Livres et revues

Actes Sud-Papiers, collection Heyoka Jeunesse.
Correspondance avec la Mouette, Anton Tchekhov Lydia Mizinova, traduit du russe, annoté et présenté par Nicolas Struve
Tout un roman… Cela commence à Moscou en 1989. Anton Tchekov est médecin mais aussi un écrivain connu de vingt-neuf ans qui a publié plusieurs centaines de nouvelles. Lydia Mizinova ou selon son diminutif Lika, en a dix de moins. Cette jeune et belle séduisante apprentie-cantatrice est amoureuse de lui mais plus que lui, d’elle qui est très jalouse. Pourtant elle comme lui a d’autres amours mais ils ont entre eux deux une attirance et une tendresse inoxydable. Tchekhov l’a poussé dans les bras de Potapenko, un écrivain qu’elle a rencontré chez lui. Et ils partent pour Paris où Lika aura un bébé qui ne survivra pas.Tchekhov qui n’aimait pas beaucoup ce Potapenko le traite de porc dans une lettre.
Et un an après que Tchekhov ait épousé Olga Knipper sa comédienne préférée, Lika se marie avec Alexandre Sanine, metteur en scène du Théâtre d’art de Moscou. Mais elle le quittera et partira pour l’Europe et la France. Elle meurt de tuberculose en 1939 soit trente ans après son Anton et est enterrée au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-bois. C’est déjà en filigrane, l’histoire de Trigorine et de Nina Zaretchna dans La Mouette que son auteur écrivit… quelques années avant la liaison de Lika et Potapenko…
Pendant presque dix ans, ils vont s’écrire et se retrouver parfois au gré des innombrables voyages de l’écrivain. Mais sur le mode : jamais sans toi jamais avec toi. Et on voit ici un Tchekov parfois cynique : «J’embrasse avec une muflerie respectueuse votre petite boîte à poudre et j’envie vos vieilles bottines qui vous voient chaque jour.Parlez-moi de vos conquêtes. » Mais il peut être aussi féroce : «Si vous êtes piquée de quelque fabricant de vodka ou d’un baron eh! Bien, dites-le.» Et elle, non plus, ne mâche pas ses mots: «Votre lettre est toute entière imprégnée d’un tel égoïsme.» Mais, toujours avec un dose de tendresse en avance, elle lui envoie aussi du «mon petit pigeon.» Ils s’écriront, faute de se voir et pour sans doute préparer à des retrouvailles et se donner une certaine comédie, dit Nicolas Struve, avec une joie évidente, un certain humour et une énorme tendresse. Ce que révélait déjà sa mise en scène quand il dirigeait avec bonheur Stéphanie Schwartzbrod et lui-même (voir Le Théâtre du Blog).
Il existe, dit Nicolas Struve, 67 lettres d’Anton à Lika, et 98 de Lika à Anton. Et il a traduit ici la totalité des lettres de lui et 38 lettres d’elle à lui. Mais aussi une trentaine d’extraits d’autres lettres d’elle à Tchekhov. Sans doute un très utile complément à cette Mouette que Paul Desveaux vient de monter (voir Le Théâtre du Blog). Mais il y a aussi le grand plaisir à lire ces lettres comme écrites d’hier qui ont déjà plus de cent trente ans! Et à découvrir un Tchekhov encore jeune éternel voyageur et fasciné par les femmes. Et il y a nombre de notes en bas de page, toujours très bien faites et éclairantes. Merci encore Nicolas Struve pour ce somptueux cadeau que vous faites à ceux nombreux qui ont vu une ou plusieurs pièces de Tchekhov, comme aux autres.
Philippe du Vignal
Editions Arléa, 20 €.
Depuis que je suis né de David Lescot
Le bébé est une personne et l’auteur s’en souvient, en prêtant sa plume à un enfant qui écrit ses mémoires… Cette pièce accompagne tout simplement, à la première personne, la métamorphose de l’enfant, du bébé qui était si bien dans le bain maternel, avant sa naissance, au petit garçon de six ans, autant dire presque un « préado », tant nous sommes précoces aujourd’hui…
Il en aura vécu, des aventures, agacements et bonheurs, Depuis que je suis né, dit-il. Avec plus ou moins de patience -parce que les cris, on n’a rien trouvé de plus efficace, quand on est un bébé-, il explique donc gentiment aux parent ce qu’il ressent, ce dont il a besoin et assez vite, ce qu’il dit avec des mots. Pas question de bêtifier : «Là, des ouatis !», «Oui, il y a plein de voitures », «Des ouatis !», « Oui, des ouatis », «Naan ! Des ouatis», « Euh pardon, des voitures »… Un petit dialogue que nous avons tous vécu avec un enfant découvrant les joies de la parole et les obstacles de l’élocution !
Cette pièce est à l’avenant: riche de sensations, d’échanges pas si évidents entre le petit enfant en marche (rapide) vers l’autonomie et ses parents. Un texte tonique et tendre, et pleine d’un bel optimisme: oui, ça vaut la peine de grandir. Comme tous ceux publiés dans cette collection au format agréable, Depuis que je suis né est joliment illustré par Gala Vanson. De quoi donner aux enfants l’envie de s’en emparer.. Autonomie, autonomie !
Christine Friedel
Actes Sud-Papiers, collection Heyoka Jeunesse.
La pièce est jouée dans le cadre des Odyssées en Yvelines (écoles et collèges). Voir les dates sur le site de ce festival.