Cœur instamment dénudé (Première époque), texte et mise en scène de Lazare

Cœur instamment dénudé (Première époque), texte et mise en scène de Lazare

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

Une version revisitée, bousculée et «déconstruite» de Psyché. Salut à Molière, au passage et à Corneille qui l’a aidé à mettre en vers sa tragédie-ballet. On connait peut-être l’histoire mais  rappelons-en les grandes lignes. Sur la plus jolie fille du monde, pèsent deux malédictions : ne pas être encore mariée, alors que ses sœurs le sont, normales et fières de l’être, et avoir déclenché la haine et la jalousie de Vénus: son culte est délaissé à cause d’elle.

Elle doit selon l’oracle être exilée sur un rocher sauvage et épouser un monstre non moins sauvage. Ce rocher est le palais des plaisirs et le doux monstre, qui ne doit en aucun cas montrer son visage, n’est autre que l’Amour. Lequel, blessé par ses propres flèches, au grand dam de sa mère à qui sa vengeance échappe, est brûlé par la lampe de Psyché, convaincue par ses sœurs, cette fois envieuses de sa vie de château, de regarder le visage interdit. Les autres détails de la légende fixée par Apulée, auteur latin du II ème siècle, qui a donné forme à cette légende, apparaîtront dans le spectacle.

Ce Cœur instamment dénudé est peut-être bien celui d’une petite fille. Psyché, enchantée dans son enfance par les histoires de son grand-père (joué par le même acteur qui sera Cupidon) devient femme, en découvrant l’amour. Harcelée par des prétendants lourdauds (A nous, me too!), persécutée par Vénus, enlevée par un mystérieux et charmant ravisseur, elle s’ennuiera «grave» au palais des plaisirs et délices avec cet amant furtif, et s’évadera. Comme le dit l’auteur, Psyché n’est pas une victime mais plutôt quelqu’un qui cherche,  demande et n’aime ni s’ennuyer ni se laisser faire, une Louise Michel qui, à treize ans, a appris à dire : non. Et c’est peut-être le cœur de Vénus elle-même, réduite à son rôle de mère, tyrannique et blessée. Ou encore celui de Cupidon, étonné par son pouvoir.  Ce ridicule bébé ailé aura bientôt un corps d’homme : cela fait partie des métamorphoses de cette histoire…

On parle de Lazare comme d’un artiste singulier. Il sait qu’il parle des cités de Bagneux et ce collégien qu’on emmène au théâtre voir ce qui se passe là-haut, un jour a décidé de le faire, ce théâtre mais au pluriel. Plutôt qu’un discours sur la différence, le comédien improvisateur et auteur mais aussi metteur en scène nous propose cent inventions théâtrales, en musique.
Si nous avons bien suivi, ce spectacle rend compte dans son entier de l’histoire de Psyché, ici touffue, traversée de numéros acrobatiques ou dansés, et poèmes… Les acteurs-musiciens jouent avec toute la vérité de leur savoir-faire, avec une rigueur et en engagement absolus.
La scénographie d’Olivier Brichet est une machine à jouer et le spectacle tient du cirque : pas d’images autres qu’en fond de scène, la photo fameuse de Louise Michel, apparue un instant. Les images, ce sont les interprètes qui les font, en désarticulant les éléments mécaniques qui leur sont offerts et grâce aux costumes, souvent ironiques ou démesurés de Virginie Gervaise. Grâce aussi à des incarnations comiques: un oreiller amical et possessif, un couteau gentil qui ne veut pas blesser, le chien Dollar, ou un robot à vendre.

Tout ici est démesuré et ressemble à un spectacle pour enfants, à un  carnaval et à un cabaret, mais inclassable et réjouissant. Et aussi à un opéra contemporain anarchiste. Les comédiens chantent parfois une sorte de récitatif puissant, ou  se posent, le temps d’un air qui peut être scandé, slamé  ou rappé. Cette forme libre où Lazare pratique l’insolence poétique, nous fait penser comme sans doute à son auteur, à Bertolt Brecht. Et par les temps qui courent, la première époque de ce grand spectacle populaire, foisonnant et généreux qui a été créé au Théâtre National de Strasbourg, fait beaucoup de bien. Et nous attendons la seconde avec gourmandise.

Christine Friedel

Jusqu’au 3 mars MC 93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 60 72 72.

 

 

 


Archive pour 28 février, 2022

Le Problème lapin, cartographie 7 de l’Atlas de l’anthropocène, de Frédéric Ferrer

Le Problème lapin, cartographie 7 de l’Atlas de l’anthropocène, de Frédéric Ferrer

 

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© Vertical Détour

Nous vous prévenons, c’est on ne peut plus sérieux : le lapin déborde. Il faudra une conférence avec Frédéric Ferrer et Hélène Schwartz pour entrevoir l’ampleur et la profondeur du problème. Allons droit à la conclusion: comme l’humain, le lapin est une espèce à la fois invasive et en voie de disparition.
Démonstration: tout le monde a entendu parler des ravages commis par les lapins en Australie. Amenés là naïvement pour la subsistance des marins (des immigrants ?), ils ont presque réussi à affamer l’île-continent en se multipliant… comme des lapins et en détruisant son agriculture.
Cataclysme inévitable? Après de vains massacres, il a fallu inventer un nouveau cataclysme, lancer un virus (tiens, tiens…). La myxomatose eut l’effet escompté mais prit aussi le bateau du retour et ravagea le monde entier. Mais l’espèce releva la tête et redevint invasive… La question lapine, dit Frédéric Ferrer, est vaste, complexe et a une infinité de causes et d’effets.

On aura saisi le comique irrésistible de cette conférence fondée sur l’exactitude scientifique absolue des faits exposés, et sur le caractère imprévisible des rapports découverts entre eux. Dont la suite mathématique : 1 1 2 3 5 8 13 21… etc, chiffrage de la prolifération lapine et courbe correspondant au fameux nombre d’or, clé de l’architecture du Parthénon et du portait de Mona Lisa. Sans compter la rivalité grandissante et théâtrale entre les conférenciers, sur le manoir de Kerguelen en Bretagne ou l’invasion des îles du même nom par les pissenlits, que les lapins mangent par la racine, pour leur plus grand bien.
Sans oublier que le «doudou» en forme de lapin tend à supplanter le nounours, et que cela prolifère aussi de ce côté-là. À l’aide d’incontestables images, textes ou graphiques projetés sur écran, l’ampleur du « problème lapin» s’impose. Le spectateur, qui vient au théâtre avec son actualité, ses questionnements graves, ne peut s’empêcher de voir aussi une image du problème des migrants imposé par les politiques. Ce n’était pas le projet de l’auteur–acteur, militant éclairé de la cause climatique, mais voilà, le théâtre vit au présent et lui fait écho.

Frédéric Ferrer l’a dit: il mettrait volontiers en scène un Shakespeare mais sa formation de géographe et l’urgence climatique l’entraînent irrésistiblement vers ses Cartographies. On n‘a pas oublié ses Tokyo forever I et II, une drôle et tragique représentation d’une commission internationale incapable de tenir ses engagements à ralentir le réchauffement climatique d’un degré, voire d’un demi-degré. Faux suspense: au petit matin, tout a fini par un accord à l’arrache et pour une fois  à la baisse, mais a minima.
À ne pas manquer cette autre conférence À la Recherche des canards perdus, si elle passe à votre portée. La NASA avait tenté une expérience aussi sérieuse que fragile: larguer des canards en plastique sur la banquise et relever leur point d’arrivée pour mesurer la vitesse de la fonte des glaces arctiques…à condition de retrouver les dits canards.
Comme dans Le Problème lapin où nous sommes saisis par la capacité de la science et de la logique à créer des effets d’attente et rebondissements palpitants. Et plus encore, par les coups de projecteur sur sur la science elle-même et ses objets, et sur la construction du savoir et du doute. Voir, à l’occasion d’un lever de rideau, l’analyse du mot: agnotologie (fabrique de l’ignorance), ou comment une « bonne » recherche scientifique financée par le lobby du tabac, peut noyer sa nocivité sous d’autres et multiples causes réelles du cancer du poumon, pour dégager sa responsabilité.

En février, Frédéric Ferrer a passé trois semaines à la Maison des Métallos pour une  coopérative artistique, impliquant un engagement qui déplace les lignes du théâtre en créant tout un éventail de formes participatives. En un mot, la CoOP demande de faire un spectacle avec un public vivant. Apéritif avec vins bio et terrine… de lapin, activités diverses,  invitation à bouger, à s’exprimer, à prendre part à la fabrication même du spectacle avec questions et choix. C’est à la fois ludique et pédagogique mais un peu laborieux. Ne pas se contenter d’apprendre dans le plaisir du spectacle et l’intelligence du rire, et entrer dans le jeu, serait-ce le premier pas vers un engagement ? Peut-être bien une minuscule métaphore.

Heureusement, en dehors des jeux et mises en situation, et grâce aux recherches, entre autres, de Frédéric Ferrer et de sa compagnie Vertical Détour, les spectateurs-citoyens sont de plus en plus conscients de l’urgence réelle de la question. Et, si la science, bien pesée et bien pensée, nous aidait à passer de l’anthropocène-une ère géologique définie par la domination de l’espèce humaine qui modifie le monde pour le pire-au symbiocène, une autre espèce humaine vivant en bonne harmonie avec la Terre ?

En attendant, pour revenir à nos lapins, nous avons écouté avec grand plaisir les trente questions choisies parmi les cent soixante-dix-neuf posées par le public des Métallos et leurs réponses de Frédéric Ferrer et Hélène Schwartz selon le compte à rebours. Et nous sommes sortis de là, obsédés par les lapins, au point d’entendre dans une chanson à la radio « le dernier lapin », au lieu du « dernier matin ». Et sans avoir appris (pas le temps) l’origine sans doute licencieuse, de l’expression : poser un lapin…

Christine Friedel

Maison des Métallos, 44 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris ( XI ème). T. : 01 47 00 25 20.

 

 

 

 

Coloris vitalis Calenture n° 1 de l’Hypogée, pour clown blanc et explosions de couleurs de Catherine Lefeuvre, direction de Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild

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©Tristan Jeanne-Valdès

Coloris vitalis Calenture n° 1 de l’Hypogéepour clown blanc et explosions de couleurs de Catherine Lefeuvre, direction: Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild

Une soirée organisée par la revue Frictions dirigée par Jean-Pierre Han pour la sortie de son dernier numéro: le trente quatrième  déjà… Théâtres-écritures  »où il est question de clowns et de clowneries».
« Une calenture, dit Jean Lambert-wild, est un délire furieux auquel les marins sont sujets lors de la traversée de la zone tropicale et qui est caractérisé par des hallucinations et le désir irrésistible de se jeter à la mer. Le personnage du clown blanc est depuis plus de vingt ans, une sorte de double personnel et attachant qui réapparait dans nombre des spectacles quand il y joue.
Le spectacle mérite sans aucun doute mieux que ce titre un peu compliqué… Le personnage du clown blanc est depuis plus de vingt ans une sorte de double personnel et attachant qui réapparait dans nombre des spectacles quand il y joue. Comme une marque de fabrique. Il avait créé ce monologue il y a quatre ans à Limoges.
Sur le plateau, juste un tapis rond blanc. Sur un haut cube cachant une grande robe gris bleu à fines rayures rappelant les pyjamas d’autrefois de l’acteur et metteur en scène, avec de petites baudruches rouges. Le visage maquillé de blanc et coiffé du traditionnel chapeau conique tout aussi blanc, ce Gramblanc devient un personnage impressionnant hors-normes. Mince et très grand, il possède une formidable présence. Bien éclairé,  expansif, il passe ici d’une certaine tristesse, à un appétit de vivre dans une explosion de couleurs, comme le suggère le titre de la pièce. 

Ce clown-acteur ou cet acteur-clown (difficile de choisir) a une diction et une gestuelle impeccable et va une heure durant sans jamais quitter son cube, se livrer à un équilibrisme difficile,  à la fois oral et physique. Il va parfois trop vite et devrait se laisser à des temps de respiration, même si plusieurs fois, une jeune femme en salopette (Christine Ducouret) vient calmement et avec élégance le soutenir à coup de verres de vin rouge et autres boissons revigorantes… Et que nous raconte-t-il dans un texte aux apparences banales mais bien écrit, aux accents tragiques et tissé de poésie: «Et puis j’ai soif aussi. J’ai vraiment merdé dans les préparatifs. Maintenant, je suis seul, sans rhum ni biscuits. J’ai faim, j’ai faim. J’entends des voix à présent. Je les reconnais, ce sont les voix des naufragés du monde que j’ai quitté. La mer a englouti une Babel désespérée et surpeuplée, c’est effrayant. Bon Dieu, les poissons sont devenus la chair de la chair de l’homme. Ils se goinfrent du chaos de notre époque qui fait de la mer un cimetière. Il y a beaucoup trop d’humanité au fond de l’eau, c’est écœurant. »

Mais ce clown blanc n’oublie pas qu’il a devant lui des spectateurs qu’il interroge au hasard : Question numéro 1. Voulez-vous sauver votre âme?… Question numéro 2. Tournez-vous parfois en rond ?… Question numéro 3. Avez-vous toujours le com- pas dans l’œil ?… Question numéro 4. Voulez-vous faire pipi dans le Pacifique ?… Question numéro 5. Avez-vous perdu votre estime ?… Question numéro 6. Entendez-vous des voix lorsque vous êtes en mer ?… Question numéro 7. Mangez-vous du poisson ?… Question numéro 8. Avez-vous un dodo dans la tête ?… »

C’est encore un monologue de plus, dira-t-on… Sans doute mais ici parfaitement assumé et issu bien en amont d’un longue et patient travail d’interprète chez Jean Lambert-wild. Ici aucune bébétisation, comme souvent chez les clowns des années soixante. Il nous offre de belles images insolites grâce au langage proféré et à à la diction spéciale qu’il s’est forgée. Et dans « le bord de plateau » qui a suivi le spectacle, il a eu raison de dire que le langage clownesque est aussi essentiel… que la gestuelle, le costume, les lumières ou les petits airs des chansons. Mais dans cet exercice de style, aucun droit à l’erreur, sinon tout risquerait de devenir facilement approximatif, voire vulgaire. Ici mission accomplie, avec mention spéciale au son et aux lumières.

Cela tient même du pari (ici réussi) de tenir une heure sans aucune rupture de rythme, tout en s’exprimant aussi gestuellement et perché sur son cube. Le personnage grotesque du XVII ème siècle, issu de la commedia dell’arte mais aussi en Grande-Bretagne, de ces « artistes » paysans qu’on faisait venir dans les cirques pour jouer les benêts… a évidement bien évolué.
Ici, ce descendant du clown banc ne met pas en valeur l’Auguste rouge mais crée son propre personnage. Délirant, à la fois proche de nous par son langage comme chez Footit et Chocolat, au début du XXème siècle, et à lui seul, dans une sorte de comédie souvent grinçante, voire cynique.

Il renverse la situation en se faisant servir par un pauvre être en salopette qu’il appelle et qui lui obéit aussitôt. Et malgré son costume dérisoire aux petites baudruches rouges rappelant le nez rouge clownesque, ce personnage garde dans son délire «autistique», une certaine dignité qui le rend attachant. Dans la droite ligne des personnages du Pierrot lunaire dandy inventé par le poète belge Albert Giraud (1884): « Mais le seigneur à blanche basque/Laissant le rouge végétal/Et le fard vert oriental/Maquille étrangement son masque/D’un rayon de lune fantasque. »

Catherine Lefeuvre, comme Samuel Beckett ou Emma la clown (voir Le Théâtre du Blog) tend vers une certain langage théâtral à coloration philosophique. Avec ce personnage hors-normes qui discourt sur la vie et les couleurs en utilisant toutes les gammes de la langue : anacoluthes, répétitions, allitérations…  « Et nous voilà à présent, vous, moi, la couleur, la vie, cette grande histoire d’amour et de poésie, cette grande pourvoyeuse de vitalité qui nous unit, qui nous nourrit, qui nous exalte, qui nous émerveille, qui nous divise aussi, qui nous condamne parfois, qui nous fait souffrir, qui nous perd, qui nous trompe et nous jette dans le meilleur des cas sur une scène ou, plus probablement, au fond d’un trou, dans un concert de mains qui claquent.Pris dans les rais du temps qui marche à rebours, j’énumère, je liste, je répète, je recense, je développe, je redis dix fois, mille zéro fois, zéro dix mille fois toutes ces couleurs qui font ma maladie. C’ est ma langue malade qui m’ emporte, elle pend, elle pèse et ne veut plus rentrer. (…)Il faut dire que je suis né plein de pigments bouillonnant dans mes veines qui, pris sous le feu du piment de ma vitalité, sont particulière- ment incontrôlables, irrépressibles, une vitalité qui fatigue tout le monde sauf son réceptacle, moi, le contenu du contenant, le contenant du contenu, le tenant du con tenu, le tenant compte sans tenue, le compte tenu du con tenant, coloré et colorant. »

Nous pensions à nos amis ukrainiens en ces temps douloureux et à la fin quelques mots sonnaient étrangement en ce triste samedi soir au Théâtre-Ecole du Samovar (un hasard mais sic !) : «Ma vie d’avant se dissipe peu à peu dans le miroir de cette vaste étendue. Ici, il n’y a rien d’autre que la mer et le vent qui commandent. Ici, l’on perd ou l’on gagne. C’est tout. » Ce   »petit » spectacle est d’une grande qualité, à la fois par son texte ciselé -même s’il y a parfois quelques répétitions- et par son interprétation aussi loufoque que rigoureuse. Et, par les temps qui courent, cela fait vraiment du bien. Si un jour, vous le croisez sur votre route, n’hésitez pas…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 26 février au Théâtre du Samovar, 135 rue Pasteur, Bagnolet (Seine-Saint-Denis). 

Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs

Coopérative 326, 1 rue Anita Conti, 56000 Vannes. T : 02 97 57 10 36.

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