Un Siècle, vie et mort de Galia Libertad, texte et mise en scène de Carole Thibaut

Un Siècle, vie et mort de Galia Libertad, texte et mise en scène de Carole Thibaut

 

La France profonde, la France des périphéries: celle des gens éloignés des métropoles intéressent Carole Thibaut depuis qu’elle a commencé à écrire ses pièces: Avec le couteau le pain (2006), L’Enfant, Les Petites Empêchées, Longwy Texas, Faut-il laisser le vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars… Elle a un engagement féministe et a repris en 2021 au Centre Dramatique National de Montluçon qu’elle dirige depuis 2015, Fantaisies, l’idéal féminin n’est plus ce qu’il était, une pièce qu’elle avait créée six ans plus tôt.. Au centre de ces textes, la famille et les contradictions d’une société. Ici, autour d’une grand-mère qui vit ses derniers instants, toute une famille française de milieux sociaux différents (une étudiante en médecine vivant avec un serveur de bar) avec divorces, veuvages… va se recomposer. A l’image de la France aux racines multiples et justement grâce à cela, une tribu fortement soudée autour de Galia-Libertad née en 1941 et ce jour-là mourante, (les vingt-quatre heures de la tragédie). Double prénom, double origine : Galia (la clémence de Dieu) par sa mère, juive polonaise déportée après une rafle en zone libre, et Libertad, de par son père, un républicain espagnol réfugié à Montluçon.

©x

©Héloïse Faure

Un conte placé sous le signe de la mort et de la mémoire. Le récit arrive d’en haut, en voix off et réduit parfois la scène à une simple illustration. Mais assez vite le plateau reprend le pouvoir, avec une fiction documentée, enracinée, «d’après une histoire vraie», celle collective d’une ville à la pointe d’une industrie qu’elle perdra quelques décennies plus tard. Deuxième ville socialiste au monde, dans le fief des Bourbons, tout de même ! La pièce a été écrite à partir d’entretiens avec d’anciennes ouvrières de l’industrie métallurgique de guerre. Montluçon fut -aux mains des femmes- un haut lieu de production d’obus, textiles et pneus. Et elles se souviennent des occupations d’usines et par la voix de Galia, de leur déception quand la Gauche arriva au pouvoir en 1981 : rien ne changea à leur sort et n’apporta pas la justice aux travailleuses et travailleurs spoliés.

Ces recherches et cet arrière-plan ne font pas d’Un Siècle une pièce documentaire : la famille et une ancêtre libertaire et souveraine ne sont pas seulement un thème politique. Galia (Monique Brun) trône au centre de la scène, un grand Eden : probablement dans la vraie vie, le petit jardin d’une maison ouvrière où ont grandi les rêves de tout un chacun. Anciens et toujours compagnons de Galia, fils, belles-filles, petits-enfants, chacun est ici chez soi, avec les frictions que cela peut produire. La soirée commence et ils apportent table, verres et bouteilles… Galia parle, les autres confirment ou digressent, l’ivresse gagne, la nuit tombe et le réveil sera un peu frais.

© Héloise Faure

© Héloïse Faure

Sur le plateau, un vaste tulle où sont projetés des sous-titres, (on est prié d’avoir une bonne vue ou des lunettes appropriées !), un arbre suspendu et neuf comédiens pour faire d’Un Siècle, un grand spectacle. Une façon de nous rappeler que la vie intime des gens -c’est à dire tout le monde et nous- est importante. Chacune cache et mériterait un roman, et chaque mort, une fête comme celle-ci, un peu tchekhovienne, mêlée de fleurs comme sur les autels mexicains. Nous écoutons longtemps encore celle qui s’en va mais dont la voix ne s’éteint pas tout de suite.

Un témoin pas comme les autres interrompt avec bonheur la fiction et nous ramène au présent du théâtre : Olivier Perrier qui a fondé avec Jean-Louis Hourdin et Jean-Paul Wenzel, le Théâtre des Ilets à Montluçon, inauguré en 1985, un 19 janvier -mais il faisait -29°!- comme la création cette année, d’Un Siècle. Il vient, à l’avant-scène, raconter son choix de faire du théâtre à la campagne, là où cette pratique n’est pas une évidence et même peut-être incongrue, à l’écart des «beaux théâtres» où il a travaillé. On se souvient de Bibi la truie et de la jument de trait qui vint jouer dans Les Mémoires d’un bonhomme aux Bouffes du Nord, à Paris. Avec cette irruption des bêtes sur un plateau, il y avait un regard novateur sur les êtres humains.
Et voilà mis en scène le passage d’une génération à une autre, la troisième étant celle des jeunes comédiens de la nouvelle troupe aux Ilets. Ils ont réussi, comme on dirait en en langage administratif, une «implantation sur le territoire» mais surtout à faire vivre le théâtre dans une ville et un pays qui ont leur caractère, leur histoire et qu’on oublierait sans eux.

Mission accomplie pour ce Centre Dramatique National : creuser là où il est et trouver les racines d’une création qui déborde son territoire… Avec ce spectacle, nous entrons peu à peu dans la mémoire d’une histoire banale mais toujours unique, à laquelle nous nous attachons au fil de la soirée: les morts ne nous quittent pas tout de suite et continuent à nous parler. Plutôt réconfortant…

Christine Friedel

Théâtre de la Cité Internationale, à Paris, jusqu’au 26 février. T. : 01 43 13 50 50.

Les 27 et 28 avril, Maison de la Culture de Bourges (Cher).

 

 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...