Les Petits Pouvoirs, texte et mise en scène de Charlotte Lagrange
Les Petits Pouvoirs, texte et mise en scène de Charlotte Lagrange
Cela se passe dans une petite agence d’architecture parisienne NAO que dirigent Benoît et Diane, son associée depuis longtemps. Lui a des projets important de réhabilitation de bâtiments sur une île au Japon dans un ancien fief industriel, abandonné par ses habitants.
Ils ont engagé une jeune architecte Laïa, qu’ils trouvent brillante et tout à fait compétente mais ils voient vite vite qu’elle ne leur fera aucun cadeau et qu’elle veut le pouvoir. Elle a un amoureux Sidney Alli Mehlelbedqui ,dans leur cuisine surélevée en fond de scène lui prépare des mets japonais ( cela se complique !). Il pense qu’il vaudrait mieux qu’ils trouvent un plus grand appartement. Mais Laïa, poussée par cet amoureux qui voit en elle une future grande architecte internationale, veut d’abord et avant tout se faire une place importante dans ce projet, quitte à tout faire pour que Diane n’aille pas au Japon avec Benoît.
Les mécanismes d’essai de domination, à la fois professionnelle mais aussi sexuelle, vont donc fonctionner à plein régime. Enfin pas du tout sur le plan dramaturgique. Diane plus âgée qu’elle voit clair dans le jeu de Laïa, sans scrupule et très arriviste et l’invite à aller boire un verre. Mais, malgré une certaine complicité féminine, il y a dans l’air, une guerre sans merci pour conquérir le pouvoir. Au départ, nous sommes dans le trio classique de deux femmes et d’un homme comme ici, ou de deux hommes et d’une femme : un filon largement exploité depuis plus d’un siècle par le théâtre, surtout par celui dit, de boulevard.
Puis si nous avons bien compris, le trio, au lieu des deux associés prévus (pourquoi?) va au Japon pour rencontrer enfin Toshi, une star de l’architecture qui les avait autrefois virés de son agence. Mais il a semble-t-il, la maîtrise du projet et ils vont devoir travailler avec lui. Mais ce vieil architecte qui semble avoir des vues sur Laïa, se lave et va passer couvert de sang. Là aussi comprenne qui pourra? Il ne respectera pas ses engagements et tout finira par une tuerie généralisée. Sans doute pour dire que «les temporalités s’entremêlent, le crime se dévoile et révèle les mécanismes de pouvoir et de domination sexuelle qui se transmettent inconsciemment de génération en génération. »Bon!
Nous avons vite décroché devant ce scénario mal ficelé et peu clair où un réalisme élémentaire de comédie classique va céder la place à un machin gore avec du sang qui coule avec un onsen ( bain chaud japonais) dans une cuisine au plancher en ruine. D’où sortira ensuite la queue d’un thon… Et, à la fin, le sol de l’agence sera couvert de sang partout et l’espace réel disparaîtra si nous avons bien compris, au profit d’un onirisme teinté de surréalisme… Ou comme dit le vieux proverbe cantalien, ourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué?
Cette « inversion progressive de l’espace», imaginée avec une certaine prétention par l’autrice, ne fonctionne pas et il faut se pincer pour voir que « les restes de l’agence d’architecture de la première partie deviendront les restes de la mémoire de l’agence japonaise. » Bref, « ces questionnement très actuels » selon Charlotte Lagrange nous ont laissé de marbre.
La scénographie bien construite avec nombre de marches un peu partout, est au diapason, c’est à dire aussi compliquée que le scénario, ce qui ne facilite pas la circulation des acteurs. Charlotte Lagrange assure aussi la mise en scène et n’a pas oublié de faire envoyer des fumigènes à gogo ( les vapeurs de l’onsen?) et de munir ses acteurs de micros HF. Le truc à la mode qui n’arrange jamais les choses. Elle dirige comme elle peut ses acteurs, c’est à dire pas bien et sans beaucoup de rythme. Clara Lama Schmit (Diane) et Julie Pilod ( Laïa) ont de l’énergie et arrivent à être crédibles, malgré un dialogue assez plat à hauteur de Plus belle la vie. Rodolphe Poulain, lui, semble moins à l’aise dans la peau de cet Etienne, architecte désabusé qui se fait rouler par sa jeune collaboratrice. Gen Shimaoka a une belle silhouette mais un fort accent japonais : on le comprend donc très mal !
Que sauver de ce texte assez vite ennuyeux -du genre kaléidoscopique mais mal maîtrisé- auquel il manque un fil rouge (pas sanguin !)? Peut-être quelques brèves scènes entre Etienne et Diane, ou encore entre Laïa et Etienne. Pour le reste, ce mélange de temps et d’espaces différents avec ce couteau plein de sang qui revient comme un leit-motiv pas du genre léger et un scénario qui part en vrille, ne nous ont pas convaincu. Les spectateurs semblaient patients mais tétanisés et ont applaudi très mollement cette pièce indigeste dont on peut se demander comment elle a pu avoir les honneurs de Théâtre Ouvert.
Charlotte Lagrange déclare assez prétentieusement qu’ « en travaillant sur des temporalité mêlées, j’aimerais savoir comment on hérite d’une idéologie qui s’est inscrite dans les parties souterraines de nos êtres et de nos perceptions du monde, »(…) Tous aux abris !
Libre à elle de se poser toutes les questions esthético-métaphysico-morales sur fond de sauce japonisant, par écrit et dans le sabir qu’elle souhaite, mais surtout pas dans un dialogue sur un plateau et en laissant le public sur la route.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 19 mars, Théâtre Ouvert 159 avenue Gambetta, Paris XX ème. . T. : 01 42 55 55 50.