Phèdre ! texte d’après Jean Racine et mise en scène de François Gremaud

Phèdre ! texte d’après Jean Racine et mise en scène de François Gremaud 

 Rien absolument sur le plateau, qu’une simple table sur une moquette grise. Debout, Romain Daroles accueille avec un bon sourire le public qu’il invite à une soi-disant conférence sur Phèdre. L’auteur prend bien soin de préciser dans sa préface qu’avec ce Phèdre! (donc avec un point d’exclamation), que «mes intentions sont toutes entières contenues dans ce titre. Bien sûr, on le devine, il sera question de Phèdre, la plus fameuse et la plus jouée des tragédies de Racine. Pourtant, bien que son principal sujet, elle ne sera pas le véritable sujet de ce spectacle. (…) En fait le véritable sujet de Phèdre ! est l’admiration que son unique protagoniste Romain -façon jeune orateur- voue à la tragédie de Racine. « 
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Cette pièce conçue à l’origine pour des collégiens est une reprise d’une version présentée en 2018 au festival d’Avignon à la Collection Lambert. « Je m’appelle Romain Daroles, toutefois, ce n’est pas chez les Romains que nous allons nous rendre ensemble… mais bien chez chez leurs collègues antiques, les Grecs. » Romain Daroles joue un conférencier admiratif presque idolâtre, voire un peu naïf.  Et après ce premier jeu de mots, l’auteur n’en est pas à un près ; cela déborde même, mais ce jeune acteur le fait avec une telle généreuse «naïveté» et aussi avec une telle admiration pour son sujet que nous y prenons vite goût. Du genre : « Aricie est ici. » Et le prénom Oenone lui rappelle celui de Léone, sa grand-mère avec son accent marseillais  et un «peuchère»,  quand elle entre en scène.
« Et alors votre mère, c’était avec un taureau, alors vous, à côté, cela ne mange pas de foin. » Ou « Oenone, quand il s’agit de sauver Phèdre, elle en a a beaucoup des idées, et certaines pas piquées des vers -enfin des alexandrins.» Et Thésée s’en va par monts et par vaux -par veaux et par taureaux -puisqu’il s’en va combattre le Minotaure. Ou encore: «Médée s’enfuit vers sa Colchide natale-Colchique dans les prés, c’est la fin de Médée. » «J’enracine, enfin Jean Racine, c’est le nom de l’auteur. ( …) J’ai moi-même connu quelqu’un qui s’appelait Aude Javel, ça ne s’invente pas, ma foi, on ne choisit pas ses parents. » Potache peut-être, mais comme distancié et avec un efficace second degré. 

Et il joue avec virtuosité, de la paraphrase qui consiste à traduire une phrase sous une forme plus explicative. «Venus, avant d’être une marque de rasoir, vous le savez, c’est la déesse de l’amour (…) Elle a une dent contre Phèdre et tous ses aïeux. »(…) Lorsque Oenone a une nouvelle idée et quand il s’agit de sauver Phèdre, elle en a beaucoup, des idées : «Madame ne mourrez pas tout de suite, j’ai une nouvelle idée. Il faut prendre les devants. Il faut prétendre que c’est Hippolyte qui vous aime d’un amour incestueux. » Une pratique -efficace- que connaissent bien les enseignants des écoles de théâtre: traduire en langage « vulgaire » des répliques d’Eschyle, Racine ou Shakespeare pour « chauffer» les élèves, quand ils doivent affronter un texte parfois difficile. «Bon, c’est vrai, dit Phèdre à Hippolyte, que j’ai pas été très sympa avec vous. » 
Et François Gremaud cite et parodie Tchekhov: «Je suis une mouette, je suis une mouette. » ou Charles Trenet: « La mer qu’on voit danser le long des golfes clairs ». Mais aussi un titre de Dalida «Alexandrin, Alexandrie, Alexandra…» Et à propos, il cite Barbara: «Les amours les plus belles/Les plus belles amours/Étaient les amours incestueuses.» Ou encore, il tient à faire remarquer que cet alexandrin : «Le Roi, qu’on a cru mort, va paraître à nos yeux » est bien le 837 ème qui comporte en tout 1.654 vers. «Pour ceux qui n’auraient pas encore fait le calcul -cette annonce du retour du Roi- dans ce bijou d’horlogerie simili-suisse qu’est Phèdre de Jean Racine, arrive à l’exact milieu de la pièce. » Mais il n’hésite pas non plus à donner quelques explications étymologiques du genre : catastrophe qui signifie bouleversement, renversement. 
 
Romain Darolles avec un léger accent du Sud (gascon?) précise tout de suite pour rassurer son public que ce spectacle est une comédie et il commence par un résumé du genre Mythologie pour les nuls, de l’histoire compliquée de Phèdre, la fille de Minos et de Pasiphaé. Puis il détaillera et expliquera avec le plus grand talent mais sans aucune prétention, le contenu des cinq actes, avec toujours dans la poche un coup de persiflage pour aérer les choses : «Là-dessus, vous imaginez l’ambiance. Une nouvelle fois Phèdre veut mourir -c’est quand même la troisième fois depuis le début de la pièce. » 
 
Pour mettre en situation parodique une pièce comme celle-ci, aucun doute là-dessus, il faut la connaître dans son intégralité et François Gremaud connait très bien les rouages du mécanisme dramaturgique et la poésie sonore des admirables vers de cette Phèdre. Et quand Romain Daroles en cite quelques-uns, là on ne rigole plus et il le fait avec une maîtrise exceptionnelle de l’alexandrin.
Et il passe avec virtuosité du comique au tragique avec comme seul accessoire, le livre de la pièce qu’il se met parfois sur la tête pour indiquer la couronne de  Phèdre ou la barbe de Théramène avançant à petit pas comme un vieillard. Et une table où il se cache quand Oenone écoute en cachette. Les collégiens devant nous écoutaient fascinés cette Phèdre qui enfin leur parlait et ils riaient de bon cœur.
Des réserves? Aucune, sauf un léger passage à vide quand Romain Daroles analyse le IV ème acte mais sinon quel bonheur pendant une heure quarante de voir et d’entendre cette magnifique performance de texte, de mise en scène et d’acteur. Et croyez-nous, nous n’avons pas souvent la chance de rire dans le théâtre contemporain! Cadeau final, les ouvreurs offrent à chaque spectateur le livre de la pièce. La salle est vraiment pleine tous les soirs mais vous pouvez tenter votre chance ou ne ratez surtout pas ce solo exceptionnel, quand il passera près de chez vous.
Philippe du Vignal 
Jusqu’au 19 mars Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.
 

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