Coloris vitalis Calenture n° 1 de l’Hypogée, pour clown blanc et explosions de couleurs de Catherine Lefeuvre, direction de Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild
Coloris vitalis Calenture n° 1 de l’Hypogée, pour clown blanc et explosions de couleurs de Catherine Lefeuvre, direction: Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild
Une soirée organisée par la revue Frictions dirigée par Jean-Pierre Han pour la sortie de son dernier numéro: le trente quatrième déjà… Théâtres-écritures »où il est question de clowns et de clowneries».
« Une calenture, dit Jean Lambert-wild, est un délire furieux auquel les marins sont sujets lors de la traversée de la zone tropicale et qui est caractérisé par des hallucinations et le désir irrésistible de se jeter à la mer. Le personnage du clown blanc est depuis plus de vingt ans, une sorte de double personnel et attachant qui réapparait dans nombre des spectacles quand il y joue.
Le spectacle mérite sans aucun doute mieux que ce titre un peu compliqué… Le personnage du clown blanc est depuis plus de vingt ans une sorte de double personnel et attachant qui réapparait dans nombre des spectacles quand il y joue. Comme une marque de fabrique. Il avait créé ce monologue il y a quatre ans à Limoges.
Sur le plateau, juste un tapis rond blanc. Sur un haut cube cachant une grande robe gris bleu à fines rayures rappelant les pyjamas d’autrefois de l’acteur et metteur en scène, avec de petites baudruches rouges. Le visage maquillé de blanc et coiffé du traditionnel chapeau conique tout aussi blanc, ce Gramblanc devient un personnage impressionnant hors-normes. Mince et très grand, il possède une formidable présence. Bien éclairé, expansif, il passe ici d’une certaine tristesse, à un appétit de vivre dans une explosion de couleurs, comme le suggère le titre de la pièce.
Ce clown-acteur ou cet acteur-clown (difficile de choisir) a une diction et une gestuelle impeccable et va une heure durant sans jamais quitter son cube, se livrer à un équilibrisme difficile, à la fois oral et physique. Il va parfois trop vite et devrait se laisser à des temps de respiration, même si plusieurs fois, une jeune femme en salopette (Christine Ducouret) vient calmement et avec élégance le soutenir à coup de verres de vin rouge et autres boissons revigorantes… Et que nous raconte-t-il dans un texte aux apparences banales mais bien écrit, aux accents tragiques et tissé de poésie: «Et puis j’ai soif aussi. J’ai vraiment merdé dans les préparatifs. Maintenant, je suis seul, sans rhum ni biscuits. J’ai faim, j’ai faim. J’entends des voix à présent. Je les reconnais, ce sont les voix des naufragés du monde que j’ai quitté. La mer a englouti une Babel désespérée et surpeuplée, c’est effrayant. Bon Dieu, les poissons sont devenus la chair de la chair de l’homme. Ils se goinfrent du chaos de notre époque qui fait de la mer un cimetière. Il y a beaucoup trop d’humanité au fond de l’eau, c’est écœurant. »
Mais ce clown blanc n’oublie pas qu’il a devant lui des spectateurs qu’il interroge au hasard : Question numéro 1. Voulez-vous sauver votre âme?… Question numéro 2. Tournez-vous parfois en rond ?… Question numéro 3. Avez-vous toujours le com- pas dans l’œil ?… Question numéro 4. Voulez-vous faire pipi dans le Pacifique ?… Question numéro 5. Avez-vous perdu votre estime ?… Question numéro 6. Entendez-vous des voix lorsque vous êtes en mer ?… Question numéro 7. Mangez-vous du poisson ?… Question numéro 8. Avez-vous un dodo dans la tête ?… »
C’est encore un monologue de plus, dira-t-on… Sans doute mais ici parfaitement assumé et issu bien en amont d’un longue et patient travail d’interprète chez Jean Lambert-wild. Ici aucune bébétisation, comme souvent chez les clowns des années soixante. Il nous offre de belles images insolites grâce au langage proféré et à à la diction spéciale qu’il s’est forgée. Et dans « le bord de plateau » qui a suivi le spectacle, il a eu raison de dire que le langage clownesque est aussi essentiel… que la gestuelle, le costume, les lumières ou les petits airs des chansons. Mais dans cet exercice de style, aucun droit à l’erreur, sinon tout risquerait de devenir facilement approximatif, voire vulgaire. Ici mission accomplie, avec mention spéciale au son et aux lumières.
Cela tient même du pari (ici réussi) de tenir une heure sans aucune rupture de rythme, tout en s’exprimant aussi gestuellement et perché sur son cube. Le personnage grotesque du XVII ème siècle, issu de la commedia dell’arte mais aussi en Grande-Bretagne, de ces « artistes » paysans qu’on faisait venir dans les cirques pour jouer les benêts… a évidement bien évolué.
Ici, ce descendant du clown banc ne met pas en valeur l’Auguste rouge mais crée son propre personnage. Délirant, à la fois proche de nous par son langage comme chez Footit et Chocolat, au début du XXème siècle, et à lui seul, dans une sorte de comédie souvent grinçante, voire cynique.
Il renverse la situation en se faisant servir par un pauvre être en salopette qu’il appelle et qui lui obéit aussitôt. Et malgré son costume dérisoire aux petites baudruches rouges rappelant le nez rouge clownesque, ce personnage garde dans son délire «autistique», une certaine dignité qui le rend attachant. Dans la droite ligne des personnages du Pierrot lunaire dandy inventé par le poète belge Albert Giraud (1884): « Mais le seigneur à blanche basque/Laissant le rouge végétal/Et le fard vert oriental/Maquille étrangement son masque/D’un rayon de lune fantasque. »
Catherine Lefeuvre, comme Samuel Beckett ou Emma la clown (voir Le Théâtre du Blog) tend vers une certain langage théâtral à coloration philosophique. Avec ce personnage hors-normes qui discourt sur la vie et les couleurs en utilisant toutes les gammes de la langue : anacoluthes, répétitions, allitérations… « Et nous voilà à présent, vous, moi, la couleur, la vie, cette grande histoire d’amour et de poésie, cette grande pourvoyeuse de vitalité qui nous unit, qui nous nourrit, qui nous exalte, qui nous émerveille, qui nous divise aussi, qui nous condamne parfois, qui nous fait souffrir, qui nous perd, qui nous trompe et nous jette dans le meilleur des cas sur une scène ou, plus probablement, au fond d’un trou, dans un concert de mains qui claquent.Pris dans les rais du temps qui marche à rebours, j’énumère, je liste, je répète, je recense, je développe, je redis dix fois, mille zéro fois, zéro dix mille fois toutes ces couleurs qui font ma maladie. C’ est ma langue malade qui m’ emporte, elle pend, elle pèse et ne veut plus rentrer. (…)Il faut dire que je suis né plein de pigments bouillonnant dans mes veines qui, pris sous le feu du piment de ma vitalité, sont particulière- ment incontrôlables, irrépressibles, une vitalité qui fatigue tout le monde sauf son réceptacle, moi, le contenu du contenant, le contenant du contenu, le tenant du con tenu, le tenant compte sans tenue, le compte tenu du con tenant, coloré et colorant. »
Nous pensions à nos amis ukrainiens en ces temps douloureux et à la fin quelques mots sonnaient étrangement en ce triste samedi soir au Théâtre-Ecole du Samovar (un hasard mais sic !) : «Ma vie d’avant se dissipe peu à peu dans le miroir de cette vaste étendue. Ici, il n’y a rien d’autre que la mer et le vent qui commandent. Ici, l’on perd ou l’on gagne. C’est tout. » Ce »petit » spectacle est d’une grande qualité, à la fois par son texte ciselé -même s’il y a parfois quelques répétitions- et par son interprétation aussi loufoque que rigoureuse. Et, par les temps qui courent, cela fait vraiment du bien. Si un jour, vous le croisez sur votre route, n’hésitez pas…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 26 février au Théâtre du Samovar, 135 rue Pasteur, Bagnolet (Seine-Saint-Denis).
Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs
Coopérative 326, 1 rue Anita Conti, 56000 Vannes. T : 02 97 57 10 36.