne : Louis, Louis est le plus grand des rois que Roger Planchon, le directeur du T.N.P.  (1931-2009 ) avait utilisé dans son Georges Dandin. Jolie musique et costumes d’Erick Plaza Cochet bien coupés pour la danse, tirant vers des silhouettes du XVIII ème siècle, plus fines que les rhingraves d’époque… Les masques, chefs d’œuvre d’invention comme cette chèvre de raphia tissé ou cette huppe à crête rouge, sont fonctionnels pour laisser toute liberté aux danseurs et chanteurs. Et les ballets de Marie-Geneviève Massé, inspirés par les danses populaires, sont charmants mais ce prologue de trente bonnes minutes paraît long. N’aurions-nous plus la patience de Louis XIV, l’«auguste héros», d’ écouter cette longue célébration, si enrubannée soit-elle ?

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La comédie proprement dite arrive mais la comédie-ballet n’est pas vraiment l’ancêtre de la comédie musicale: ballet, théâtre et divertissements musicaux alternent, se succèdent mais pas ensemble ou brièvement, au moment de la leçon de musique et sans fonction dramaturgique. Mais tout se réunit heureusement dans l’apothéose finale, avec l’intronisation d’Argan comme médecin. Là, musique et danse rejoignent vraiment le théâtre, comme dans  la turquerie du Bourgeois Gentilhomme.
Pour nous faire entrer dans cette comédie, deux châssis s’ouvrent comme dans la fameuse mise en scène (1936)  de Louis Jouvet pour L’Ecole des Femmes . Son décorateur Christian Bérard avait conçu un jardin dont les murs en angle se refermaient pour devenir une rue. Ici, les châssis s’ouvrent sur un intérieur avec ses indispensables portes et le fameux fauteuil, objet fétiche de Molière et de son Malade.

 

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Mais ici à roulettes, ce fauteuil aide à la vivacité comique. Argan, amoureux de sa propre maladie (Pierre-Yves Cluzeau) veut marier sa fille Angélique  à un médecin et on lui en trouve un, Thomas Diafoirus, repoussant à souhait mais elle aime Cléante, lui, attirant à souhait. Et Béline, la seconde épouse, veut s’emparer du magot quand le maître de maison feint la mort pour éprouver sa fidélité… Béralde le frère raisonneur d’Argan  tire quelques ficelles, un notaire a pour unique fonction d’être ridicule, Angélique aime, pleure mais se soumet. Et la servante Toinette (Marie Loisel) esprit pratique comme la Dorine de Tartuffe, organise avec les moyens les plus fous, le sauvetage de la famille et la gigantesque mascarade finale. C’est bien joué, de façon assez classique, c’est-à-dire sans profondeur psychologique que Pierre-Yves Cluzeau trouve pourtant par moments. Son Argan a des éclairs de lucidité dans une vie de dupe consentante. Laurent Prévôt interprète Béralde, le frère d’Argan. Quentin-Maya Boyé et Benoît Dallongeville sont les Diafoirus, médecins père et fils, Jeanne Bonenfant est l’arrogante Béline, seconde femme d’Argan et Gabrielle Godin-Duthoit, Louison, la cadette de ce malade imaginaire.

La comédie-ballet passe-t-elle bien à la télévision? Oui et non. Les scènes de carnaval et de groupe sont filmées le plus souvent dans le cadre de scène, ce qui accentue l’aspect tableau et comédie. Et au plus près des acteurs, sans gros plan -inutiles puisqu’il n’y a pas de psychologie- mais parfois à mi-corps. Après l’Ouverture, le chef et les musiciens dans la fosse d’orchestre apparaissent furtivement sur l’écran mais le public jamais… Dommage et nous l’entendons seulement dans les rires qui paraissent lointains.
La réalisation d’Ibao Benedetti est sans reproche et il capte le spectacle avec la même qualité qui préside à toute la réalisation. Du beau travail partout. Mais encore une fois, nous ne sommes pas le Roi-Soleil et cette longue, très longue célébration (trois heures vingt) d’une victoire qui n’a laissé d’autres traces que catastrophiques, finit par être indigeste. Mais Molière est peut-être plus rebelle qu’on ne l’avait cru ? Qui sait s’il n’a pas fait exprès de noyer la gloire dans les fumées de l’encens ? Il sentait peut-être venir la mort… et pouvait donc se moquer des conséquences et disgrâces possibles…

Christine Friedel

Spectacle créé  le 22 janvier au Théâtre Graslin, à Nantes (Loire-Atlantique) et vue sur Culture Box (canal 14) le 6 février.
À revoir sur france.tv

Les 4 et 5  mars, Grand Théâtre d’Angers (Maine-et-Loire ). Les 18, 19 et 20  mars, Opéra de Reims (Marne).

Les 7 et 8  avril, Atelier lyrique de Tourcoing (Nord).

Les 18 et 19  juin, Opéra d’Avignon ( Vaucluse).

 


Archive pour 7 février, 2022

Huis clos de Jean-Paul Sartre, mise en scène de Jean-Louis Benoit

Huis clos de Jean-Paul Sartre, mise en scène de Jean-Louis Benoit

 «L’enfer, c’est les autres. » De cette pièce inoxydable, les lecteurs auront au moins retenu ces mots de Garcin, l’un des trois personnages, ensemble pour l’éternité, sans miroir ni brosse à dents. Confrontés au jugement des autres, sous une lumière qui ne s’éteindra jamais. «Tous ces regards qui me mangent. (…) Pas besoin de gril, l’enfer, c’est les autres. », dit plus exactement ce journaliste brésilien, mort fusillé pour avoir déserté la guerre, soi-disant au nom du pacifisme.

Jean-Paul Sartre exprime ici un drame intime… Comme s’il y avait un peu de lui-même dans le seul personnage masculin de ce trio infernal. La pièce, écrite en 1943, une période trouble pour les intellectuels, traduirait-elle la mauvaise conscience de l’écrivain sous l’occupation allemande? Et ces deux femmes qu’ont-elles à se reprocher? Estelle, une jeune bourgeoise écervelée est une infanticide, morte d’une pneumonie. Inès, une  employée des postes homosexuelle, a été asphyxiée au gaz par la femme de son cousin qui, de chagrin, s’est jeté sous un tramway. La pièce a perdu son parfum scandaleux et semble même un peu datée.  Reste le pari théâtral que s’était donné Jean-Paul Sartre : mettre trois personnages sous tension permanente: « C’est là, dit-il, que m’est venue l’idée de les mettre en enfer et de les faire chacun, le bourreau des deux autres. » Il a un sens aigu des dialogues et des situations. Dans la mise en scène de Jean-Louis Benoit, cette confrontation entre Inès, Garcin et Estelle n’a rien perdu de son mordant,

La pièce avait déjà été mise en scène par Jean-Louis Benoit  il y a deux ans au Théâtre de l’Épée de Bois mais dans un espace trop vaste mal adapté à ce huis-clos (voir Le Théâtre du Blog). A l’Atelier, le décor assez banal mais conforme aux indications de l’auteur, traduit l’atmosphère étouffante de la pièce. Trois gros canapés de couleur différente, un guéridon avec dessus, un bronze académique; au fond, une porte qui ne se rouvrira qu’une fois, sans qu’aucun des trois n’osent la franchir.

Marianne Basler est une Inès virulente et lucide : un personnage mieux dessiné par l’auteur que celui d’Estelle, lui, plus stéréotypé. Ici interprété par Mathilde Charbonneaux qui va dans le sens de la caricature… Maxime d’Aboville donne à Garcin un côté veule et minable de séducteur à la petite semaine. Mais que nous raconte au juste ce Huis clos après deux ans d’une épidémie qui, de confinement en vaccination forcée, empiète sur notre liberté ? Nous reconnaissons-nous encore dans la phrase de Jean-Paul Sartre?  «L’enfer, c’est les autres» dit-il, a toujours été mal compris. On a cru que je voulais dire par là, que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c’étaient toujours des rapports infernaux. » (…) « Je veux dire que, si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors, l’autre ne peut être que l’enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond, ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes. » 

 Jean-Louis Benoit réussit à mettre cette question en débat et nous offre un moment de théâtre conforme au projet de Jean-Paul Sartre. « Il s’amusait, dit-il, à puiser dans le vaudeville, à détourner les codes du théâtre de boulevard et regrettait que sa pièce fût interprétée trop souvent de manière sérieuse, trop respectueuse… »  « Si les archétypes de la virilité chez Garcin, de la mondanité chez Estelle, de l’homosexualité chez Inès, écrit Jean-Paul Sartre, sont mis en place dès le début, ils ne tardent pas à se briser, lorsque tombent les masques de chacun d’eux. Lorsque Garcin veut fuir cet Enfer et qu’il parvient à ouvrir la seule porte du lieu, au moment de la franchir, il ne fait plus un seul pas et reste là, avec les autres, c’est qu’il a compris que se détourner, c’est s’avouer vaincu.» Et si le salut, c’était les autres ? A méditer en ces temps d’individualisme triomphant…

 Mireille Davidovici

 Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin, Paris ( IX ème). T. : 01 46 06 49 24.

 

Embrasse-moi sur ta tombe de Jean-Daniel Magnin d’après le scénario de Marym Khakipour, mise en scène de Jean-Daniel Magnin et Marym Khakipour

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Benjamin Wangermée, Hélène Viaux, René Turquois, Christine Murillo ©GiovanniCittadiniCesi_

Embrasse-moi sur ta tombe de Jean-Daniel Magnin d’après le scénario de Marym Khakipour, mise en scène de Jean-Daniel Magnin et Marym Khakipour

 Deux fables se croisent dans l’espace unique d’un modeste appartement où logent une mère et son fils, agent sécurité à l’aéroport licencié sans raison puis chassé par sa femme. Un recruteur véreux l’a persuadé de se faire exploser pour se venger et gagner le Paradis. L’histoire bifurque sur le couple mère-fils, avec une série de quiproquos qui vont empêcher cet acte terroriste. Dans cette relation familiale où l’absence du père s’en mêle, le drame prend le tour d’une comédie frisant l’absurde. Les auteurs prennent le parti risqué du rire, comme Jean-Daniel Magnin l’avait fait avec Dans un Canard (voir Le Théâtre du Blog). 

Ce texte à la tonalité burlesque offre aux acteurs une grande liberté de jeu. Christine Murillo, remarquable comme toujours, donne corps et âme avec humour à cette mère déjantée et le public a pour elle une irrésistible sympathie  Dans sa douce folie  -elle prend son fils pour le père de celui-ci- elle va innocemment contrecarrer les plans des poseurs de bombes. Le fils (René Turquois) a la mollesse d’un adolescent prolongé et le recruteur (Benjamin Wangermée) a des allures de petite frappe sans envergure. Une voisine des plus kitsch (Hélène Viaud) surgit à brûle-pourpoint pour mettre son grain de sel, espérant reconstruire sa vie avec ce fils au destin si proche du sien.  » Le thème, dit Maryam Khakipour, c’est l’amour, la crainte d’une mère qui voit son fils basculer vers le pire et l’échappée poétique qu’elle va trouver, pour dépasser son impuissance et l’aider ainsi à être enfin un homme. « 

 Rien de psychologique ici et les personnages sont proches de ceux de Strip-tease, la fameuse série documentaire belge: modestes et naïfs dans leur folie poétique. Il y a du comique populaire dans ces scènes qui s’entrelacent mais qui sont parfois mal raboutées. Auteur d’une quinzaine de pièces et d’un roman Le Jeu continue après ta mort, Jean-Daniel Magnin agence les dialogues avec brio. Mais l’espace de jeu à plusieurs niveaux conçu par Jane Joyet, même ouvert, semble gêner la circulation des comédiens et nuit à la fluidité de l’action. Et cela, malgré les vidéos non figuratives. Les metteurs en scène essayent de faire le lien entre les séquences, avec des échappées oniriques. Malgré quelques  trouvailles, certaines scènes restent esquissées. Mais une impeccable direction d’acteurs et de beaux moments d’écriture. Des précipités de vie comme le monologue de Christine Murillo frottant son linge, ou le voyage de la mère et du fils pour voir la maison de l’enfance et la tombe du père, donnent à ces gens ordinaires une vraie densité… Avec l’humour en prime.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 20 février, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt Paris (VIII ème). T. : 01 44 95 98 00.

 

 

 

 

 

 

Les Héraclides d’Euripide, mise en scène de Kostas Papakonstantinou et Artemis Grymbla

Les Héraclides d’Euripide, traduction en grec moderne de Kostas Varnalis, mise en scène de Kostas Papakonstantinou et Artemis Grymbla 

Une tragédie écrite en 430 av. J.C. mais rarement jouée. Pourtant très actuelle, puisque fondée sur le thème de l’asile politique et sur l’inviolabilité du demandeur ou « suppliant »… Elle pose la question de savoir  en quoi consiste la liberté d’un pays et son attitude à l’égard de ceux qui attentent à son intégrité ou qui essaient de lui imposer des lois qui ne sont pas les siennes. 

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Dans Les Héraclides, l’action en deux parties peu liées entre elles, semble, à plusieurs endroits, lacunaire et plate. Avec un chœur nombreux et des personnages principaux qui sembler sans grand intérêt  pour ceux qui doivent les interpréter. Eurysthée persécute les enfants d’Hercule après la mort de leur père  mais ils trouvent  asile à Athènes auprès du roi Démophon, fils de Thésée. Les Héraclides, conduits par le vieil Iolaos, l’ancien compagnon d’Hercule, se sont réfugiés au pied de l’autel de Zeus, à Marathon.
Un héraut d’Eurysthée vient les en arracher et Démophon prend leur défense. Le héraut se retire, en menaçant les Athéniens de la guerre, au nom d’Argos et de son roi. Un oracle prédit que, pour gagner la guerre, il faudra sacrifier une jeune et noble vierge. Macaria, une des filles d’Hercule accepte de se sacrifier. Les Athéniens gagnent la guerre et captivent Eurysthée qu’ils remettent entre les mains d’Alcmène, la mère d’Hercule, qui fait partie, elle aussi, des réfugiés. Contre les coutumes athéniennes qui respectent la vie des prisonniers de guerre, Alcmène ordonne pourtant la mort d’Eurysthée. 

Dans cette tragédie aux changements extrêmes et retournements subits, voire improbables, les vieux redeviennent jeunes, des jeunes perdent leur vie en se sacrifiant sur l’autel d’un dieu sanguinaire. Et des rois sont prêts, sous la pression des événements, à renier leurs promesses et à offenser les coutumes de leur pays qu’auparavant, ils défendaient passionnément. Et les ennemis se révèlent être, sinon des amis, du moins des gens plus utiles que des amis qui, eux pourtant favorisés, se montreront vite très malfaisants. Loin de toute xénophobie, Euripide attire notre attention sur la nature changeante des humains, plus que sur l’exil et l’immigration. 

Kostas Papakonstantinou et Artemis Grymbla  recréent le mythe lui-même de cette pièce violente avec un sens caustique. Ils veulent réveiller la conscience politique du public et donnent à ces Héraclides un sens compréhensible, en actualisant le texte et en créant des rapports dialectiques entre passé et présent.  Des pans de coton blanc représentent l’autel et sur le plateau, un seul accessoire: une branche… Cinq acteurs, eux aussi tout en blanc, jouent avec passion les huit personnages de cette tragédie. La musique, les paroles de la chanson, les fortes lumière font sens et renforcent la belle théâtralité de ce spectacle.  

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théâtre Olvio, 7 rue Falaissias, Votanique, Athènes. T. : 0030 2103414118

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