78- 2, texte et mise en scène de Bryan Polach

78-2, texte et mise en scène de Bryan Polach

Le spectacle est repris jusqu’au 21 janvier 2023 au Théâtre Paris Villette.

Trois chiffres inconnus de la plupart des Français mais qui les concernent tous: ceux de l’article du code de procédure pénale définissant les conditions de contrôles d’identité. Normalement sur réquisition du procureur de la République, selon les dispositions de cet article 78-2, alinéa 7, du Code de procédure pénale. Mais qui est autorisé à les faire sur tout le territoire? Qui en la responsabilité juridique et qui est concerné? Comment et pourquoi dérapent-ils quelquefois? Ils peuvent être faits par la police judiciaire dans le contexte d’une infraction, ou par la Police administrative pour prévenir des infractions. Mais, généralisés et discrétionnaires,  ils sont alors illégaux, ou autorisés seulement dans certaines zones et en cas de prévention de troubles à l’ordre public. Jamais sur le fondement de l’apparence extérieure, c’est à dire au faciès ou sur le seul fait de parler une langue étrangère. »  Enfin, c’est  ce que dit la loi…

©x

© Hélène Harder


Mais la réalité sur le terrain est parfois toute autre! Sinon la Commission nationale de Déontologie n’aurait pas signalé avec clarté que «les contrôles répétés sur des mineurs dont l’identité est parfaitement connue des fonctionnaires -ce dont se plaignent fréquemment les jeunes de certains quartiers- sont à proscrire.  (…) De même que les contrôles sans motifs juridiques : par exemple, le fait de vouloir se soustraire à la vue d’un policier ne constitue pas en soi une menace à l’ordre public justifiant d’effectuer une telle vérification.»

Une étude réalisée en 2007 et 2008, Police et minorités visibles: les contrôles d’identité à Paris, publiée en 2009 par l’Open Society Institut sur une base de 37.833 personnes avec 57,9 % de personnes perçues comme «blanche » », 23 % comme «noires», 11,3 % comme «arabes», 4,3 % comme «asiatiques», 3,1 % comme «indo-pakistanaises» et moins de 1 % comme d’une  autre origine». Sur 525 contrôles d’identité, les Noirs se faisaient contrôler, en moyenne, six fois plus que les Blancs, et les Arabes 7,8 fois plus. Idem pour les fouilles et palpations: quatre et trois fois plus fréquentes. « Après deux ans de recherche, dit Bryan Polach, les faits sont les faits et certains nous révoltent. » Le Défenseur des droits de l’homme a critiqué à plusieurs reprises les contrôles d’identité discriminatoires et appelé à une réforme. Et il y a cinq ans, la Cour de Cassation a jugé que les interpellations policières de trois jeunes hommes constituaient une discrimination et « une faute grave engageant la responsabilité de l’État. » ( sic)

©Hélène Harder

©Hélène Harder

Bryan Palach et son équipe ont eu de nombreux entretiens avec des commissaires et hauts fonctionnaires, officiers de lice, militants et habitants victimes de ces contrôles à répétition, journalistes spécialisés. »Mais ils n’ont pu enregistrer ceux réalisés avec des fonctionnaires de police… Dommage. Comment réagissent à chaud ce qu’on appelle «les forces de l’ordre » dans ces quartiers, dits sensibles où à leur arrivée, des grille-pains, voire même des machines à laver, emballages, canettes, vieilles assiettes et détritus tombent « par hasard » des tours ? Comment avoir une vision juste de la réalité des choses, entre empathie, ou condamnation de l’un ou l’autre camp? Quelles relations peuvent avoir les habitants d’un quartier de banlieue pauvre et la police municipale, nationale, les C.R.S., la Gendarmerie, les services de sécurité de la R.A.T.P. ou de la S.N.C.F.?

Sur un tapis rouge et rond, quelques chaises aux pieds inox et en coque plastique gris fumé. Yasmine (Juliette Navis) qui défend le point de vue des policiers, Leti (Emilie Chartier), celui des habitants, Thom (Thomas Baudinot) et Laurent Evuort (Laurent) évoquent cette violence urbaine permanente à laquelle les présidents de République successifs promettent de mettre fin, alors qu’ils savent bien qu’il s’agit d’un système d’exclusion des  des Français pauvres et des immigrés, relégués hors des grands centres urbains. Mais les quatre acteurs jouent tous aussi d’autres rôles.
Une histoire simple et tragique: Thom était policier. Il ne se souvient de rien et reste handicapé mais croit avoir reçu une pierre ou un objet sur la tête quand il était en fonction et depuis, a quitté la police.  Ce soir, à une fête chez des amis, il rencontre une jeune femme qu’il ne semble pas connaître mais elle lui dira avoir été impliquée dans une bavure, vite étouffée par sa hiérarchie. Elle a, en fait, tiré un coup de flash-ball par erreur sur lui et nous entendrons au téléphone, une voix lisant la liste de victimes de violences, dont Adama Traoré, mort après un violent placage au sol en 2016. Glaçant. Dans cette dernière affaire, une nouvelle contre-expertise médicale conclura à la responsabilité des gendarmes de notre douce France…

Des tas d’objets se mettent alors à tomber des cintres. Comme si la réalité tout d’un coup rattrapait la fiction dans cet appartement qui n’est pas épargné par la violence.  Le texte, bien documenté, souffre parfois d’un manque d’écriture, même s’il a reçu l’aide de Beaumarchais S.A.C.D.  -le théâtre d’agit-prop n’est pas un genre facile- mais est bien mis en scène, avec rythme et précision, par son auteur. Nous oublierons ce tapis rouge vif et grossièrement symbolique et ces chaises assez laides. Les scènes de bagarre et les placages au sol sont  réussies mais la direction d’acteurs n’est pas toujours bien maîtrisée: trop de criailleries chez Laurent Evuort et Emilie Chartier a parfois une diction approximative…
Mention spéciale à Juliette Navis, solide et convaincante quand elle défend les forces de l’ordre et à Thomas Badinot, impeccable dans le rôle de cet ancien flic esquinté à vie. Il faudra suivre le travail de cette compagnie implantée dans le Cher.

 Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué du 8 au 18 mars au Théâtre 13, 30 rue du Chevaleret, Paris (XIII ème). T. : 01 45 88 62 22.

Les 23 et 24 novembre, Théâtre Olympia-Centre Dramatique National de Tours (Indre-et-Loire).

Du 11 au 21 janvier 2023, Théâtre-Paris Villette, Paris (XIX ème).

Et le 11 mars, Théâtre de Brétigny-sur-Orge, (Essonne).


Archive pour 19 mars, 2022

78- 2, texte et mise en scène de Bryan Polach

78-2, texte et mise en scène de Bryan Polach

Le spectacle est repris jusqu’au 21 janvier 2023 au Théâtre Paris Villette.

Trois chiffres inconnus de la plupart des Français mais qui les concernent tous: ceux de l’article du code de procédure pénale définissant les conditions de contrôles d’identité. Normalement sur réquisition du procureur de la République, selon les dispositions de cet article 78-2, alinéa 7, du Code de procédure pénale. Mais qui est autorisé à les faire sur tout le territoire? Qui en la responsabilité juridique et qui est concerné? Comment et pourquoi dérapent-ils quelquefois? Ils peuvent être faits par la police judiciaire dans le contexte d’une infraction, ou par la Police administrative pour prévenir des infractions. Mais, généralisés et discrétionnaires,  ils sont alors illégaux, ou autorisés seulement dans certaines zones et en cas de prévention de troubles à l’ordre public. Jamais sur le fondement de l’apparence extérieure, c’est à dire au faciès ou sur le seul fait de parler une langue étrangère. »  Enfin, c’est  ce que dit la loi…

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© Hélène Harder


Mais la réalité sur le terrain est parfois toute autre! Sinon la Commission nationale de Déontologie n’aurait pas signalé avec clarté que «les contrôles répétés sur des mineurs dont l’identité est parfaitement connue des fonctionnaires -ce dont se plaignent fréquemment les jeunes de certains quartiers- sont à proscrire.  (…) De même que les contrôles sans motifs juridiques : par exemple, le fait de vouloir se soustraire à la vue d’un policier ne constitue pas en soi une menace à l’ordre public justifiant d’effectuer une telle vérification.»

Une étude réalisée en 2007 et 2008, Police et minorités visibles: les contrôles d’identité à Paris, publiée en 2009 par l’Open Society Institut sur une base de 37.833 personnes avec 57,9 % de personnes perçues comme «blanche » », 23 % comme «noires», 11,3 % comme «arabes», 4,3 % comme «asiatiques», 3,1 % comme «indo-pakistanaises» et moins de 1 % comme d’une  autre origine». Sur 525 contrôles d’identité, les Noirs se faisaient contrôler, en moyenne, six fois plus que les Blancs, et les Arabes 7,8 fois plus. Idem pour les fouilles et palpations: quatre et trois fois plus fréquentes. « Après deux ans de recherche, dit Bryan Polach, les faits sont les faits et certains nous révoltent. » Le Défenseur des droits de l’homme a critiqué à plusieurs reprises les contrôles d’identité discriminatoires et appelé à une réforme. Et il y a cinq ans, la Cour de Cassation a jugé que les interpellations policières de trois jeunes hommes constituaient une discrimination et « une faute grave engageant la responsabilité de l’État. » ( sic)

©Hélène Harder

©Hélène Harder

Bryan Palach et son équipe ont eu de nombreux entretiens avec des commissaires et hauts fonctionnaires, officiers de lice, militants et habitants victimes de ces contrôles à répétition, journalistes spécialisés. »Mais ils n’ont pu enregistrer ceux réalisés avec des fonctionnaires de police… Dommage. Comment réagissent à chaud ce qu’on appelle «les forces de l’ordre » dans ces quartiers, dits sensibles où à leur arrivée, des grille-pains, voire même des machines à laver, emballages, canettes, vieilles assiettes et détritus tombent « par hasard » des tours ? Comment avoir une vision juste de la réalité des choses, entre empathie, ou condamnation de l’un ou l’autre camp? Quelles relations peuvent avoir les habitants d’un quartier de banlieue pauvre et la police municipale, nationale, les C.R.S., la Gendarmerie, les services de sécurité de la R.A.T.P. ou de la S.N.C.F.?

Sur un tapis rouge et rond, quelques chaises aux pieds inox et en coque plastique gris fumé. Yasmine (Juliette Navis) qui défend le point de vue des policiers, Leti (Emilie Chartier), celui des habitants, Thom (Thomas Baudinot) et Laurent Evuort (Laurent) évoquent cette violence urbaine permanente à laquelle les présidents de République successifs promettent de mettre fin, alors qu’ils savent bien qu’il s’agit d’un système d’exclusion des  des Français pauvres et des immigrés, relégués hors des grands centres urbains. Mais les quatre acteurs jouent tous aussi d’autres rôles.
Une histoire simple et tragique: Thom était policier. Il ne se souvient de rien et reste handicapé mais croit avoir reçu une pierre ou un objet sur la tête quand il était en fonction et depuis, a quitté la police.  Ce soir, à une fête chez des amis, il rencontre une jeune femme qu’il ne semble pas connaître mais elle lui dira avoir été impliquée dans une bavure, vite étouffée par sa hiérarchie. Elle a, en fait, tiré un coup de flash-ball par erreur sur lui et nous entendrons au téléphone, une voix lisant la liste de victimes de violences, dont Adama Traoré, mort après un violent placage au sol en 2016. Glaçant. Dans cette dernière affaire, une nouvelle contre-expertise médicale conclura à la responsabilité des gendarmes de notre douce France…

Des tas d’objets se mettent alors à tomber des cintres. Comme si la réalité tout d’un coup rattrapait la fiction dans cet appartement qui n’est pas épargné par la violence.  Le texte, bien documenté, souffre parfois d’un manque d’écriture, même s’il a reçu l’aide de Beaumarchais S.A.C.D.  -le théâtre d’agit-prop n’est pas un genre facile- mais est bien mis en scène, avec rythme et précision, par son auteur. Nous oublierons ce tapis rouge vif et grossièrement symbolique et ces chaises assez laides. Les scènes de bagarre et les placages au sol sont  réussies mais la direction d’acteurs n’est pas toujours bien maîtrisée: trop de criailleries chez Laurent Evuort et Emilie Chartier a parfois une diction approximative…
Mention spéciale à Juliette Navis, solide et convaincante quand elle défend les forces de l’ordre et à Thomas Badinot, impeccable dans le rôle de cet ancien flic esquinté à vie. Il faudra suivre le travail de cette compagnie implantée dans le Cher.

 Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué du 8 au 18 mars au Théâtre 13, 30 rue du Chevaleret, Paris (XIII ème). T. : 01 45 88 62 22.

Les 23 et 24 novembre, Théâtre Olympia-Centre Dramatique National de Tours (Indre-et-Loire).

Du 11 au 21 janvier 2023, Théâtre-Paris Villette, Paris (XIX ème).

Et le 11 mars, Théâtre de Brétigny-sur-Orge, (Essonne).

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