François Rabelais/ Portrait d’un homme qui n’a pas souvent dormi tranquille de Philippe Sabres et Jean-Pierre Andréani, mise en scène de Jean-Pierre Andréani

François Rabelais/Portrait d’un homme qui n’a pas souvent dormi tranquille de Philippe Sabres et Jean-Pierre Andréani, mise en scène de Jean-Pierre Andréani

 

François Rabelais (1483 ou 1494-1553), alias Alcofribas Nasier, menacé par l’Inquisition pour blasphème et apostasie trouve le salut dans la fuite, au lendemain de la mort de son éditeur, Etienne Dolet*, brûlé place Maubert en 1546. Il se réfugie chez son bienfaiteur, le cardinal du Bellay, qui lui propose, au cours d’une soirée bien arrosée, de l’accompagner en Italie. Dans son sommeil lourd de cauchemars,  ses personnages et ses bourreaux le hantent… On le retrouvera des années plus tard, à faire le bilan de sa vie.

Grâce à un habile montage entre biographie et plongée dans la langue savoureuse de Gargantua et Pantagruel, nous suivons les pérégrinations de ce moine, écrivain et médecin, interprété avec justesse par Philippe Bertin. En prenant bien des libertés avec la réalité historique ( Rabelais n’a jamais pris la fuite, ni été inculpé) , Philippe Sabres et Jean-Pierre Andréani, font revivre l’auteur en éternelle cavale, face à un austère docteur de la Sorbonne, à son ami Clément, ou encore face à l’oncle de Joachim Du Bellay, un ecclésiastique bon vivant. Des personnages incarnés par Michel Laliberté, un peu trop démonstratif dans ces rôles de composition.

Pour cette mise en scène efficace, les décors sobres, quelques accessoires et changement de costume indiquent les lieux et les circonstances de cette traversée spatio-temporelle. De cette sombre époque, où l’Eglise sorbonnarde prend le pouvoir sur un François Ier vieillissant dont la sœur et écrivaine Marguerite de Navarre a perdu de son influence, on retiendra le rire que l’écrivain oppose aux persécutions… Un rire de résistance que ce médecin de l’âme prescrit contre la bêtise et l’ignorance. Et que les deux acteurs nous font entendre, en ressuscitent la Guerre Picrocholine, dans cette langue française inouïe, d’une irrésistible invention et d’une grande beauté,. Avec ses personnages de géants, cette parodie héroï-comique, ancêtre du conte philosophique et du roman politico-satirique, a marqué à jamais notre littérature. En bref, ce spectacle d’une heure quinze, modeste mais bien construit, nous incite à revenir aux sources.

Mireille Davidovici

Jusqu’au au 4 avril, Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, Paris (IV ème). T. : 01 42 78 46 42.

Et du 7 au 30 juillet, Théâtre Essaïon au Festival d’Avignon.

* Etienne Dolet (1509-1546), Humaniste insoumis de Christine de Coninck, Ampelos éditions.

 


Archive pour février, 2022

D’un Rêve, chorégraphie de Salia Sanou, musique de Lokua Kanza

D’un Rêve, chorégraphie de Salia Sanou, musique de Lokua Kanza


Après le triptyque Multiple-s en 2018 et Jeune Noir à l’épée, concert d’Abd Al Maliken en 2020 (voir Le Théâtre du Blog), nous attendions beaucoup de cette nouvelle pièce et n’avons pas déçus. La beauté nous est servie en grand format sur le plateau du Châtelet, avec une “comédie dansée“ et chantée, en forme de diptyque. Elle évoque la douloureuse histoire des Afro-Américains, sur le mode optimiste des spectacles de Broadway. Des champs de coton au cabaret de jazz, le chorégraphe burkinabé revisite la destinée des peuples noirs et compose un hymne à la liberté : «Cette pièce interroge notre présent, dit-il, et se projette dans la perspective d’un destin commun, d’un «nous» qui prendrait le pas sur le «je » .

 Le spectacle s’ouvre sur un gospel: A change is gonna come (Cela va changer), entonné en chœur par les douze interprètes, qui avancent à pas lents sur un tapis blanc cotonneux, figurant les plantations du Dixieland. Derrière eux, projetées en noir et blanc, les images des grandes manifestations pour les droits civiques. Cet hymne plein d’espoir du chanteur américain Sam Cook salue -tout comme le titre: D’un Rêve de Salia Sanou- le discours de Martin Luther King en 1963, et son fameux: «I have a dream ». Et «I can’t breathe », entendu en écho, renvoie à l’assassinat de George Floyd à Minneapolis par un policier en 2020... Danseurs et chanteurs se dispersent en esquissant les gestes du rude labeur des esclaves, soutenus par le chant et la musique. « Pendu hier, écrasé au sol aujourd’hui.», «Nous n’avons plus d’air.», dit le texte. Salia Sanou s’est entouré du poète Capitaine Alexandre (Marc-Alexandre Oho Bembé) et du romancier Gaël Faye pour mettre des mots sur sa danse.

Une fois balayés les flocons de coton blanc, We shall overcome (Nous triompherons !), ce chant emblématique des révoltes américaines  résonne et la voix puissante de Dominique Magloire, seule à l’avant-scène, emporte le public. Et place au cabaret: le plateau nu s’habille alors d’ampoules colorées qui forment des figures lumineuses désuètes comme celles des music-halls d’antan. Les huit danseurs et danseuses, comme les quatre chanteuses, se déchaînent sur des tubes populaires et nous vibrons au fameux Sing Sing Sing de Louis Prima, que chantent en un trio parodique les Andrews Sisters.

Nous reconnaissons It’s a Man’s Man’s Man’s World de James Brown et d’autres airs plus récents. Les corps se déhanchent, s’accouplent, se dispersent, s’assemblent en sous-groupes ou se rangent en ligne. Rythm and blues, reggae, afro-jazz, solos de percussions… Tous les styles de musique et de danse sont ici convoqués. Au swing des comédies musicales américaines, slow motion et autres bip hop… se mêlent des gestuelles ancrées dans la tradition africaine, comme les mouvements sinueux du dos, un style enseigné par Germaine Acogny, «mère de la danse contemporaine africaine» et professeure de Salia Sanou. «La colonne vertébrale, dit-elle, c’est le serpent de vie. »

 Et la vie dans tous ses éclats règne sur le plateau avec cette danse puissante et libératoire. Le public, galvanisé, entre avec bonheur dans ce rêve d’une heure dix et salue avec enthousiasme l’énergie de ces artistes. Dommage, le spectacle créé cet été à Montpellier-Danse, ne s’est joué que trois soirs à Paris. Il mériterait grandement d’y être repris.

 Mireille Davidovici

Spectacle joué du 10 au 12 février au Théâtre du Châtelet, Place du Châtelet, Paris (I er), une programmation du Théâtre de la Ville.

Les 1 et 2 mars, L’Empreinte-Scène Nationale, Brive (Corrèze)  et le 24 mars, Maison de la Culture d’Amiens (Somme).

 

Imperfecto chorégraphie, mise en scène, costumes et interprétation de David Coria et Jann Gallois

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©J. Couturier

Imperfecto chorégraphie et mise en scène de David Coria et Jann Gallois

 

Accompagnés par un ensemble exceptionnel: le chanteur David Lagos, Alexandro Rojas au piano et au clavicorde, Daniel Suarez aux percussions, David Coria et Jann Gallois s’engagent dans une succession de duos et solos pleins de surprises. Jann Gallois, issue du hip hop -nous avions apprécié ici même le dernier solo, Samsara- entre en longue robe pailletée. Elle présente oralement cette pièce comme si nous assistions à une soirée de gala. David Coria s’approche lentement d’elle en croquant une pomme, puis la déshabille. Le couple qui se découvre mutuellement, a des gestes hésitants. Mais à la fin de ce spectacle d’une heure dix, ils se retrouvent pour un pas de deux tendre et sensuel…

 David Coria danse un flamenco aux impulsions sauvages accompagné par David Lagos, un chanteur  qui collabore souvent avec Israel Galvàn. Jann Gallois est soulevée par ces musiques qui libèrent son corps : à des portés d’une belle sensualité, succède une lutte corps à corps. Certaines images rappellent celles que créait Pina Bausch au Tanztheater de Wuppertal; entre autres, les musiciens, consommant des pommes en avant-scène, accompagnent David Coria revêtu d’une longue robe de soirée et d’un chapeau andalou, alors qu’au lointain, Jean Gallois ondule en changeant de costume. Le vaste plateau de la salle Jean Vilar, dont le fond de scène reste éclairé, sert d’écrin à cette rencontre originale d’une grande beauté plastique et théâtrale. Une découverte !

 Jean Couturier

Du 11 au 13 février, Chaillot-Théâtre National de la Danse, 1 place du Trocadéro, Paris ( XVI ème). T. : 01 53 65 3100.
Cette cinquième biennale d’art flamenco a lieu jusqu’au 18 février.

 

 

 

Ceux qui vont contre le vent, conception et mise en scène de Nathalie Béasse

Ceux qui vont contre le vent, conception et mise en scène de Nathalie Béasse

 

L’auteure a suivi une double formation : Beaux-Arts puis Conservatoire d’Angers. Elle privilégie dans son travail l’écriture dite « de plateau » et a conçu un certain nombre de performances; le Théâtre de la Bastille a accueilli plusieurs fois son travail qui se situe entre danse, mime, performance et théâtre. « Les corps se fondent dans différents matériaux : terre, eau, bois, tissu, arbre. On y retrouve les éléments des précédents spectacles, comme le jeu avec habillages et déshabillages» écrivait Julien Barsan en 2017 à propos du Bruit des arbres qui tombent dans Le Théâtre du Blog. Mais cinq ans plus tard, ils sont restés les mêmes!

Ici, il y a au départ, une sorte d’engueulade familiale entre quatre jeunes femmes et trois hommes dont deux plus âgés. Suivront quelques extraits de textes dits par l’un ou l’une d’eux. Rien sur le plateau absolument nu et aussi noir que les murs ; côté cour, une grande table en bois, des seaux en plastique noir et une branche d’arbre sèche. Côté jardin, un piano droit qui ne servira pas. Les acteurs tous au premier rang vont monter en silence sur le plateau. Ils s’y déshabillent et déposent soigneusement leurs vêtements dépliés au sol puis reviennent au premier rang de la salle. Assis, ils vont tirer sur des fils noirs pour faire glisser ces vêtements jusqu’à eux, puis les rassembleront. Une belle image…

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Les scènes se succèdent ici sans lien entre elles mais c’est un parti pris et il y a une belle fluidité dans les mouvements.  Les sept personnages qui n’en sont pas vraiment, le deviennent parfois grâce à la présence des acteurs. Il y a du Pina Bausch dans l’air avec cette branche morte ou quand les sept interprètes entament une ronde enfantine mais aussi du Tadeusz Kantor (la grande table avec nappe blanche) du Christian Boltanski (l’accumulation de vêtements) voire du Stuart Sherman (avec des objets du quotidien mis en valeur… Et bien sûr,  ces éléments que ce grand ancêtre commun le groupe Gutaï fondé au Japon en 1954 par Jirō Yoshihara (1905-1972) a introduit sur un plateau: baudruches, eau, vinyle, peinture, fumée, etc. Que l »on retrouve ici… soixante-dix ans plus tard. Oui, mais voilà… sans aucun esprit de subversion comme l’avaient fait ces peintres japonais se battant contre l’art officiel. Tous ces artistes du XX ème siècle aujourd’hui disparus auront contribué à établir une liaison entre danse, expression du corps et oralité, à partir d’une autre conception, cette fois radicale, de l’espace et du temps. Soyons justes: indéniablement, il y a quelques beaux mais très courts moments, comme ces dizaines d’oranges que les sept acteurs font rouler sur le sol noir. Puis qu’ils ramassent et coincent entre deux actrices en déséquilibre sur un carré à roulettes. Ou cette table instable mue par les artistes invisibles en dessous. Ou encore ces fleurs rouges ou blanches rouges piquées sur un socle d’argile, qu’un d’eux rassemblera en un bloc qu’il tapera sur le sol avec une énergie désespérée. Là, oui, dans ces instants éphémères, il se passe enfin quelque chose… Et mystérieusement, le temps s’écoule assez vite: un petit miracle qu’une scène de théâtre, avec la complicité d’un public bienveillant, peut faire naître. Mais  mieux vaut preuve d’une certaine indulgence: l’ensemble tient d’un travail réussi de cinquième année dans une bonne école de beaux-arts. Bref, l’académisme n’épargne pas non plus l’art de la performance quand on s’en tient à la copie d’œuvres, sans y apporter une vision, une écriture et un style vraiment personnels.

Et le discours de Nathalie Béasse est un rien prétentieux ! Elle affirme (mais cela reste à prouver)! « qu’avec sept interprètes, on habite très fortement la scène ! Leurs présences, leurs corps, un texte, une chaise, une table, une couleur, un costume, tout raconte très simplement. » (…) De spectacle en spectacle, la chute et la course sont comme une méditation, un mouvement perpétuel qui me fait imaginer de nouvelles choses à chaque fois. » Mais Ceux qui vont contre le vent participe d’un catalogue d’effets déjà vus dans les performances et happenings. Entre autres poncifs: espace vide avec lumière intense, bataille à coup de jets d’eau, giclées de peinture rouge sur un costume ou une surface blanche, introduction ex abrupto de phrases dites ou lues,  et bien sûr, comme tous les soirs ou presque de cette saison, de solides jets de fumigènes. Quelle facilité et cette suite de moments certes  bien réalisés, n’ont vraiment rien d’original et ce spectacle, du genre Performance pour les nuls, ne fait pas grand sens…  Nathalie Béasse introduit aussi des extraits -presque inaudibles- de textes classiques: Correspondance de Gustave Flaubert, Le Rêve d’un homme ridicule de Fiodor Dostoïevski, ou contemporains comme Ivresse de Falk Richter. La moindre des choses qu’on peut exiger d’une metteuse en scène puisqu’elle revendique cette fonction, est qu’ils soient correctement dits. Mais elle ne semble pas très à l’aise quand il faut diriger des monologues. Comme dans ce médiocre Richard III que nous avions vu il y a déjà sept ans (voir Le Théâtre du Blog).

Créé dans le grand espace du Cloître des Carmes -ce qui était déjà une erreur manifeste- au dernier festival d’Avignon, le spectacle avait été peu apprécié mais ici, sans doute revu depuis, il a été très applaudi…  Mais, sauf à quelques rares instants, nous n’avons été touchés par cette proposition! Et nous sommes loin de la définition du happening qu’en donnait Jean-Jacques Lebel, « un tableau en train de se faire » donc non répétable, puisque le spectacle identique chaque jour, n’a rien d’aléatoire, mais ce n’est pas non plus une représentation  théâtrale. Reste un beau titre; pour le reste, comme dit l’Ancien Testament, autant en emporte le vent…

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 18 février, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14. 

 

Candide ou l’Optimisme de Voltaire, mise en scène d’Arnaud Meunier

Candide ou L’Optimisme de Voltaire, mise en scène d’Arnaud Meunier

Prétendument traduit d’un livre du docteur Ralph, ce conte philosophique mais aussi brillant roman d’initiation, fut publié à Genève en 1759, après son interdiction en France Et il fut tiré à six mille exemplaires, -chiffre considérable pour l’époque- et réédité vingt fois du vivant de l’auteur! Candide est devenu emblématique de la littérature française dans le monde. C’est l’histoire d’un jeune homme qui, élevé dans le château du baron de Thunder-ten-tronckh en Westphalie, y mène une vie très agréable et son précepteur le docteur Pangloss, maître en métaphysico-théologo-cosmonologie lui enseigne comme Leibniz -ou du moins ce qu’ il en a bien voulu en retenir- que nous vivons « dans le meilleur des mondes possibles».

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Mais voilà -sinon il n’y aurait pas de roman et Voltaire est un maître du scénario- Candide le crédule, va embrasser Cunégonde, la « fraîche, grasse, appétissante fille » de la baronne aux cent soixante ks et du baron. Mais il va les surprendre dans leurs ébats et chasser illico Candide qui errera puis sera enrôlé de force dans l’armée bulgare. Il réussira pourtant à s’enfuir et ira d’Allemagne à Constantinople, puis en Hollande, en France, au Portugal et en Espagne. Mais aussi à Buenos-Aires, au Paraguay, au pays des Oreillons, à Cayenne, L’Eldorado, Venise, Bordeaux, Portsmouth, Venise… Recueilli par Jacques, un anabaptiste, il retrouve Pangloss devenu un vieillard tout vérolé qui lui annonce la mort de Cunégonde violée par des soldats bulgares. Ils ont aussi tué son baron de père et découpé sa baronne de mère en morceaux. Mais ils ont aussi égorgé le frère de son amoureuse.

Candide arrive à Lisbonne qui a été détruite – quelques années avant l’écriture de ce roman par un tremblement de terre et Jacques est mort noyé dans une tempête. Mais il retrouve à Cadix sa Cunégonde qui vit avec un grand Inquisiteur et Don Issachar, un juif riche. Candide les tuee puis s’enfuit avec Cacambo, son valet. Mais il doit abandonner Cunégonde à Buenos-Aires et va tuer son frère retrouvé par hasard au Paraguay. Avec Cacambo, il échappe aux sauvages Oreillons et découvrent l’Eldorado où règne l’abondance et la paix. A Paris, Candide échappe à la mort mais se fait voler par un abbé… Puis il va à Bordeaux et en Angleterre et de là, rejoint Venise où il cherche en vain Cunégonde. Mais il retrouve Cacambo et rencontre Paquette, une servante du Baron qui, a pour amant, le moine Giroflée…

A Constantinople, ils délivrent son amoureuse maintenant laide et acariâtre, esclave d’un roi déchu et rachètent Cacambo, lui aussi devenu esclave. Sur une galère, ils retrouvent Pangloss qui a échappé à la pendaison et le frère de Cunégonde qui a survécu et qu’il délivre aussi contre une rançon. À Constantinople, il épouse Cunégonde et ils s’installent à la campagne avec Paquette et Giroflée. Et il finira sa vie en cultivant son jardin. Après autant d’épreuves: guerres, tremblement de terre, naufrage, condamnation par l’Inquisition, il trouvera enfin un bonheur modeste fondé sur le travail quotidien et celui de quelques proches (une préfiguration des communautés soixante-huitardes ? )

Bien loin des principes de Leibniz et des grands sentiments, Candide va se résigner à vivre en vrai philosophe avec ses proches et sa Cunégonde… même si elle n’est plus que l’ombre de l’ amoureuse, autrefois fraîche et séduisante. Mais que faire d’autre? Une sacrée leçon de sagesse, au rire grinçant et au cynisme permanent. Voltaire simplifie les idées de Leibniz en faisant vivre à son héros et à ses compagnons des aventures aussi horribles qu’invraisemblables et où le moindre petit bonheur se fait ensuite payer fort cher… Et Pangloss, sans doute le plus mal loti mais toujours aussi buté, défend les idées de Leibniz et continuera à croire que tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles…

Le roman de Voltaire, même s’il s’il doit faire l’objet de coupes, a souvent été adapté au théâtre en France, et ailleurs et cela dès sa publication ou presque. Leonard Bernstein en avait fait une comédie musicale assez étonnante que nous avions vue autrefois à Broadway. « Ce texte fascinant, dit Arnaud Meunier, est « ironique et irrévérencieux (…) et un matériau extraordinaire pour le théâtre. Plaçant le jeune héros naïf dans un contexte de guerres et d’atrocités aux quatre coins du monde, Voltaire fait de Candide une comédie acide sur les puissants, les religions, la bêtise humaine et l’égoïsme de tout un chacun ; ainsi qu’une œuvre pionnière dans sa critique de l’esclavagisme et des différentes formes d’oppression. À l’heure où le fameux vivre ensemble apparaît comme une injonction des élites vers les déclassés, je souhaite faire de Candide, un chant joyeux et salutaire pour cultiver notre jardin. » Tamara Al Saadi, Cécile Bournay, Philippe Durand, Gabriel F. Romain Fauroux, Nathalie Matter, Stéphane Piveteau, Frederico Semedo et à jardin et à cour les auteurs et interprètes de la composition musicale Matthieu Desbordes et Matthieu Naulleau forment une « joyeuse bande qui interprétera cette aventure épique, dit encore Arnaud Meunier. (…) L’univers scénique s’inspirera des illustrations impertinentes de Candide qu’en a fait Joann Sfar dans sa Petite bibliothèque philosophique. À l’unisson du ton de Voltaire, il faut nous départir des convenances et des bonnes mœurs pour oser un univers débridé propice à l’étonnement. »

Au-dessus du plateau vide, la fameuse phrase projetée : «Le meilleur des mondes possibles» et juste les instruments de musique et un second cadre de scène qui donne une certaine profondeur à cette petite scène difficile, puisque sans vrais dégagements sur les côtés. Les acteurs, ici plutôt conteurs, forment une galerie de nombreux personnages aux remarquables costumes signés Annie Autran. Au début, cela fonctionne bien et, même si nous connaissons tous les aventures de Candide, nous adorons comme les enfants, qu’on nous les raconte une fois de plus sur un mode qui rappelle ici une bande dessinée ou un livre d’images d’une réjouissante beauté plastique grâce aussi aux lumières soignées d’Aurélien Guettard. Mais ce spectacle trop statique, réalisé de façon appliquée, manque de vie et frise parfois l’ennui. Bref, ces deux heures paraissent longuettes, d’autant plus que le metteur en scène se croit obligé de faire numéroter oralement chaque chapitre, ce qui est aussi pénible qu’une pendule qui n’avance pas!

Aux meilleurs moments, avec une grande bouffonnerie fondée sur des types de personnages issus d’une commedia dell arte qui ne dit pas son nom, Arnaud Meunier arrive à nous emmener dans la virulente satire du système optimiste de Leibniz imaginée sous forme de conte par le célèbre écrivain. Mais dommage, ce théâtre-récit, malgré une unité de jeu et de bons acteurs, a tendance à faire du surplace et les dialogues de Voltaire auraient dû être mieux mis en valeur. Le spectacle, par ailleurs très soigné, manque souvent de rythme et le récit est ici trop privilégié. Et nous aurions aussi bien aimé voir, dans cette succession de courtes scènes, toute la cruauté des scènes peintes par Voltaire et le désespoir que subissent parfois Candide et ses compagnons dans leurs multiples aventures.
Et merci à Arnaud Meunier, s’il voulait bien ne plus arroser le public de fumigènes, actuellement une véritable manie! Pour nous, c’était la quatrième fois en une semaine, ce genre d’effets facile qui avait disparu, revient à la mode mais ne sert jamais à rien et est vraiment pénible, comme si le masque ne suffisait pas. ..

Philippe du Vignal

Jusqu’au 18 février, Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

Candide en  bande dessinée de Joann Sfar est publié aux éditions Bréal.

Histoire(s), de France texte et mise en scène d’Amine Adjina

Histoire(s) de France, texte et mise en scène d’Amine Adjina« `

Visuel 1 © Géraldine Aresteanu

© Géraldine Aresteanu

  La compagnie du Double a été créée en 2012 à Saint-Ay (Loiret) par Amine Adjina et Émilie Prévosteau. «Ce spectacle est né de l’envie d’interroger mon rapport à la France, dit l’auteur, et par là, les histoires qu’on nous raconte pour établir un socle commun.» Après le succès d’Arthur et Ibrahim, sur le thème d’une amitié impossible entre deux jeunes- l’un étant d’origine arabe- cet auteur écrit sa troisième pièce pour la jeunesse à l’aune de sa double appartenance : il est né en France de parents algériens. Il aborde ici de façon très ludique l’enseignement de l’Histoire de France au collège, vu par trois élèves à qui la professeure a demandé de mettre en scène certains épisodes… 

 Autre épisode : la Révolution française sème la révolte dans l’école, un moment où les trois compères dans l’esprit de 1789 vont exprimer les doléances des élèves pour changer la vie scolaire, de l’enseignement à la cantine. Ces revendications, lues par les acteurs ou diffusées en voix off, ont été collectées auprès de plusieurs classes par le compagnie. Le troisième et dernier tableau, pour la plus grande joie des jeunes spectateurs, évoque la coupe du monde de football de 1998, Zidane et la liesse populaire d’une France black blanc beur.

A travers des reconstitutions parodiques, l’auteur interroge les origines, le politique, la question de l’identité quand certains agitateurs d’opinion se servent actuellement de l’Histoire pour attiser les haines raciales et diviser les populations. Entre les séquences «historiques» en train de se construire, des relations plus intimes se tissent entre les trois enfants Amine Adjina a conçu une mise en scène simple, avec accessoires et costumes de fortune tombés sous la main et il décortique les signes et codes du jeu dramatique.

Ce théâtre d’agit-prop, qui se place du point de vue des jeunes, pourrait paraître un brin démagogue. Mais ici, on  prend les enfants au sérieux et on leur renvoie une parole exprimée avec leurs mots. Ils ne s’y trompent pas et se sentent concernés par cette pièce drôle qui ouvre aussi une réflexion sur les conflits et préjugés sociaux qui s’immiscent dans les écoles. Cette parodie de l’Histoire canonique donne une belle occasion d’éveiller l’esprit critique des nouvelles générations. Avis à l’Education Nationale…

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 12 février, Théâtre 71, 3 place du 11 novembre, Malakoff (Hauts-de-Seine)

Du 16 au 18 février, Théâtre Jean Vilar, Montpellier (Hérault).
Du 7 au 10 mars, Tangram, Evreux  (Eure) ; les 22 et 23 mars, Agora Robert Desnos, Evry (Essonne).
Du 6 au 12 avril, Théâtre 13 Seine, Paris (Xlll ème).

 Histoire(s) de France est publié aux éditions Actes Sud, collection Heyoka jeunesse.

 

Une mort dans la famille, texte et mise en scène d’Alexander Zeldin

Une Mort dans la famille, texte et mise en scène d’Alexander Zeldin

En deux grosses années de pandémie, nous avons été assommés de chiffres. Tant et tant de morts que certains n’y croient pas : affabulations, mensonges d’État… Alexander Zeldin, lui, y a pensé. Mille morts, c’est mille fois, un mort. Il s’est souvenu de sa propre adolescence, pas facile et c’est peu dire.
Son père mort d’une «longue maladie», sa grand-mère partie «dans cet endroit là» – on ne nomme pas les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes… Elle n’y vécut pas longtemps.  Et la mère d’Alexander Zeldin perpétuellement au bord du craquage, il y avait là, entre déni et pudeur (faut-il vraiment accompagner mamie aux toilettes ?- de quoi péter les plombs…

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©Aurélia Boucher

C’est la première scène dans cette dramaturgie rigoureuse d’un E.P.H.A.D. Pour la grand-mère, le déchirement quand on lui : «Tu ne peux pas rester ici », c’est à dire à la maison. Ensuite, les étapes se suivront selon le même rituel: accueil, adaptation, repas, jeux et animations. L’intrusion d’un homme qui ne sait plus où il est, la chute d’une vieille femme, heureusement sur le tapis…
On ne relève même pas que ces étapes sont identiques à celle de l’entrée des très petits enfants en crèche. Mêmes serviettes-bavoirs à table, même bienveillance attendrie, mêmes changes parfois trop longtemps attendus. Les pensionnaires protestent mais modestement, résignés à être diminués. Et résignés aussi aux visites de la famille peuplées de gêne, frustrations, paroles consolatrices et malentendus. Sans compter la question de l’argent, lourde pour les familles et objet d’angoisse pour l’aïeul relégué.

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©Aurélia Boucher

Alexander Zeldin développe rigoureusement ces parcours vers la fin de vie. L’écriture de la pièce est inséparable des comédiens qu’il a réunis, grands professionnels et amateurs très engagés. Tous bien entendu payés, (les amateurs jouant en alternance).
Marie-Christine Barrault donne à la grand-mère son beau visage de vieille dame «qui a renoncé », comme elle le dit. Traduisons : à être jeune et sexy.
Thierry Bosc incarne un Monsieur Lambert un peu perdu, tendre et capable soudain de retrouver Quand j’entends siffler le train autrefois chantée par Richard Antony, Nicole Dogué est Josiane Palcy, une aide-soignante expérimentée et bienveillante, parfois secouée par de lourds imprévus.
Annie Mercier est Simone, sexy pour toujours, un peu barrée, avec surtout l’envie de «se « barrer »  Un concentré de vitalité et de révolte que les autres ont perdues, ou refoulées. Elle qui met en permanence du théâtre dans le calme bien contrôlé de l’institution. Et Karidja Touré, auxiliaire de vie y met, elle, la jeunesse.
Avec aussi en alternance Dominique de Lapparent, Michèle Kerneis, Françoise Rémont, Nita Alonso, Francine Champion, Flores Cardo, Marius Yelolo, et les enfants, eux aussi en alternance: Aliocha Delmotte, Mona, Hadrien Heaulmé et Ferdinand Redouloux

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©Aurélia Boucher

L’auteur et metteur en scène est fidèle à sa méthode : observer une communauté qu’on ne veut pas voir : refuges pour S.D.F., centres sociaux comme dans Love aussi aux Ateliers Berthier (voir Le Théâtre du Blog), regarder ces personnes pour les rendre enfin visibles. Cela implique l’effacement –non la suppression totale- de la frontière entre eux et nous (rien à voir avec l’irruption de comédiens tonitruants dans la salle) : les fauteuils des premier rangs sont les mêmes que ceux de cet E.P.H.A.D.. Un rapprochement sans artifice disant seulement : rapprochez-vous de ces êtres, de cette réalité.
Le temps, la durée, ont aussi cette fonction. Il faut voir le geste lent, méthodique de l’aide-soignante faisant la toilette de la grand-mère mourante, la patience immobile de la comédienne dénudée jusqu’à mi-corps, faisant passer son personnage au-delà des pudeurs attachées à la vie.
Il faut entendre le souffle retenu du public à ce moment-là, si chargé de la fragilité de la vie. Nous devons quelquefois tendre l’oreille mais nous nous disons que c’est la moindre des choses. On pourra trouver répétitifs les craquages de la mère (Catherine Vinatier) et de l’adolescent, et puis on se dit que c’est la vraie vie, et qu’il y a eu tout un travail, minutieux, obstiné pour nous donner à voir cette vie dans sa vérité.
Sans se priver parfois des moyens les plus archaïques du théâtre : les morts (on devrait dire ici les mortes) s’en vont , comme on dit, et le théâtre les fait partir. La famille est encore penchée sur le lit et l’actrice n’y est plus mais passe en silence, le regard dans l’au-delà, dans une frontière poreuse entre scène et salle

Tout le travail théâtral est imprégné de ce respect : Natasha Jenkins a réalisé une scénographie exacte au bouton d’ascenseur près, avec sur une tournette : la salle à manger commune et une chambre de l’E.P.H.A.D. et l’appartement familial… Nous ne dirons pas «sans coup férir», car à chaque noir, une musique d’orage ou de canon, frappe avec violence, venant pulvériser les efforts consensuels d’ordre et d’apaisement de l’institution.
Sans dénoncer, sans aller chercher du côté du scandale et en poursuivant le défi -on n’ose pas dire une mission- qu’il s’est fixé,  Alexandre Zeldin nous entraîne à regarder comment les vieux, des individus, des personnes un peu perdues surnagent dans une communauté non choisie. Avec entre eux, des moments d’amour véritable, agacement et tout simplement d’envie de vivre jusqu’au bout, jusqu’à accepter de partir. Et cela nous touche beaucoup.

Christine Friedel

Nous avons assisté à cette représentation avec Christine. Et elle a tout dit. Pour avoir longtemps fréquenté un E.P.H.AD., nous pouvons confirmer que le moindre détail est exact. Y compris la douceur des aides-soignantes et le grand silence, très impressionnant, surtout pendant les repas en commun. Un silence qui a sans doute à voir avec une certaine immobilité du temps…

Ce spectacle, dont la mise en scène est impeccablement réalisée est dur et fait froid dans le dos mais reste supportable, grâce à cette vie qui subsiste, même au ralenti et qu’Alexander Zeldin a su peindre avec efficacité. Mais nous avons l’impression qu’il a été encore été plus loin, et donc plus fort, dans l’hyperréalisme, que dans ses spectacles précédents. Et à y réfléchir, le fait qu’il n’y ait pas d’intrigue ou si peu, rend cette vie spéciale encore plus visible. Mention spéciale à Natasha Jenkins pour sa remarquable scénographie et à l’équipe de techniciens qui manipulent ces nombreux éléments de décor.

Ph. du V.

Jusqu’au 20 février, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès donnant sur le Boulevard Berthier, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

 

 

 

 

Par le Bout du nez de Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, mise en scène de Bernard Murat

Par le Bout du nez de Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, d’après El Electo de Ramon Madaula, mise en scène de Bernard Murat

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Un président de la République récemment élu doit prononcer son discours d’investiture mais il est pris d’une forte démangeaison nasale entraînant un tic facial invalidant. Après avoir consulté un O. R. L. qui ne trouve rien d’anormal, il voit un psychiatre (François Berléand) pour résoudre ce problème semblant avoir une origine psychosomatique. Cette séance, adaptée à l’actuelle conquête du pouvoir, est bien longue et ce spectacle d’une heure trente manque de rythme. Antoine Dulery est un chef d’État crédible, angoissé de ne pas bien faire passer son discours. «On ne va rien faire, dit-il, mais on va bien le faire.» Un programme des candidats aux élections présidentielles.

François Berléand, en psy sorti d’un cabinet chic du VI ème arrondissement de Paris, déstabilise son patient et bougon et farceur, lui fait avouer qu’il est le fils d’un charcutier: «Je n’ai jamais compris pourquoi le champagne, c’était chic, et la saucisse, vulgaire.» Ce duo d’acteurs fonctionne bien et le public rit mais la pièce, à l’issue prévisible, manque de folie… Nous aimerions être proches des personnages, ressentir leurs émotions et les conflits entre eux mais difficile à cause de ce grand plateau. Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patellière qui travaillent ensemble depuis vingt ans, ont connu un succès mérité au cinéma (deux Césars) et au théâtre avec Prénom, dans une mise en scène en 2020 de Bernard Murat.

Jean Couturier

Jusqu’au 1er avril, Théâtre Libre, 4 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 42 38 97 14.

 

 

L’Endormi de Sylvain Levey et Marc Nammour, mise en scène d’Estelle Savasta

L’Endormi de Sylvain Levey et Marc Nammour, mise en scène d’Estelle Savasta

L'ENDORMI - HIPPOLYTE A MAL AU COEUR -57

©Matthieu Edet

“Pourquoi Isaac, il ne se repose pas ici, dans son lit? “ J’ai demandé. “Tu poses trop de questions » m’a répondu maman.Victoire, dix ans, s’inquiète : le lit -seul décor- de son grand frère, quinze ans, caïd du quartier, reste vide. Les parents gardent le silence. Bizarre. Autour d’elle, la rumeur enfle et elle cherche consolation auprès de son arrière-grand mamie Joséphine, la câline. Et bientôt, Victoire apprend la vérité : son frère est à l’hôpital, dans le coma entre la vie et la mort, à cause d’une histoire de vengeance entre gamins… L’endormi se réveillera-t-il ?  La pièce, née d’une rencontre entre l’auteur, le rappeur Marc Nammour et le musicien Valentin Durup, s’inspire d’un fait réel : un soir en novembre 2017, dans le Xl ème arrondissement à Paris, au pied de l’immeuble de Sylvain Levey, un jeune garçon est mort, poignardé par un autre d’une bande rivale. « Quinze ans, ce n’est pas un âge pour mourir, dit l’auteur. Isaac, dans la pièce, aura une deuxième chance, peut être le début d’une nouvelle vie.

Marc Nammour se glisse dans la peau de Victoire, convention tout de suite acceptée par le jeune public. Jouant la comédie pour la première fois, il trouve le ton juste pour passer du récit de la petite fille aux chansons qu’il a écrites, accompagné par Valentin Durup à la guitare et à la console. Les paroles, tout en assonances et rimes heurtées, se fondent dans la prose dense et tendre de Sylvain Levey, sans casser le rythme du monologue. «Ici, c’est ici que je suis née », dit Victoire. Suit un rap qui plante le décor: « C’est pas la Trump Tower ni la tour de Pise/ Pas de touriste ici ni de dollars dans les valises / C’est pas la tour Eiffel ni la Burj Khalifa/ C’est pas la tour Taipai, elle n’en a pas l’éclat (…) » Pour conclure: « Sur elle j’entends dire des horreurs / Qu’c’est la mère des voyous, le repère des voleurs / Mais en vrai ma tour, c’est la reine des hauteurs / Moi je sais qu’elle mérite les médailles, les honneurs »

Estelle Savasta a conçu un espace qui s’adapte à une cour d’école ou à une salle des fêtes, tracé avec du ruban adhésif par l’acteur. Marc Nammour restitue, sous sa direction, sans gaminerie, la candeur de Victoire, mais garde, en rapant, une rugosité qui fait écho à Isaac, le roi de la baston. Valentin Durup et sa musique trouvent aussi toute leur place dans le dispositif scénique.Nous avions apprécié la pertinence de Nous dans le désordre* une pièce mise en scène par Estelle Savasta, vue l’an dernier en plein confinement et née d’une résidence de sa compagnie dans un lycée de Cavaillon autour du thème de la désobéissance (Voir le Théâtre du Blog). 

 Un théâtre exigeant qui n’hésite pas à aborder devant le jeune public des thèmes difficiles comme la violence urbaine, la mort : nous retrouvons ici l’audace de Sylvain Levey qui regarde toujours le monde en face. Nous avions récemment applaudi Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz et Gros, un monologue autobiographique où il raconte avec pudeur son rapport à la nourriture et à son poids (voir le Théâtre du Blog). Ici, rap et prose font excellent ménage et L’Endormi est promis à une belle tournée. Petits ou grands, ne manquez pas d’y assister…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 13 février, Salle des fêtes, 2 rue des anciennes Mairies, Nanterre (Hauts-de-Seine). Spectacle programmé par le Théâtre de Nanterre-Amandiers. T. : 01 46 14 70 00, en partenariat avec la Saison Jeune Public de Nanterre.

 Du 21 au 26 février, La Garance-Scène Nationale de Cavaillon (Vaucluse), etc….

Le spectacle a été enregistré sur disque vinyle. 

* Nous dans le désordre est joué jusqu’au 19 février au Théâtre des Quartiers d’Ivry (Val-de-Marne).

 

Un Siècle, vie et mort de Galia Libertad, texte et mise en scène de Carole Thibaut

Un Siècle, vie et mort de Galia Libertad, texte et mise en scène de Carole Thibaut

 

La France profonde, la France des périphéries: celle des gens éloignés des métropoles intéressent Carole Thibaut depuis qu’elle a commencé à écrire ses pièces: Avec le couteau le pain (2006), L’Enfant, Les Petites Empêchées, Longwy Texas, Faut-il laisser le vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars… Elle a un engagement féministe et a repris en 2021 au Centre Dramatique National de Montluçon qu’elle dirige depuis 2015, Fantaisies, l’idéal féminin n’est plus ce qu’il était, une pièce qu’elle avait créée six ans plus tôt.. Au centre de ces textes, la famille et les contradictions d’une société. Ici, autour d’une grand-mère qui vit ses derniers instants, toute une famille française de milieux sociaux différents (une étudiante en médecine vivant avec un serveur de bar) avec divorces, veuvages… va se recomposer. A l’image de la France aux racines multiples et justement grâce à cela, une tribu fortement soudée autour de Galia-Libertad née en 1941 et ce jour-là mourante, (les vingt-quatre heures de la tragédie). Double prénom, double origine : Galia (la clémence de Dieu) par sa mère, juive polonaise déportée après une rafle en zone libre, et Libertad, de par son père, un républicain espagnol réfugié à Montluçon.

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©Héloïse Faure

Un conte placé sous le signe de la mort et de la mémoire. Le récit arrive d’en haut, en voix off et réduit parfois la scène à une simple illustration. Mais assez vite le plateau reprend le pouvoir, avec une fiction documentée, enracinée, «d’après une histoire vraie», celle collective d’une ville à la pointe d’une industrie qu’elle perdra quelques décennies plus tard. Deuxième ville socialiste au monde, dans le fief des Bourbons, tout de même ! La pièce a été écrite à partir d’entretiens avec d’anciennes ouvrières de l’industrie métallurgique de guerre. Montluçon fut -aux mains des femmes- un haut lieu de production d’obus, textiles et pneus. Et elles se souviennent des occupations d’usines et par la voix de Galia, de leur déception quand la Gauche arriva au pouvoir en 1981 : rien ne changea à leur sort et n’apporta pas la justice aux travailleuses et travailleurs spoliés.

Ces recherches et cet arrière-plan ne font pas d’Un Siècle une pièce documentaire : la famille et une ancêtre libertaire et souveraine ne sont pas seulement un thème politique. Galia (Monique Brun) trône au centre de la scène, un grand Eden : probablement dans la vraie vie, le petit jardin d’une maison ouvrière où ont grandi les rêves de tout un chacun. Anciens et toujours compagnons de Galia, fils, belles-filles, petits-enfants, chacun est ici chez soi, avec les frictions que cela peut produire. La soirée commence et ils apportent table, verres et bouteilles… Galia parle, les autres confirment ou digressent, l’ivresse gagne, la nuit tombe et le réveil sera un peu frais.

© Héloise Faure

© Héloïse Faure

Sur le plateau, un vaste tulle où sont projetés des sous-titres, (on est prié d’avoir une bonne vue ou des lunettes appropriées !), un arbre suspendu et neuf comédiens pour faire d’Un Siècle, un grand spectacle. Une façon de nous rappeler que la vie intime des gens -c’est à dire tout le monde et nous- est importante. Chacune cache et mériterait un roman, et chaque mort, une fête comme celle-ci, un peu tchekhovienne, mêlée de fleurs comme sur les autels mexicains. Nous écoutons longtemps encore celle qui s’en va mais dont la voix ne s’éteint pas tout de suite.

Un témoin pas comme les autres interrompt avec bonheur la fiction et nous ramène au présent du théâtre : Olivier Perrier qui a fondé avec Jean-Louis Hourdin et Jean-Paul Wenzel, le Théâtre des Ilets à Montluçon, inauguré en 1985, un 19 janvier -mais il faisait -29°!- comme la création cette année, d’Un Siècle. Il vient, à l’avant-scène, raconter son choix de faire du théâtre à la campagne, là où cette pratique n’est pas une évidence et même peut-être incongrue, à l’écart des «beaux théâtres» où il a travaillé. On se souvient de Bibi la truie et de la jument de trait qui vint jouer dans Les Mémoires d’un bonhomme aux Bouffes du Nord, à Paris. Avec cette irruption des bêtes sur un plateau, il y avait un regard novateur sur les êtres humains.
Et voilà mis en scène le passage d’une génération à une autre, la troisième étant celle des jeunes comédiens de la nouvelle troupe aux Ilets. Ils ont réussi, comme on dirait en en langage administratif, une «implantation sur le territoire» mais surtout à faire vivre le théâtre dans une ville et un pays qui ont leur caractère, leur histoire et qu’on oublierait sans eux.

Mission accomplie pour ce Centre Dramatique National : creuser là où il est et trouver les racines d’une création qui déborde son territoire… Avec ce spectacle, nous entrons peu à peu dans la mémoire d’une histoire banale mais toujours unique, à laquelle nous nous attachons au fil de la soirée: les morts ne nous quittent pas tout de suite et continuent à nous parler. Plutôt réconfortant…

Christine Friedel

Théâtre de la Cité Internationale, à Paris, jusqu’au 26 février. T. : 01 43 13 50 50.

Les 27 et 28 avril, Maison de la Culture de Bourges (Cher).

 

 

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