Ceux qui vont contre le vent, conception et mise en scène de Nathalie Béasse
Ceux qui vont contre le vent, conception et mise en scène de Nathalie Béasse
L’auteure a suivi une double formation : Beaux-Arts puis Conservatoire d’Angers. Elle privilégie dans son travail l’écriture dite « de plateau » et a conçu un certain nombre de performances; le Théâtre de la Bastille a accueilli plusieurs fois son travail qui se situe entre danse, mime, performance et théâtre. « Les corps se fondent dans différents matériaux : terre, eau, bois, tissu, arbre. On y retrouve les éléments des précédents spectacles, comme le jeu avec habillages et déshabillages» écrivait Julien Barsan en 2017 à propos du Bruit des arbres qui tombent dans Le Théâtre du Blog. Mais cinq ans plus tard, ils sont restés les mêmes!
Ici, il y a au départ, une sorte d’engueulade familiale entre quatre jeunes femmes et trois hommes dont deux plus âgés. Suivront quelques extraits de textes dits par l’un ou l’une d’eux. Rien sur le plateau absolument nu et aussi noir que les murs ; côté cour, une grande table en bois, des seaux en plastique noir et une branche d’arbre sèche. Côté jardin, un piano droit qui ne servira pas. Les acteurs tous au premier rang vont monter en silence sur le plateau. Ils s’y déshabillent et déposent soigneusement leurs vêtements dépliés au sol puis reviennent au premier rang de la salle. Assis, ils vont tirer sur des fils noirs pour faire glisser ces vêtements jusqu’à eux, puis les rassembleront. Une belle image…
Les scènes se succèdent ici sans lien entre elles mais c’est un parti pris et il y a une belle fluidité dans les mouvements. Les sept personnages qui n’en sont pas vraiment, le deviennent parfois grâce à la présence des acteurs. Il y a du Pina Bausch dans l’air avec cette branche morte ou quand les sept interprètes entament une ronde enfantine mais aussi du Tadeusz Kantor (la grande table avec nappe blanche) du Christian Boltanski (l’accumulation de vêtements) voire du Stuart Sherman (avec des objets du quotidien mis en valeur… Et bien sûr, ces éléments que ce grand ancêtre commun le groupe Gutaï fondé au Japon en 1954 par Jirō Yoshihara (1905-1972) a introduit sur un plateau: baudruches, eau, vinyle, peinture, fumée, etc. Que l »on retrouve ici… soixante-dix ans plus tard. Oui, mais voilà… sans aucun esprit de subversion comme l’avaient fait ces peintres japonais se battant contre l’art officiel. Tous ces artistes du XX ème siècle aujourd’hui disparus auront contribué à établir une liaison entre danse, expression du corps et oralité, à partir d’une autre conception, cette fois radicale, de l’espace et du temps. Soyons justes: indéniablement, il y a quelques beaux mais très courts moments, comme ces dizaines d’oranges que les sept acteurs font rouler sur le sol noir. Puis qu’ils ramassent et coincent entre deux actrices en déséquilibre sur un carré à roulettes. Ou cette table instable mue par les artistes invisibles en dessous. Ou encore ces fleurs rouges ou blanches rouges piquées sur un socle d’argile, qu’un d’eux rassemblera en un bloc qu’il tapera sur le sol avec une énergie désespérée. Là, oui, dans ces instants éphémères, il se passe enfin quelque chose… Et mystérieusement, le temps s’écoule assez vite: un petit miracle qu’une scène de théâtre, avec la complicité d’un public bienveillant, peut faire naître. Mais mieux vaut preuve d’une certaine indulgence: l’ensemble tient d’un travail réussi de cinquième année dans une bonne école de beaux-arts. Bref, l’académisme n’épargne pas non plus l’art de la performance quand on s’en tient à la copie d’œuvres, sans y apporter une vision, une écriture et un style vraiment personnels.
Et le discours de Nathalie Béasse est un rien prétentieux ! Elle affirme (mais cela reste à prouver)! « qu’avec sept interprètes, on habite très fortement la scène ! Leurs présences, leurs corps, un texte, une chaise, une table, une couleur, un costume, tout raconte très simplement. » (…) De spectacle en spectacle, la chute et la course sont comme une méditation, un mouvement perpétuel qui me fait imaginer de nouvelles choses à chaque fois. » Mais Ceux qui vont contre le vent participe d’un catalogue d’effets déjà vus dans les performances et happenings. Entre autres poncifs: espace vide avec lumière intense, bataille à coup de jets d’eau, giclées de peinture rouge sur un costume ou une surface blanche, introduction ex abrupto de phrases dites ou lues, et bien sûr, comme tous les soirs ou presque de cette saison, de solides jets de fumigènes. Quelle facilité et cette suite de moments certes bien réalisés, n’ont vraiment rien d’original et ce spectacle, du genre Performance pour les nuls, ne fait pas grand sens… Nathalie Béasse introduit aussi des extraits -presque inaudibles- de textes classiques: Correspondance de Gustave Flaubert, Le Rêve d’un homme ridicule de Fiodor Dostoïevski, ou contemporains comme Ivresse de Falk Richter. La moindre des choses qu’on peut exiger d’une metteuse en scène puisqu’elle revendique cette fonction, est qu’ils soient correctement dits. Mais elle ne semble pas très à l’aise quand il faut diriger des monologues. Comme dans ce médiocre Richard III que nous avions vu il y a déjà sept ans (voir Le Théâtre du Blog).
Créé dans le grand espace du Cloître des Carmes -ce qui était déjà une erreur manifeste- au dernier festival d’Avignon, le spectacle avait été peu apprécié mais ici, sans doute revu depuis, il a été très applaudi… Mais, sauf à quelques rares instants, nous n’avons été touchés par cette proposition! Et nous sommes loin de la définition du happening qu’en donnait Jean-Jacques Lebel, « un tableau en train de se faire » donc non répétable, puisque le spectacle identique chaque jour, n’a rien d’aléatoire, mais ce n’est pas non plus une représentation théâtrale. Reste un beau titre; pour le reste, comme dit l’Ancien Testament, autant en emporte le vent…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 18 février, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.