Candide ou L’Optimisme de Voltaire, mise en scène d’Arnaud Meunier
Prétendument traduit d’un livre du docteur Ralph, ce conte philosophique mais aussi brillant roman d’initiation, fut publié à Genève en 1759, après son interdiction en France Et il fut tiré à six mille exemplaires, -chiffre considérable pour l’époque- et réédité vingt fois du vivant de l’auteur! Candide est devenu emblématique de la littérature française dans le monde. C’est l’histoire d’un jeune homme qui, élevé dans le château du baron de Thunder-ten-tronckh en Westphalie, y mène une vie très agréable et son précepteur le docteur Pangloss, maître en métaphysico-théologo-cosmonologie lui enseigne comme Leibniz -ou du moins ce qu’ il en a bien voulu en retenir- que nous vivons « dans le meilleur des mondes possibles».
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Mais voilà -sinon il n’y aurait pas de roman et Voltaire est un maître du scénario- Candide le crédule, va embrasser Cunégonde, la « fraîche, grasse, appétissante fille » de la baronne aux cent soixante ks et du baron. Mais il va les surprendre dans leurs ébats et chasser illico Candide qui errera puis sera enrôlé de force dans l’armée bulgare. Il réussira pourtant à s’enfuir et ira d’Allemagne à Constantinople, puis en Hollande, en France, au Portugal et en Espagne. Mais aussi à Buenos-Aires, au Paraguay, au pays des Oreillons, à Cayenne, L’Eldorado, Venise, Bordeaux, Portsmouth, Venise… Recueilli par Jacques, un anabaptiste, il retrouve Pangloss devenu un vieillard tout vérolé qui lui annonce la mort de Cunégonde violée par des soldats bulgares. Ils ont aussi tué son baron de père et découpé sa baronne de mère en morceaux. Mais ils ont aussi égorgé le frère de son amoureuse.
Candide arrive à Lisbonne qui a été détruite – quelques années avant l’écriture de ce roman par un tremblement de terre et Jacques est mort noyé dans une tempête. Mais il retrouve à Cadix sa Cunégonde qui vit avec un grand Inquisiteur et Don Issachar, un juif riche. Candide les tuee puis s’enfuit avec Cacambo, son valet. Mais il doit abandonner Cunégonde à Buenos-Aires et va tuer son frère retrouvé par hasard au Paraguay. Avec Cacambo, il échappe aux sauvages Oreillons et découvrent l’Eldorado où règne l’abondance et la paix. A Paris, Candide échappe à la mort mais se fait voler par un abbé… Puis il va à Bordeaux et en Angleterre et de là, rejoint Venise où il cherche en vain Cunégonde. Mais il retrouve Cacambo et rencontre Paquette, une servante du Baron qui, a pour amant, le moine Giroflée…
A Constantinople, ils délivrent son amoureuse maintenant laide et acariâtre, esclave d’un roi déchu et rachètent Cacambo, lui aussi devenu esclave. Sur une galère, ils retrouvent Pangloss qui a échappé à la pendaison et le frère de Cunégonde qui a survécu et qu’il délivre aussi contre une rançon. À Constantinople, il épouse Cunégonde et ils s’installent à la campagne avec Paquette et Giroflée. Et il finira sa vie en cultivant son jardin. Après autant d’épreuves: guerres, tremblement de terre, naufrage, condamnation par l’Inquisition, il trouvera enfin un bonheur modeste fondé sur le travail quotidien et celui de quelques proches (une préfiguration des communautés soixante-huitardes ? )
Bien loin des principes de Leibniz et des grands sentiments, Candide va se résigner à vivre en vrai philosophe avec ses proches et sa Cunégonde… même si elle n’est plus que l’ombre de l’ amoureuse, autrefois fraîche et séduisante. Mais que faire d’autre? Une sacrée leçon de sagesse, au rire grinçant et au cynisme permanent. Voltaire simplifie les idées de Leibniz en faisant vivre à son héros et à ses compagnons des aventures aussi horribles qu’invraisemblables et où le moindre petit bonheur se fait ensuite payer fort cher… Et Pangloss, sans doute le plus mal loti mais toujours aussi buté, défend les idées de Leibniz et continuera à croire que tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles…
Le roman de Voltaire, même s’il s’il doit faire l’objet de coupes, a souvent été adapté au théâtre en France, et ailleurs et cela dès sa publication ou presque. Leonard Bernstein en avait fait une comédie musicale assez étonnante que nous avions vue autrefois à Broadway. « Ce texte fascinant, dit Arnaud Meunier, est « ironique et irrévérencieux (…) et un matériau extraordinaire pour le théâtre. Plaçant le jeune héros naïf dans un contexte de guerres et d’atrocités aux quatre coins du monde, Voltaire fait de Candide une comédie acide sur les puissants, les religions, la bêtise humaine et l’égoïsme de tout un chacun ; ainsi qu’une œuvre pionnière dans sa critique de l’esclavagisme et des différentes formes d’oppression. À l’heure où le fameux vivre ensemble apparaît comme une injonction des élites vers les déclassés, je souhaite faire de Candide, un chant joyeux et salutaire pour cultiver notre jardin. » Tamara Al Saadi, Cécile Bournay, Philippe Durand, Gabriel F. Romain Fauroux, Nathalie Matter, Stéphane Piveteau, Frederico Semedo et à jardin et à cour les auteurs et interprètes de la composition musicale Matthieu Desbordes et Matthieu Naulleau forment une « joyeuse bande qui interprétera cette aventure épique, dit encore Arnaud Meunier. (…) L’univers scénique s’inspirera des illustrations impertinentes de Candide qu’en a fait Joann Sfar dans sa Petite bibliothèque philosophique. À l’unisson du ton de Voltaire, il faut nous départir des convenances et des bonnes mœurs pour oser un univers débridé propice à l’étonnement. »
Au-dessus du plateau vide, la fameuse phrase projetée : «Le meilleur des mondes possibles» et juste les instruments de musique et un second cadre de scène qui donne une certaine profondeur à cette petite scène difficile, puisque sans vrais dégagements sur les côtés. Les acteurs, ici plutôt conteurs, forment une galerie de nombreux personnages aux remarquables costumes signés Annie Autran. Au début, cela fonctionne bien et, même si nous connaissons tous les aventures de Candide, nous adorons comme les enfants, qu’on nous les raconte une fois de plus sur un mode qui rappelle ici une bande dessinée ou un livre d’images d’une réjouissante beauté plastique grâce aussi aux lumières soignées d’Aurélien Guettard. Mais ce spectacle trop statique, réalisé de façon appliquée, manque de vie et frise parfois l’ennui. Bref, ces deux heures paraissent longuettes, d’autant plus que le metteur en scène se croit obligé de faire numéroter oralement chaque chapitre, ce qui est aussi pénible qu’une pendule qui n’avance pas!
Aux meilleurs moments, avec une grande bouffonnerie fondée sur des types de personnages issus d’une commedia dell arte qui ne dit pas son nom, Arnaud Meunier arrive à nous emmener dans la virulente satire du système optimiste de Leibniz imaginée sous forme de conte par le célèbre écrivain. Mais dommage, ce théâtre-récit, malgré une unité de jeu et de bons acteurs, a tendance à faire du surplace et les dialogues de Voltaire auraient dû être mieux mis en valeur. Le spectacle, par ailleurs très soigné, manque souvent de rythme et le récit est ici trop privilégié. Et nous aurions aussi bien aimé voir, dans cette succession de courtes scènes, toute la cruauté des scènes peintes par Voltaire et le désespoir que subissent parfois Candide et ses compagnons dans leurs multiples aventures.
Et merci à Arnaud Meunier, s’il voulait bien ne plus arroser le public de fumigènes, actuellement une véritable manie! Pour nous, c’était la quatrième fois en une semaine, ce genre d’effets facile qui avait disparu, revient à la mode mais ne sert jamais à rien et est vraiment pénible, comme si le masque ne suffisait pas. ..
Philippe du Vignal
Jusqu’au 18 février, Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 22 77.
Candide en bande dessinée de Joann Sfar est publié aux éditions Bréal.