Livres et revues


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Sous un Manteau de neige de Joël Jouanneau
D’abord un mot sur Heyoka ou Haokah: avec cette collection Heyoka Jeunesse, les éditions Actes Sud-Papiers, construisent depuis plus de quinze ans un répertoire théâtral pour enfants et adolescents. A la source: le Théâtre de Sartrouville et Claude Sévenier, son directeur avaient invité le Théâtre de la Pomme verte de Catherine Dasté à renouveler le théâtre pour jeune public, imaginé avec Joël Jouanneau et Angélique Ionnatos, le concept d’artiste associé. Heyokah y est né et le théâtre de Sartrouville et des Yvelines continue à passer à de grands auteurs, des des commandes de textes qui ne se prennent pas au sérieux, mais qui eux, prennent les enfants au sérieux. Au fait, d’où vient Heyoka ou Haokah ? C’est un être sacré dans la culture du peuple Lakota des grandes plaines en Amérique du Norde et un bouffon contrariant, un satiriste qui parle, bouge et réagit en opposition aux gens qui l’entourent. Cela nous mène tout droit au théâtre et à sa force transgressive et joyeuse.

9782330161750-475x500-1Illustré par Maxime Sudol, ce conte sombre et obscur s’inspire largement de L’Homme qui rit de Victor Hugo. Mais l’auteur a un goût pour l’invention verbale comme dans Bourrichon et a aussi invité Arthur Rimbaud et la couleur des voyelles et Federico Fellini à qui il a emprunté Ginger et Freddo, avec slam, nostalgie chamanisme … Le poète n’a rien à cacher et livre ses sources en toute liberté pour accompagner ses trois personnages : Ursus, un ours comme son nom l’indique (contrairement à Victor Hugo où le loup s’appelle Homo, l’homme…), Kolb, un enfant trouvé, enfin pas encore trouvé, et Guenille, l’hirondelle, dont on apprendra qu’elle est un avatar de Dea, la belle et douce Dea de Gwynplaine (Victor Hugo, toujours ! Relisez L’Homme qui rit, comme tout le monde !.
L’histoire : arriver à la vérité, à la liberté du «Beau Jourd’hui». C’est-à-dire à la joie, rien que cela. Avec «des poèmes inouïs avec des mots sans muselières qui aboient à leurs trousses. (…) » écrits avec «un bon verre de larmes amères, trois cent grammes d’une bonne colère, un petit bol de rigodon, des feuilles volantes à foison, un arc-en-ciel de trouvailles, sans oublier la gomme qui peut tout effacer et permet de recommencer quand le poème est raté». On le voit ici: la littérature et le théâtre jeune public sont faits pour tous les âges. Pessimisme de la raison, et optimisme de la poésie… 
Christine Friedel

Actes Sud-Papiers, collection Heyoka Jeunesse.

Correspondance avec la Mouette, Anton Tchekhov Lydia Mizinova, traduit du russe, annoté et présenté par Nicolas Struve
Tout un roman… Cela commence à Moscou en 1989. Anton Tchekov est médecin mais aussi un écrivain connu de vingt-neuf ans qui a publié plusieurs centaines de nouvelles. Lydia Mizinova ou selon son diminutif Lika, en a dix de moins. Cette  jeune  et belle séduisante apprentie-cantatrice est amoureuse de lui mais plus que lui, d’elle qui est très jalouse. Pourtant elle comme lui a d’autres amours mais ils ont entre eux  deux une attirance et une tendresse inoxydable. Tchekhov l’a poussé dans les bras de Potapenko, un écrivain qu’elle a rencontré chez lui. Et ils partent pour Paris où Lika aura un bébé qui ne survivra pas.Tchekhov qui n’aimait pas beaucoup ce Potapenko le traite de porc dans une lettre.

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Et un an après que Tchekhov ait épousé Olga Knipper sa comédienne préférée, Lika se marie avec Alexandre Sanine, metteur en scène du Théâtre d’art de Moscou. Mais elle le quittera et partira pour l’Europe et la France. Elle meurt de tuberculose en 1939 soit trente ans après son Anton et est enterrée au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-bois. C’est déjà en filigrane, l’histoire de Trigorine et de Nina Zaretchna dans La Mouette que son auteur écrivit… quelques années avant la liaison de Lika et Potapenko…

Pendant presque dix ans, ils vont s’écrire et se retrouver parfois au gré des innombrables voyages de l’écrivain. Mais sur le mode : jamais sans toi jamais avec toi. Et on voit ici un Tchekov parfois cynique : «J’embrasse avec une muflerie respectueuse votre petite boîte à poudre et j’envie vos vieilles bottines qui vous voient chaque jour.Parlez-moi de vos conquêtes. » Mais il peut être aussi féroce : «Si vous êtes piquée de quelque fabricant de vodka ou d’un baron eh! Bien, dites-le.» Et elle, non plus, ne mâche pas ses mots: «Votre lettre est toute entière imprégnée d’un tel égoïsme.» Mais, toujours avec un dose de tendresse en avance, elle lui envoie aussi du «mon petit pigeon.» Ils s’écriront, faute de se voir et pour sans doute préparer à des retrouvailles et se donner une certaine comédie, dit Nicolas Struve, avec une joie évidente, un certain humour et une énorme tendresse. Ce que révélait déjà sa mise en scène quand il dirigeait avec bonheur Stéphanie Schwartzbrod et lui-même (voir Le Théâtre du Blog).

Il existe, dit Nicolas Struve, 67 lettres d’Anton à Lika, et 98 de Lika à Anton. Et il a traduit ici la totalité des lettres de lui et 38 lettres d’elle à lui. Mais aussi une trentaine d’extraits d’autres lettres d’elle à Tchekhov. Sans doute un très utile complément à cette Mouette que Paul Desveaux vient de monter (voir Le Théâtre du Blog). Mais il y a aussi le grand plaisir à lire ces lettres comme écrites d’hier qui ont déjà plus de cent trente ans! Et à découvrir un Tchekhov encore jeune éternel voyageur et fasciné par les femmes. Et il y a nombre de notes en bas de page, toujours très bien faites et éclairantes. Merci encore Nicolas Struve pour ce somptueux cadeau que vous faites à ceux nombreux qui ont vu une ou plusieurs pièces de Tchekhov, comme aux autres.

Philippe du Vignal

Editions Arléa, 20 €. 

 

Depuis que je suis né de David Lescot

Le bébé est une personne et l’auteur s’en souvient, en prêtant sa plume à un enfant qui écrit ses mémoires… Cette pièce accompagne tout simplement, à la première personne, la métamorphose de l’enfant, du bébé qui était si bien dans le bain maternel, avant sa naissance, au petit garçon de six ans, autant dire presque un « préado », tant nous sommes précoces aujourd’hui…

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Il en aura vécu, des aventures, agacements et bonheurs, Depuis que je suis né, dit-il. Avec plus ou moins de patience -parce que les cris, on n’a rien trouvé de plus efficace, quand on est un bébé-, il explique donc gentiment aux parent ce qu’il ressent, ce dont il a besoin et assez vite, ce qu’il dit avec des mots. Pas question de bêtifier : «Là, des ouatis !», «Oui, il y a plein de voitures », «Des ouatis !», « Oui, des ouatis », «Naan ! Des ouatis», « Euh pardon, des voitures »… Un petit dialogue que nous avons tous vécu avec un enfant découvrant les joies de la parole et les obstacles de l’élocution !

Cette pièce est à l’avenant: riche de sensations, d’échanges pas si évidents entre le petit enfant en marche (rapide) vers l’autonomie et ses parents. Un texte tonique et tendre, et pleine d’un bel optimisme: oui, ça vaut la peine de grandir. Comme tous ceux publiés dans cette collection au format agréable, Depuis que je suis né est joliment illustré par Gala Vanson. De quoi donner aux enfants l’envie de s’en emparer.. Autonomie, autonomie !

Christine Friedel

Actes Sud-Papiers, collection Heyoka Jeunesse.
La pièce est jouée dans le cadre des Odyssées en Yvelines
(écoles et collèges). Voir les dates sur le site de ce festival.


Archive pour 15 février, 2022

François Rabelais/ Portrait d’un homme qui n’a pas souvent dormi tranquille de Philippe Sabres et Jean-Pierre Andréani, mise en scène de Jean-Pierre Andréani

François Rabelais/Portrait d’un homme qui n’a pas souvent dormi tranquille de Philippe Sabres et Jean-Pierre Andréani, mise en scène de Jean-Pierre Andréani

 

François Rabelais (1483 ou 1494-1553), alias Alcofribas Nasier, menacé par l’Inquisition pour blasphème et apostasie trouve le salut dans la fuite, au lendemain de la mort de son éditeur, Etienne Dolet*, brûlé place Maubert en 1546. Il se réfugie chez son bienfaiteur, le cardinal du Bellay, qui lui propose, au cours d’une soirée bien arrosée, de l’accompagner en Italie. Dans son sommeil lourd de cauchemars,  ses personnages et ses bourreaux le hantent… On le retrouvera des années plus tard, à faire le bilan de sa vie.

Grâce à un habile montage entre biographie et plongée dans la langue savoureuse de Gargantua et Pantagruel, nous suivons les pérégrinations de ce moine, écrivain et médecin, interprété avec justesse par Philippe Bertin. En prenant bien des libertés avec la réalité historique ( Rabelais n’a jamais pris la fuite, ni été inculpé) , Philippe Sabres et Jean-Pierre Andréani, font revivre l’auteur en éternelle cavale, face à un austère docteur de la Sorbonne, à son ami Clément, ou encore face à l’oncle de Joachim Du Bellay, un ecclésiastique bon vivant. Des personnages incarnés par Michel Laliberté, un peu trop démonstratif dans ces rôles de composition.

Pour cette mise en scène efficace, les décors sobres, quelques accessoires et changement de costume indiquent les lieux et les circonstances de cette traversée spatio-temporelle. De cette sombre époque, où l’Eglise sorbonnarde prend le pouvoir sur un François Ier vieillissant dont la sœur et écrivaine Marguerite de Navarre a perdu de son influence, on retiendra le rire que l’écrivain oppose aux persécutions… Un rire de résistance que ce médecin de l’âme prescrit contre la bêtise et l’ignorance. Et que les deux acteurs nous font entendre, en ressuscitent la Guerre Picrocholine, dans cette langue française inouïe, d’une irrésistible invention et d’une grande beauté,. Avec ses personnages de géants, cette parodie héroï-comique, ancêtre du conte philosophique et du roman politico-satirique, a marqué à jamais notre littérature. En bref, ce spectacle d’une heure quinze, modeste mais bien construit, nous incite à revenir aux sources.

Mireille Davidovici

Jusqu’au au 4 avril, Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, Paris (IV ème). T. : 01 42 78 46 42.

Et du 7 au 30 juillet, Théâtre Essaïon au Festival d’Avignon.

* Etienne Dolet (1509-1546), Humaniste insoumis de Christine de Coninck, Ampelos éditions.

 

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