Le Ciel de Nantes, texte et mise en scène de Christophe Honoré

Le Ciel de Nantes, texte et mise en scène de Christophe Honoré

 

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D’abord cela fait du bien de retrouver un théâtre presque plein, même si le masque est encore recommandé. Les Idoles qu’il avait monté ici en 2019,  ne nous avait pas convaincu mais ce spectacle est d’une toute autre vérité. Avec Le Ciel de Nantes, cet écrivain mais aussi réalisateur de films et dramaturge, nous parle de sa famille avec son lot de tragédies personnelles, puisqu’il y a eu parmi ses proches plusieurs suicides…
Cela se passe dans un cinéma de quartier qui n’est plus en activité. Mais où subsistent, sur un parquet à forte pente, des rangées de fauteuils en bon état, seul véritable décor, avec en fond de scène, un écran qui laisse transparaître une petite salle à manger qu’on retrouvera ensuite dans quelques scènes filmées. Christophe, le petit-fils, va présenter un film sur cette famille dans une mise en abyme réussie. Une sorte de témoignage sur trois générations de la province française. La famille, et cela depuis les grands dramaturges grecs de l’Antiquité, reste souvent encore un des fondamentaux du théâtre contemporain.
Odette, dite Mémé Kiki, veuve de guerre, a eu dix enfants d’abord avec Maurice Thimeaux puis huit avec Domenico Puig. Dont ici Roger le fils de Maurice, et Jacques, Claudie et Marie-Dominique, et son fils Christophe, donc le petit-fils d’Odette et de Domenico. Vous suivez toujours ? C’est un peu comme un puzzle ou comme chez Tchekov, on a toujours un un peu de mal au début à situer les personnages. Trois générations mais avec seulement six personnages… symboliques de leur époque

Christophe Honoré brosse un état des lieux d’une société provinciale qui a été la sienne et celle de nombreux spectateurs, avec des thèmes comme les luttes ouvrières, les vagues d’immigration, la guerre d’Algérie, la montée de l’extrême-droite. Bien entendu cette rencontre est l’occasion d’évoquer pas mal de souvenirs et d’essayer de régler des comptes insolubles entre différentes positions socio-politiques dans un milieu non-bourgeois, plutôt ouvrier. Ici, pas question de gros sous ni d’héritage comme dans de très nombreuses  comédies, de Molière à Goldoni, etc. mais d’un fond commun à la société française toute entière: déjeuners en famille,  retrouvailles de parents à l’occasion d’un enterrement, apparition de la télévision dans tous les foyers, avec, entre autres, les chansons de Sheila…symblole même de la réussite d’une petite Cantalienne montée à Paris…

Bref, l’histoire récente socio-politique d’une famille visiblement inspirée de celle de l’auteur avec son lot de rivalités, conflits mais aussi d’amours contrariés et tendresses à géométrie variable. Portés à un point de fusion encore plus fort, puisqu’il s’agit d’un seule et même famille, même si certains n’ont pas les mêmes ancêtres. Les morts ici se confondent avec les vivants, parlent d’outre-tombe. Ils s’invectivent et s’aiment par-delà le temps passé et les liens subsistent malgré tout mais souvent esquintés par les circonstances familiales Ils vivent comme il peuvent au présent avec des liens ‘affection à des degrés divers entre parents et enfants, frères et sœurs mais avec tout le poids d’un passé où la mort s’est souvent invitée. « Le présent, dit André Comte-Sponville, on a le sentiment qu’il est insaisissable, voire inexistant, parce que personne ne peut l’arrêter. (…) Si nous ne pouvons saisir le présent, ce n’est pas parce qu’il nous fuit : c’est parce qu’il nous contient. « Et aux meilleurs moments du spectacle, c’es bien ce la que nous ressentons ces ces personnages hantés par leur passé qui finalement est peut-être la seule chose qui relie vraiment tous des personnages obligés malgré tout de vivre leur présent, avec ceux qui ne sont plus là dans l’espace comme dans le temps. Compliquée.
Christophe Honoré dit habilement tout ce présent-passé ancien qui relie cette famille mais aussi tous les Français avec une grande virtuosité, dans une mise en scène et une direction d’acteurs impeccables :
Youssouf Abi-Ayad Harrison Arévalo Jean-Charles Clichet, Julien Honoré, Chiara Mastroianni, Stéphane Roger, Marlène Saldana, quelles que soient les scènes, ont une vraie présence.

Bon, il y a sans aucun doute des longueurs et Christophe Honoré aurait pu sans dommage resserrer son propos… Mais, comme il maîtrise très bien le rythme et les enchaînements entre scènes jouées et scènes filmées ou retransmises, ces deux heures vingt passent vite. Et comment rester insensible à des répliques aussi justes, entre autres de Marie-Do, la mère : « Je pense à vous tous les jours. Même si jour après jour, je perds l’expression de vos visages, et même les souvenirs, ça s’embrume de plus en plus… Plus je me rapproche du moment où je vais vous rejoindre, plus la mémoire s’éteint… Je pense à vous comme à des ombres.»
Un spectacle, somme toute, attachant et sans aucun doute le meilleur que nous ayons vu de Christophe Honoré.

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 3 avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Pais (VI ème). T. : 01 44 85 40 40.

 

 

 

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