La Vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français de Julien Campani et Léo Cohen-Paperman, mise en scène de Léo Cohen-Paperman
La Vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français de Julien Campani et Léo Cohen-Paperman, mise en scène de Léo Cohen-Paperman
«Qui est Jacques Chirac ? Se demandent les auteurs. Que cache-t-il sous son masque grotesque, conquérant et populaire? Et en quoi, peut-il nous révéler quelque chose de notre démocratie? » Ce spectacle veut être « une comédie onirique, enquête loufoque, portrait d’un héritage ». En exergue de la pièce: bien vu, une belle réplique tirée du Roi Lear de William Shakespeare: « Raconter des histoires héroïques, Parler avec les pauvres de la vie des puissants Qui triomphent et qui perdent, qui gouvernent et qui tombent Et se moquer de ces papillons d’or fragiles. S’approcher doucement des mystères de l’être. Comme si nous étions les espions de Dieu ! «
Après un long prologue et une fois disparues deux grandes affiches de campagne, nous sommes dans une petite loge avec le futur président et son chauffeur qui était dans la vie un certain Jean-Claude Laumond. Après s’être fait remercier et avoir été exilé à Nouméa, il a pondu un livre tiré à des milliers d’exemplaires où il dévoilait une partie de la vie très personnelle de celui qu’il conduisit à toute heure du jour et de l’année pendant vingt-cinq ans quand il a été ministre, ensuite député puis maire de Paris et enfin Président de la République.
En fait il s’agit ici d’une mise en abyme théâtrale, pas vraiment adroite, avec Ludovic Müller, un metteur en scène et acteur, José Corrini un acteur mais aussi les vrais Jean-Claude Laumond, le chauffeur, Jacques Chirac dit Jacky, Pierre Juillet, (1921-1999 son mentor après avoir été conseiller politique de Georges Pompidou puis d’Edouard Balladur. Il y a aussi Charles Pasqua, autrefois jeune résistant de quinze ans devenu puissant homme politique qui avait de solides dossiers sur tout le monde, et donc redoutable. Régnant sur des casinos, entreprises d’armements, etc. Proche des milieux d’extrême droite et de certains dirigeants africains, il aida Jacques Chirac à bâtir sa carrière et fut nommé ministre de l’Intérieur dans le premier gouvernement de cohabitation, quand il fut premier ministre. Mais.. Pasqua fut condamné à dix-huit mois de prison avec sursis dans l’affaire du casino d’Annemasse, pour «faux, financement illégal de campagne et abus de confiance »! Jacques Chirac, lui, fut deux fois premier ministre ( du jamais vu-) mais cette très longue carrière finira mal, avec une condamnation en 2011 dans une des affaires d’emplois fictifs à la Mairie de Paris… Pas vraiment glorieux! A la toute fin du spectacle, apparaît Louis XIV, le Roi Soleil.
Il y a d’abord une mise en bouche un peu longuette avec distribution de petits papiers à quelques spectateurs priés d’inscrire un mot quand ils pensent à Chirac. Puis on évoque le jeune Jacques Chirac : «C’est l’été de 1953 et je débarque à Boston. Je suis inscrit à la Summer school of Harvard et pour payer mes repas et ma petite chambre, je travaille dans un Howard Johnson. » (…)« Mais là, c’est le retour du père Abel qui vient choper son fils Jacky par la peau du cul pour le ramener à Paris, église Sainte-Clothilde. » « Et vous, Jacques Chirac, acceptez-vous de prendre pour épouse Bernadette Chodron de Courcelles, ici présente? (José, à une spectatrice: « On va faire deux enfants ensemble, Laurence en 58, puis Claude, en 62. Mais on se parle de la scène tout à l’heure ! Puis on rejoue les deux heures du débat télé avec le Secrétaire général du Parti communiste Georges Marchais, en intégralité. Vous jouerez le public du débat, qui est très contrasté. »
L’acte II reprend « la conquête du populaire (1969-1995). « Je suis un homme pressé, je suis un homme qui n’a pas le temps. D’ailleurs si j’avais du temps, j’aurai des passe-temps. Je n’ai pas de passe-temps. Ce n’est pas mon premier débat public, mais je dois reconnaître que c’est le premier qui aura un certain nombre de spectateurs puisque l’ORTF, n’est-ce pas, c’est la télévision, et, par conséquent, ça fait du monde… Georges Marchais est un adversaire redoutable. « Et Pierre Juillet lui dit : «Vous êtes trop abstrait. L’enjeu de ce débat est à la fois très simple et capital : nous devons conserver notre électorat populaire. Marchais va vous piéger. Il dira que le pouvoir mène depuis dix ans une politique de classe, qui favorise les intérêts des grands groupes capitalistes. Qu’est-ce que vous allez lui répondre? « C’est sans doute un des meilleurs moments de ce spectacle très inégal où il y a quelques pépites et pas mal de bavardage: ce qui n’a jamais fait une dramaturgie…
On entend ainsi les voix enregistrées de son adversaire: un effet facile mais qui casse le rythme : « On vous présente comme un jeune loup mais vous avez vraiment du retard, Monsieur Chirac… Vous raisonnez comme il y a quarante ans… Et il lui réplique : « Entendre ça de la bouche d’un léniniste, je trouve que ça ne manque pas de sel… » Mais qui est ce Georges Marchais, doivent se demander les spectateurs qui ont vingt-cinq ans! Il y a aussi un dialogue assez vulgaire entre un Jacky sniffant de la cocaïne et un Charles Pasqua au solide accent marseillais : » Mais bordel ! Qui t’a foutu ça dans le crâne ? Jacky : On n’a pas le choix. Il faut se distinguer. (…) L’ennemi, c’est la Gauche. Et la Gauche, c’est l’intervention de l’État dans l’économie. Et Charles Pasqua lui assène un: «Mais enfin, qui tu veux convaincre avec un discours aussi débile ? (…) Tu te trompes. Les gens ne sont plus dupes. Ça fait deux ans qu’ils sont au pouvoir. Mitterrand qui applique un programme marxiste, c’est aussi improbable que Mère Teresa qui s’invite dans une partouze. » Et le candidat lui réplique : «Il faut s’adapter à la nouvelle donne. Il faut s’adapter à l’ouverture du marché. »
Il y a aussi quelques moments où entre autres, on entend encore la voix de Jacques Chirac, très démago et raciste. Un moment d’anthologie et qui, à l’heure des réseaux sociaux, ne passerait plus du tout: « Comment voulez-vous que le travailleur français, qui habite à la Goutte d’Or (…), et qui travaille avec sa femme, et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit, sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec : un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50.000 francs de prestations sociales sans naturellement travailler… Si vous ajoutez à cela… Si vous ajoutez à cela, le bruit, et l’odeur… Eh bien, le travailleur français sur le palier, il devient fou… il devient fou, c’est comme ça, et il faut le comprendre… Et si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n’est pas être raciste que de dire cela. »
A l’acte III (1995–2007) on entend, après avoir vu la vidéo de la CX du nouveau Président roulant dans Paris, un court extrait de son premier discours: «Les Français, en m’accordant leurs suffrages, ont exprimé une espérance doublée d’une exigence. À moi de ne pas les décevoir. Je suis venu ici – comme je l’avais promis au cours de la campagne qui vient de s’achever – pour tendre la main à la France des territoires. » Et le spectacle finit par un entretien assez musclé entre son chauffeur et Jacques Chirac.
Un spectacle d’abord assez drôle puis décevant, qui navigue en une heure vingt, entre cabaret politique, comédie de boulevard biographique et un documentaire… qui ne parle pas des affaires pour le moins douteuses auxquelles ce Président a été mêlé de près. Curieux?
Reste un Julien Campani, très brillant, qui tient tout le spectacle. II a réussi à se faire le visage, à imiter parfaitement la voix avec les intonations si particulières et tics gestuels de ce président qui savait être sympathique dans les campagnes dont il connaissait bien les races de vaches. Mais -on l’oublie souvent- on lui doit aussi les cancers d’un grand nombre de citoyens français gravement malades à vie après les essais nucléaires qu’il avait programmés sans état d’âme. Et son bilan social fut bien maigre. Ce dont ce spectacle se garde bien de parler… Un oubli sans doute? Souvent facile et très prudent, il nous a laissé sur notre faim ! “Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, « aurait dit Albert Camus. Et c’est aussi vrai quand on parle vie politique au théâtre. Dommage! Les auteurs qui «ont posé la première pierre d’une série Huit Rois, ont l’ambition de faire le portrait théâtral des huit présidents de la cinquième République, de Charles de Gaulle, à Emmanuel Macron. » Mais s’ils sont du même tonneau, ce sera sans nous..
Philippe du Vignal
Jusqu’au 31 mars, Théâtre de Belleville, 16 Passage Piver, Paris (XI ème). T : 01 48 06 72 34.