Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux, écriture collective de Capucine Baroni, Claire Lapeyre-Mazérat et Théodora Marcadé, mise en scène de Claire Lapeyre-Mazerat

Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux, écriture collective de Capucine Baroni, Claire Lapeyre-Mazerat et Théodora Marcadé, mise en scène de Claire Lapeyre-Mazerat (à partir de douze ans)

@ nelly maurel  La photo n'est pas celle du spectacle

@ nelly maurel
Photo hors spectacle

Capucine Baroni et Théodora Marcadé, le corps moulé dans des combinaisons blanches (pas spécialement réussies mais bon!) évoluent sur un sol de vingt-cinq carreaux tout aussi blancs, dont trois lumineux. L’une très grande et l’autre nettement plus petite, vont nous entraîner dans une sorte de chorégraphie et un flot continu de paroles, résultat d’une longue collecte. Avec des phrases-type, des séries de mots déformés…
Effet dynamite assuré : «Chavirer chavirer reliure reliure j’aime bien ça chavirer des paroles d’institutions la famille C’EST une institution ça serait un goût du voyage dans la langue un cheminement avec de l’alcool oui c’est sûr la parole /calibrée chronométrée rigide ce sont des règles qui permettent de de de de communiquer ensemble autour de choses formelles voilà qui qui-à-un-moment font d’ailleurs société hein font entreprise hein font travail hein culture (…) l’humour permet de tout dire /anachorète anacoluthe /crachat on l’rachète /galopins qui galopent qui galope qui galope qui galope qui galope qui galope qui galope /gueux hum gueux hum gueux hum gueux identitaire occupe-toi de tes fesses pauvre encoulé je sais pas ouais pauvre encoulé /j’aime bien dire des gros mots j’aime beaucoup avec quelqu’un que vous connaissez bien qui est Pierre on se connait depuis vingt ans on est très liés on se vouvoie ça nous permet de nous dire des choses
atroces il me dit très souvent TA GUEULE je lui réponds CONNARD. »

Les actrices bougent bien sur ce petit plateau et on les sent très proches, ce qui donne une belle unité à ce flux de paroles. Pas toujours réussi: Théodora Marcadé a parfois tendance à bouler un texte ciselé.  La scénographie, un « dispositif épuré, graphique, vient mettre en relief le réalisme à l’œuvre dans les diverses restitutions de parole » dit Claire Lapeyre-Mazérat » Mais la relation entre ces corps mouvants et le texte, est loin de l’excellence et parfois «ce voyage ludique et plastique au cœur de la parole» -un peu prétentieux- ne fonctionne pas bien.

Cela dit, nous il y a de savoureuses pépites comme ces détournements sémantiques du langage quotidien. Telle cette parodie d’entrevue comme celle qu’on peut avoir à un guichet d’une Caisse d’Epargne où l’employé reste assis et suffisant et le client debout. Il lui fait bien comprendre qu’il s’exprime en termes techniques pour montrer qu’il a le pouvoir . Même chose ici mais sur un mode comique peu courant dans les banques : «Je vous rappelle que l’emprunt est toujours indexé sur le cours du mot d’usage et ne doit pas dépasser pas plus de trois fois votre capital personnel; quel serait le champ lexical dans lequel vous voudriez emprunter?» Les deux complices  mettent en valeur avec virtuosité une langue d’une telle richesse que ses usagers ont facilement imaginé des expressions poétiques, comme entre autres: « Compter fleurette. Fagoté comme l’as de pique. Tailler une bavette. Pousser pas mémé dans les orties Avoir la main verte. Avoir du foin dans ses bottes. Dormir sur ses deux oreilles. Tailler une bavette. Monter sur ses grands chevaux. Se monter le bourrichon. Tirer le diable par queue. Poser un lapin. »

Autres pépite: l’expression d’une langue qui se moque avec saveur d’elle-même : «Je vois que vous avez un apport de capital personnel lexicalement et phonétiquement très mince vous le saviez j’imagine ce n’est pas très nourri non plus du côté sémantique vous êtes quasiment à découvert il faudra être vigilante vous avez trop d’argot je vois que vous êtes déficitaire d’une manière générale en syntagme nominal en syntagme verbal et en syntagme adjectival ça peut aller en syntagme prépositionnel mais vous n’irez pas bien loin avec ça. » (…)

Un spectacle encore brut de décoffrage, à la fin un peu bancale mais qui a de grandes qualités. Ces soixante minutes passent vite et, aux meilleurs moments, on pense, entre autres, à tous ces écrivains qui ont aussi mis en avant les fonctions phatique et poétique mais aussi métalinguistique, du langage, comme le merveilleux Ghérasim Luca (1913-1994).

Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (I er). T. : 01 42 36 00 50.


Archive pour 2 mars, 2022

Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux, écriture collective de Capucine Baroni, Claire Lapeyre-Mazérat et Théodora Marcadé, mise en scène de Claire Lapeyre-Mazerat

Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux, écriture collective de Capucine Baroni, Claire Lapeyre-Mazerat et Théodora Marcadé, mise en scène de Claire Lapeyre-Mazerat (à partir de douze ans)

@ nelly maurel  La photo n'est pas celle du spectacle

@ nelly maurel
Photo hors spectacle

Capucine Baroni et Théodora Marcadé, le corps moulé dans des combinaisons blanches (pas spécialement réussies mais bon!) évoluent sur un sol de vingt-cinq carreaux tout aussi blancs, dont trois lumineux. L’une très grande et l’autre nettement plus petite, vont nous entraîner dans une sorte de chorégraphie et un flot continu de paroles, résultat d’une longue collecte. Avec des phrases-type, des séries de mots déformés…
Effet dynamite assuré : «Chavirer chavirer reliure reliure j’aime bien ça chavirer des paroles d’institutions la famille C’EST une institution ça serait un goût du voyage dans la langue un cheminement avec de l’alcool oui c’est sûr la parole /calibrée chronométrée rigide ce sont des règles qui permettent de de de de communiquer ensemble autour de choses formelles voilà qui qui-à-un-moment font d’ailleurs société hein font entreprise hein font travail hein culture (…) l’humour permet de tout dire /anachorète anacoluthe /crachat on l’rachète /galopins qui galopent qui galope qui galope qui galope qui galope qui galope qui galope /gueux hum gueux hum gueux hum gueux identitaire occupe-toi de tes fesses pauvre encoulé je sais pas ouais pauvre encoulé /j’aime bien dire des gros mots j’aime beaucoup avec quelqu’un que vous connaissez bien qui est Pierre on se connait depuis vingt ans on est très liés on se vouvoie ça nous permet de nous dire des choses
atroces il me dit très souvent TA GUEULE je lui réponds CONNARD. »

Les actrices bougent bien sur ce petit plateau et on les sent très proches, ce qui donne une belle unité à ce flux de paroles. Pas toujours réussi: Théodora Marcadé a parfois tendance à bouler un texte ciselé.  La scénographie, un « dispositif épuré, graphique, vient mettre en relief le réalisme à l’œuvre dans les diverses restitutions de parole » dit Claire Lapeyre-Mazérat » Mais la relation entre ces corps mouvants et le texte, est loin de l’excellence et parfois «ce voyage ludique et plastique au cœur de la parole» -un peu prétentieux- ne fonctionne pas bien.

Cela dit, nous il y a de savoureuses pépites comme ces détournements sémantiques du langage quotidien. Telle cette parodie d’entrevue comme celle qu’on peut avoir à un guichet d’une Caisse d’Epargne où l’employé reste assis et suffisant et le client debout. Il lui fait bien comprendre qu’il s’exprime en termes techniques pour montrer qu’il a le pouvoir . Même chose ici mais sur un mode comique peu courant dans les banques : «Je vous rappelle que l’emprunt est toujours indexé sur le cours du mot d’usage et ne doit pas dépasser pas plus de trois fois votre capital personnel; quel serait le champ lexical dans lequel vous voudriez emprunter?» Les deux complices  mettent en valeur avec virtuosité une langue d’une telle richesse que ses usagers ont facilement imaginé des expressions poétiques, comme entre autres: « Compter fleurette. Fagoté comme l’as de pique. Tailler une bavette. Pousser pas mémé dans les orties Avoir la main verte. Avoir du foin dans ses bottes. Dormir sur ses deux oreilles. Tailler une bavette. Monter sur ses grands chevaux. Se monter le bourrichon. Tirer le diable par queue. Poser un lapin. »

Autres pépite: l’expression d’une langue qui se moque avec saveur d’elle-même : «Je vois que vous avez un apport de capital personnel lexicalement et phonétiquement très mince vous le saviez j’imagine ce n’est pas très nourri non plus du côté sémantique vous êtes quasiment à découvert il faudra être vigilante vous avez trop d’argot je vois que vous êtes déficitaire d’une manière générale en syntagme nominal en syntagme verbal et en syntagme adjectival ça peut aller en syntagme prépositionnel mais vous n’irez pas bien loin avec ça. » (…)

Un spectacle encore brut de décoffrage, à la fin un peu bancale mais qui a de grandes qualités. Ces soixante minutes passent vite et, aux meilleurs moments, on pense, entre autres, à tous ces écrivains qui ont aussi mis en avant les fonctions phatique et poétique mais aussi métalinguistique, du langage, comme le merveilleux Ghérasim Luca (1913-1994).

Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (I er). T. : 01 42 36 00 50.

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