Augustin Mal n’est pas un assassin, texte de Julie Douard, mise en scène d’Olivier Lopez
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Ph. du V.
Augustin Mal n’est pas un assassin, texte de Julie Douard, mise en scène d’Olivier Lopez
Cela se passe dans la petite salle de la Cité-Théâtre que dirige le metteur en scène de ce monologue tiré du quatrième livre de cette romancière et philosophe caennaise, vite repérée par le regretté Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur des éditions P.O.L. Mais le texte a à voir de près avec le théâtre dont certains textes d’elle ont déjà été mis en scène. Julie Douard a sans doute été influencée par Marcel Proust -ce qu’a bien vu El Houcine Bouslahi chez le célèbre romancier- ce monologue intérieur a une fonction narrative mais aussi heuristique. Grâce à la parole de cet homme seul, nous découvrons un espace et un temps dans ce récit d’événements personnels. Et enfin une fonction épistémologique, puisque ce monologue intérieur nous permet d’explorer un message exprimé à la première personne, ce qui lui donnera justement un statut privilégié.
Le monologue est, rappelons-le, aux origines même du théâtre mais depuis une vingtaine d’années, il a beaucoup évolué et a envahi la scène française, notamment dans le off à Avignon pas toujours pour le meilleur. Mais il est aussi devenu un genre à part entière avec des textes remarquables, comme entre autres : Que seul un chien de Claudine Galéa, Jaz de Koffi Kwahulé, Les Règles du savoir vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce, La Mate de Flore Lefebvre des Nouettes, ou encore Clouée au sol de George Brant qu’avait magistralement interprété Pauline Bayle ( voir Le Théâtre du Blog).
Ici, nous sommes loin de la mimésis, avec ce conte ou plutôt cette réflexion silencieuse teintée de philosophie qui s’exprime par la voix d’un homme qui se dévoile avec une parole solitaire qui n’a rien de naturel mais qui agit comme un précipité, à un moment où il a visiblement besoin de communiquer. Cet employé de bureau ordinaire au prénom qui fait penser au célèbre grand Meaulnes d’Alain Fournier et à un nom et adjectif qui suggère des comportements jugés nuisibles, destructeurs, immoraux et/ou causes de souffrances, volontaires ou non, morales ou physiques.
Augustin Mal, ce personnage étrange et complexe, fétichiste -il collectionne les slips- est assez pervers, et presque bipolaire. Ce dont il souffre et qui augmente son mal-être surtout dans l’entreprise où il travaille: «Non pas que les relations de travail manquent de franchise, elles empruntent seulement des codes spécifiques.» Et ces codes, il est foncièrement incapable de les adopter et il croit naïvement que la propreté dont il se vante «rend la familiarité plus acceptable, surtout quand on ne peut pas s’en passer». Mais il en est bien conscient de cette contradiction qui lui rend la vie impossible : « On ne saurait caresser les cheveux de sa secrétaire ou prendre son patron dans ses bras sans soulever l’indignation de tout un service. » (…) «De même, les élans d’affection sont généralement mal perçus, au point qu’il fait souffrir les femmes. Si un homme touche un derrière amical au bureau, c’est sans intention. Le moment vaut pour lui-même et n’implique pas qu’on parle fiançailles, ce qui contrarie presque inévitablement la femme qui, à coup sûr, se renfrogne. » Bref, il est toujours en porte-à-faux et a depuis longtemps trop de comptes à régler avec le monde du travail. Mais surtout avec le sexe, le sien en particulier, et celui des femmes qui lui sont proches. A cause d’une mère envahissante?
Ici, Julie Douard remet en question une reconstitution à l’identique du réel mais va au plus profond de la sensibilité de cet Augustin Mal. Mais il est bien conscient de contradictions chez lui qui lui rendent la vie impossible: «On ne saurait caresser les cheveux de sa secrétaire ou prendre son patron dans ses bras sans soulever l’indignation de tout un service. (…) « De même, les élans d’affection sont généralement mal perçus, au point qu’il fait souffrir les femmes. Si un homme touche un derrière amical au bureau, c’est sans intention. Le moment vaut pour lui-même et n’implique pas qu’on parle fiançailles, ce qui contrarie presque inévitablement la femme qui, à coup sûr, se renfrogne. » Bref, il est toujours en porte-à-faux et a depuis longtemps trop de comptes à régler avec le monde du travail et avec le sexe, le sien en particulier et celui des femmes.
Egocentrique, il essaye de se croire heureux en satisfaisant au mieux pour lui c’est-à-dire au moins bien, et ses envies. Sans arriver pour autant à un quelconque petit bonheur. Même en faisant de son récit une sorte de thérapie. Il peut comme le dit Julie Douard, « rendre le réel supportable ». Et il a une obsession pour tout ce qui touche au corps, un thème récurrent dans ce texte: celui d’un caniche, d’une truie ou d’un dauphin. Mais il est aussi fasciné par le sang noir trouvé sur un slip d’homme. Et remarque sa langue à lui « un peu terne » et celle d’une femme au «corps comme un bijou ». Ou encore la « petite langue d’une fille qui joue les essuie-glace avec les dents du haut . Et cet homme plus très jeune a conscience que: «Bientôt, j’aurai des rides et des problèmes de foie. Des bosses me viendront, mes cheveux blanchiront. » «Je la ferai rire en lui touchant les seins. » «Les fesses, c’est un souci du soir. » «Mes doigts sont le plus ingénieux des médecins, ils me désignent les kystes, m’interpellent sur les plaies. » «Ça m’a énervé alors je lui ai crié que je saignais pas du cul et que le sien était gros. « un mâle dans la force de l’âge qui respire fort de la bouche et du torse. Bref, il y a en lui une misogynie bien ancrée. « Rien de tel pour exciter les femmes dérangées qui courent après leur perte. Elles reniflent la braise et rêvent de se brûler. Mais les femmes et les hommes, c’est du pareil au même, de la chair à pâtée, quelques mauvaises odeurs et tous ces résidus éparpillés partout. »
Reste à interpréter, sans tomber dans le pathos et le racolage, ni rendre antipathique ce «sale type», comme dit François Bureloup, très bien dirigé ici par Olivier Lopez. Sur le plateau, un tabouret haut à pied unique Ikéa, banal comme ce personnage qui s’y assied parfois et une mallette d’où il extrait une bouteille d’eau pour se rafraîchir un peu.
Derrière lui, un écran blanc qui changera de couleur façon Bob Wilson, pour aérer un peu les choses. Et cet excellent acteur sait rendre crédible le parcours de cet Augustin Mal, un être douloureux qui traîne avec lui un lourd passé sur fond d’inceste, jusqu’à le rendre acceptable, voire presque attachant, en particulier quand il réussit, après avoir fréquenté un cercle de parole, à emmener chez lui une certaine Gigi, une femme avec laquelle il a une aventure dont nous nous révélerons pas la fin.
François Bureloup, la cinquantaine, a joué dans de nombreux films et séries télé et aussi au théâtre dans Trois hommes et un couffin, il y a quelques années. Il se dit autodidacte mais a sans doute beaucoup appris. Et il a tout le solide métier nécessaire pour jouer un monologue aussi fort mais difficile, avec ces longues phrases proustiennes éblouissantes de virtuosité mais qu’il faut se mettre en bouche, comme disent les acteurs. Sont ici remarquables d’efficacité son intelligence absolue du texte, sa concentration, sa gestuelle et sa diction, sa présence sur le plateau: ici, tout est dans l’axe. François Bureloup demande humblement que le public accepte ce personnage et l’entoure, sinon d’affection, d’au moins d’un regard salvateur et qu’il n’oublie pas qu’Augustin Mal n’est pas un assassin.» Qu’il se rassure, c’est mission accomplie et il n’est pas si fréquent au théâtre qu’il y ait une telle complicité entre une autrice, un metteur en scène et un acteur. Et cette phrase du grand dramaturge japonais Chikamatsu Monzeamon ne nous a jamais paru aussi juste: «L’art du théâtre se situe dans un espace entre une vérité qui n’est pas une vérité, et un mensonge qui n’est pas un mensonge.» Le public caennais a bien de la chance et a applaudi chaleureusement ce court mais magnifique spectacle.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 1er avril, La Cité Théâtre, 28 rue de Bretagne, Caen (Calvados).
Le 29 avril saison culturelle à Merceville-Franceville (Calvados).
Théâtre des Halles, festival off d’Avignon, tout le mois de juillet prochain.
Du 7 au 11 novembre, Le Volcan Le Havre ( Seine-Maritime).
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