D’un Rêve, chorégraphie de Salia Sanou, musique de Lokua Kanza
D’un Rêve, chorégraphie de Salia Sanou, musique de Lokua Kanza
Après le triptyque Multiple-s en 2018 et Jeune Noir à l’épée, concert d’Abd Al Maliken en 2020 (voir Le Théâtre du Blog), nous attendions beaucoup de cette nouvelle pièce et n’avons pas déçus. La beauté nous est servie en grand format sur le plateau du Châtelet, avec une “comédie dansée“ et chantée, en forme de diptyque. Elle évoque la douloureuse histoire des Afro-Américains, sur le mode optimiste des spectacles de Broadway. Des champs de coton au cabaret de jazz, le chorégraphe burkinabé revisite la destinée des peuples noirs et compose un hymne à la liberté : «Cette pièce interroge notre présent, dit-il, et se projette dans la perspective d’un destin commun, d’un «nous» qui prendrait le pas sur le «je » .
Le spectacle s’ouvre sur un gospel: A change is gonna come (Cela va changer), entonné en chœur par les douze interprètes, qui avancent à pas lents sur un tapis blanc cotonneux, figurant les plantations du Dixieland. Derrière eux, projetées en noir et blanc, les images des grandes manifestations pour les droits civiques. Cet hymne plein d’espoir du chanteur américain Sam Cook salue -tout comme le titre: D’un Rêve de Salia Sanou- le discours de Martin Luther King en 1963, et son fameux: «I have a dream ». Et «I can’t breathe », entendu en écho, renvoie à l’assassinat de George Floyd à Minneapolis par un policier en 2020... Danseurs et chanteurs se dispersent en esquissant les gestes du rude labeur des esclaves, soutenus par le chant et la musique. « Pendu hier, écrasé au sol aujourd’hui.», «Nous n’avons plus d’air.», dit le texte. Salia Sanou s’est entouré du poète Capitaine Alexandre (Marc-Alexandre Oho Bembé) et du romancier Gaël Faye pour mettre des mots sur sa danse.
Une fois balayés les flocons de coton blanc, We shall overcome (Nous triompherons !), ce chant emblématique des révoltes américaines résonne et la voix puissante de Dominique Magloire, seule à l’avant-scène, emporte le public. Et place au cabaret: le plateau nu s’habille alors d’ampoules colorées qui forment des figures lumineuses désuètes comme celles des music-halls d’antan. Les huit danseurs et danseuses, comme les quatre chanteuses, se déchaînent sur des tubes populaires et nous vibrons au fameux Sing Sing Sing de Louis Prima, que chantent en un trio parodique les Andrews Sisters.
Nous reconnaissons It’s a Man’s Man’s Man’s World de James Brown et d’autres airs plus récents. Les corps se déhanchent, s’accouplent, se dispersent, s’assemblent en sous-groupes ou se rangent en ligne. Rythm and blues, reggae, afro-jazz, solos de percussions… Tous les styles de musique et de danse sont ici convoqués. Au swing des comédies musicales américaines, slow motion et autres bip hop… se mêlent des gestuelles ancrées dans la tradition africaine, comme les mouvements sinueux du dos, un style enseigné par Germaine Acogny, «mère de la danse contemporaine africaine» et professeure de Salia Sanou. «La colonne vertébrale, dit-elle, c’est le serpent de vie. »
Et la vie dans tous ses éclats règne sur le plateau avec cette danse puissante et libératoire. Le public, galvanisé, entre avec bonheur dans ce rêve d’une heure dix et salue avec enthousiasme l’énergie de ces artistes. Dommage, le spectacle créé cet été à Montpellier-Danse, ne s’est joué que trois soirs à Paris. Il mériterait grandement d’y être repris.
Mireille Davidovici
Spectacle joué du 10 au 12 février au Théâtre du Châtelet, Place du Châtelet, Paris (I er), une programmation du Théâtre de la Ville.
Les 1 et 2 mars, L’Empreinte-Scène Nationale, Brive (Corrèze) et le 24 mars, Maison de la Culture d’Amiens (Somme).