Shakespeare/Bach, avec Charlotte Rampling, mise en scène et au violoncelle, de Sonia Wieder-Atherton
Shakespeare/Bach, avec Charlotte Rampling, mise en scène et au violoncelle, Sonia Wieder-Atherton
En 2013, ces artistes avaient créé Danses nocturnes, un spectacle mêlant poésie et littérature avec Les Suites pour violoncelle de Benjamin Britten et des poèmes de Sylvia Plath. Ici nous ne rencontrons pas le Shakespeare des Rois, des prises et pertes de pouvoir. Nous aurons leur face secrète, celle de chacun, la peau même de l’amour vieillissant et toujours renaissant. Ces sonnets parlent de la beauté de la jeunesse, de son printemps éternel, au milieu de fleurs, même fanées. Et sans aucune mièvrerie, tant il y a d’obstination à revenir sur ce thème et sur ces images, et à chercher la pointe poétique de toutes leurs vérités.
Avec des mouvements dansants tirés de quatre Suites de Jean-Sébastien Bach : Prélude, Courante et Sarabande, Allemande, Bourrées et Sarabande. Mais aussi de chants qu’elle arrangés pour violoncelle comme A Voce sola et Hor Ch’el Ciel et la Terra de Monteverdi, d’un extrait d’In una siepe ombrose de Lotti et avec un Chant de là-bas qu’elle a écrit elle-même, Sonia Wieder-Atherton a construit la musique de ce spectacle. Elle n’a pas hésité superposer, en ouverture, son jeu vivant et des enregistrements réalisés avec Alain Français.
La voix de Charlotte Rampling entre dans de cet univers sonore comme un nouvel instrument ? Cela rappelle que la poésie alliée à la musique -l’art des Muses- crée une harmonie et produit aussi du sens pour ceux qui sauront l’écouter et se l‘approprier. La grande comédienne britannique parle sa langue avec une clarté et une élégance parfaites, bienvenues pour nous, pauvres Français qui avons tendance à malmener l’anglais (surtout ancien). Elle dit ces poèmes dans leur juste rythmique, sans appuyer. C’est la moindre des choses mais qui d’autre, respire la poésie avec cette ampleur et cette retenue ? Parfois l’humour d’une comptine (Rabitt, rabitt…) vient se glisser entre les sonnets.
L’actrice entre et parcourt du regard une mosaïque de visages apparaissant et disparaissant, projetés en fond de scène. Nous pouvons y lire des vies et des morts, l’éternel retour du malheur et sa guérison, mais aussi que chaque visage et chaque personne, vivante ou morte, sont uniques et précieux, sans oubli.
Ensuite, après cette sorte d’hommage aux inconnus, elle s’avance à la rencontre des spectateurs, autres inconnus. De plus en plus proche, calme, elle partage un moment familier, en sachant s’effacer et tout simplement attendre, écouter et laisser la place à sa partenaire.
Charlotte Rampling cultive une féminité androgyne: cheveux courts et tunique noire. Sonia Wieder-Atherton, en haut et pantalon tout aussi noirs, porte la tenue sobre et fonctionnelle (mais non formelle) de son métier. Un choix cohérent avec la mise en scène simple et exigeante de ce spectacle-concert. Les lumières de Jean Kalman ouvrent l’espace, creusant une diagonale dans l’orchestra des Bouffes du Nord, plaquant pendant un instant la comédienne au mur patiné du théâtre ; un travail qui raconte un histoire secrète, faisant de la place aux poèmes. Et nous pouvons lire (si on a les bonnes lunettes…) la traduction de Françoise Moran et André Markowicz, écrite à la main et projetée au-dessus du manteau d‘Arlequin. Comme une lettre qu’on nous enverrait, comme une chaleureuse présence visuelle..
Voilà, c’est tout simple mais riche de visions… La musicienne et l’actrice, avec de profonds silences, emmènent le public vers une solide attention. On nous dira que c’est toujours le cas, au concert. Ici, il est également un spectacle qui rompt à peine avec le rituel bien rodé que l’on connaît. Entre ces femmes, l’écoute mutuelle intense va de soi et c’est le fondement même de la musique. Comment définir ce que chacune produit? Nous ne sommes pas critique de musique et nous dirons seulement le bonheur de retrouver à la fois la rigueur et la sensualité de Jean-Sébastien Bach sous l’archet généreux de Sonia Wider-Atherton, d’entendre la poésie shakespearienne scandée par Charlotte Rampling et d’être surpris par des images aussi vives sur le thème connu de la rose perdant ses pétales. Mais aussi par la qualité du silence que seules ces artistes peuvent créer à ce moment-là. Le bruit disgracieux mais sans doute nécessaire des applaudissements casse cette vibration. Mais c’est comme ça : difficile de faire trop durer une émotion née de la beauté, nous ne savons pas où cela pourrait nous mener.
Christine Friedel
Spectacle vu le 9 mars au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (XIX ème). T. : 01 46 07 34 50.