Ils n’avaient pas prévu q’ils allaient gagner de Christine Citti, mise en scène de Jean-Louis Martinelli
Ils n’avaient pas prévu qu’ils allaient gagner de Christine Citti, mise en scène de Jean-Louis Martinelli
«J’ai fait ce métier, dit l’éducateur d’un foyer pour jeunes en difficulté. Mais, c’est de plus en plus compliqué. Je vois les jeunes arriver ici avec… euh… des tensions, des problèmes peut-être passagers, et ils ressortent d’ici avec des grosses problématiques qui se sont rajoutées. Certains se sont mis à voler, à se droguer, il y en a, on voit bien qu’on les perd… Des filles se prostituent… Euh… plutôt sont entraînées vers la prostitution. Certains jours je finis par me demander à quoi je sers. Et puis… On est sous la Protection de l’enfance, mais on n’est pas un lieu fermé. Les jeunes, ils peuvent se barrer quand ils veulent. Ils ont des horaires à respecter, mais si ils ne les respectent pas, on les déclare en fugue… Et eux, ils comprennent vite le truc. Nous, on essaie de tenir debout les murs de la maison. Mais eux, pour la plupart, ils sont livrés à eux-mêmes depuis qu’ils sont tout petits, alors si la porte est ouverte, ils s’en foutent de l’interdiction. Ils sortent. Le foyer c’est un lieu de contagion. C’est pas un lieu de paix ici. Moi, j’ai voulu faire ce métier parce que gamin j’avais connu des difficultés. J’en suis sorti. Je veux aider. Mais qu’est-ce que notre société fait pour ces enfants ? Tout le monde dort, et nous, on va nulle part.. »
Voilà tout est dit sur ce spectacle de théâtre documentaire, et comme le dit Jean-Louis Martinelli, « nous avons cherché à donner la parole à ceux que l’on n’entend pas, peu, ou pas assez est aussi un désir de réconcilier esthétique et éthique. En donnant la parole à ce groupe, nous refusons le monde tel qu’il est. »
La parole de ces jeunes sonne juste comme celle de l’éducateur et de la prof de théâtre (Christine Citti elle-même) qui a passé quelques mois dans un foyer pour jeunes mineurs. «J’avais bien conscience, dit-elle, de n’avoir pu ni transformer, ni améliorer leurs situations, leurs devenirs. Je voulais qu’ils soient entendus. Je ne suis ni sociologue, ni journaliste. Alors, j’ai écrit cette pièce. »
Quelques tables et quelques chaises, une grande porte rouge à deux battants dans le fond. Côté cour, un grand canapé moelleux et accueillant où ces jeunes sont souvent affalés… Dernier refuge et/ou substitut du ventre maternel ? Au centre, une grande boîte en verre munie de micros qui sert de bureau. Les phrases qu’ils lancent sont dures, parfois très crues mais précises et nous sommes emportés dans cet ouragan. Les jeunes acteurs qui jouent ces garçons et filles presque de leur âge aux personnalités très différentes, sont tous crédibles. Si le Rond-Point n’a jamais été exemplaire en matière d’acoustique, tous les acteurs s’y font bien entendre. Mais ici, au soir de cette première à Paris, si la gestuelle était impeccable, la diction, elle, était aux abonnés absents et les dialogues souvent proches de l’incompréhensible! Stress? Manque de répétitions sur ce grand plateau? Nous ne comprenons pas comment Jean-Louis Martinelli, homme de théâtre et metteur en scène des plus expérimentés, n’a pas été plus exigeant. «Sur scène, disait Stella Adler, la grande prof américaine de théâtre, vous ne pouvez pas parler dans votre barbe, ni murmurer. Mieux vaut avoir une voix trop forte que trop faible. Si elle est trop forte, vous pourrez toujours la réguler.» Depuis les choses ont pu évoluer mais ce soir-là, ce spectacle malgré ses qualités, était décevant…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 6 février, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. : 01 44 95 98 21.