Zoo de Vercors, mise en espace d’Emmanuel Demarcy-Mota

Zoo ou l’assassin philanthrope de Vercors, conception et mise en espace d’Emmanuel Demarcy-Mota

 Cette pièce écrite et publiée en 1963 par Vercors est en fait une adaptation de son roman Les Animaux dénaturés. Une «comédie judiciaire, zoologique et morale» en onze tableaux. Douglas Templemore réveille en pleine nuit le docteur Figgins pour qu’il vienne constater le décès d’un bébé singe qu’il a tué d’une piqûre de de strychnine. Il lui dit qu’il est son fils mais né d’une femelle Paranthropus erectus, qui a été inséminée avec son sperme et veut aussi qu’il appelle la police pour être inculpé de meurtre. Le juge d’un tribunal doit juger cette affaire exceptionnelle qui concerne toute l’humanité et résoudre la question: quelle est la définition exacte d’un humain. Il devra donc trancher pour savoir si cette créature doit être ou non considéré comme humaine ? Ce qui pose une redoutable question philosophique: Douglas est-il l’assassin d’un homme, ou d’un spécimen animal, auquel cas, il ne serait pas un assassin. Le procès aura lieu mais on aboutira à l’incompétence des jurés. Défileront à la barre, entre autres, un anthropologue, un géologue, un médecin légiste et un paléontologue. Pour compliquer les choses, un riche industriel australien se montre très intéressé par une éventuelle population née de ce croisement homme/animal qui serait une main-d’œuvre gratuite et inépuisable et comment faire face à cette redoutable concurrence ici en Angleterre où les ouvriers sont bien payés. Après un second procès, Douglas Templemore sera finalement déclaré innocent, puisqu’il ne savait pas si les tropis étaient hommes ou des singes. Vancruysen, l’homme d’affaires aura perdu… Une note d’espoir ?

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Vercors n’envisageait pas d’écrire pour le théâtre et c’est Jean Mercure, le premier directeur du Théâtre de la Ville  qui  avait adapté son fameux roman Le Silence de la mer. Après le succès des Animaux Dénaturés (1952), Vercors en fait une adaptation qui sera publiée en 59 et mise en scène par Jean Deschamps, le tonton de Jérôme Deschamps. Créée au festival de Carcassonne, elle sera aussi jouée au T.N.P. à Paris, puis reprise en 75 au Théâtre de la Ville dans une deuxième version, toujours mise en scène par Jean Mercure.

Ce projet est né d’une invitation du musée d’Orsay à Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Théâtre de la Ville. «Il s’agissait d’imaginer une création en lien avec l’exposition Les Origines du mondeL’invention de la nature au XXIe siècle.  En y associant des conseillers scientifiques comme la neurochirurgienne Carine Karachi et l’astrophysicien Jean Audouze. Vercors avec Zoo reprend les questions qui ne cessent de tarauder l’humanité surtout de puis la publication de L’Origine des espèces de Darwin en 1857, sur l’homme et l’animal. « Mais il y a ici surtout un procès avec témoignages et interrogatoires de l’accusé et de nombreux spécialistes. Un géologue allemand Kreps a découvert quelques temps auparavant mâchoire et mandibules. Mais l’équipe trouve des créatures entre singe et homme qu’elle appelle « tropis». Ils peuvent  tailler des pierres, faire du feu,  recouvrir leurs morts et communiquer avec des cris. Mais cela divise la communauté scientifique et religieuse. Et il n’existe pas de définition stricte de l’Homme, malgré… une déclaration des droits de l’Homme. Douglas Templemore plaidera coupable d’avoir tué un être humain, pour que leur nature humaine soit définie et reconnue. Mais si le tribunal l’acquitte en déclarant qu’il n’a finalement tué qu’un singe, on pourra donc se servir de ces « animaux » comme l’humanité le fait avec les chevaux, les bœufs, etc. Et comme un essai d’hybridation entre tropis et singes a aussi été positive, on aurait une main-d’œuvre gratuite ou presque, exploitable sans aucun scrupule… Vancruysen, un industriel australien du textile, y voit une formidable opportunité pour accroître ses profits à très brève échéance, ce qui risque de faire prendre à cette affaire un très mauvais virage socio-politique. Le roman de Vercors est plus plus compliqué et il y a aussi une intrigue amoureuse. Bref, pour l’avenir d’une grande partie de la population mondiale, il va falloir définir exactement ce qu’est un être humain... Mais à la fin, le tribunal tranchera et cet industriel ne pourra pas les faire travailler pour rien, puisque l’esclavage a été aboli. Vercors aura été un précurseur dans la vulgarisation de la paléontologie qui passionne toujours le public. Saluons au passage la mémoire de Marcelin Boule, en 1861 et mort en 1942 à Montsalvy, un petit village du Cantal. Il a publié en 1911 la première étude détaillée d’un squelette relativement complet de l’homme de Néandertal  et il a compris que les hommes et les singes provenaient d’une même souche originelle. Une chose impensable à son époque: un crâne dhomo sapiens ne pouvait être plus vieux que ce disait La Bible.

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Sur le plateau, Emmanuel Demarcy-Mota a réuni ses acteurs habituels. Aucun doute, ils font le boulot. Il les a «mis en espace» sur une scène nue juste habillée de pendrillons noirs, comme s’il avait hésité à dire qu’il mettait en scène cette pièce assez laborieuse qui ne met pas vraiment en valeur, sauf à de rares moments, une question lancinante: depuis quand peut-on dire qu’un être vivant est humain et comment en définir les caractéristiques exactes?

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A l’impossible, nul n’est tenu mais tout se passe comme si le directeur du du Théâtre de la Ville n’était pas été vraiment à son aise pour faire passer la rampe à cette pièce vieillotte que Vercors, malgré plusieurs essais, a eu bien du mal à tirer de livre, lui, nettement plus réussi. Moralité : comment adapter une fiction romanesque à la scène? Ce qui fonctionnait mal il y a quelque soixante ans, ne fonctionne pas plus maintenant. Et pourtant la majorité des spectacles actuels sont tirés de romans… Bref, le passé n’éclaire pas toujours le présent des metteurs en scène, et si l’histoire du théâtre peut servir à quelque choses, c’est justement  à cette réflexion. Emmanuel Demarcy-Mota a employé les trucs scéniques à la mode: (on se demande bien pourquoi!) comme des micros H F, et des gros plans en vidéo des visages des acteurs qui parlent à quelques mètres de nous. Et ce procès s’enlise vite malgré quelques belles images scientifiques projetées, des ombres chinoises et des masques étonnants d’oiseux et d’animaux d’Anne Leray que nous aurions eu plaisir à voir plus utilisés…

La démonstration est du genre laborieux, à mi-chemin entre une vraie pièce construite et une solide conférence. Au théâtre, à vouloir mélanger les genres, on ne gagne pas grand-chose et les personnages tiennent plutôt de silhouettes auxquelles il est difficile de s’attacher. Bref, le temps semble bien long et nous n’y avons pas trouvé notre compte… Malgré les questions très actuelles et déjà posées par Vercors: l’évolution du corps et grâce à de nouvelles technologies, la réparation et/ou la transplantation d’organes humains comme entre autres, le poumon, la hanche, le genou, le rein, le cœur… Ce qui était impensable, il y a encore soixante-dix ans…

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 12 avril, Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 43 24 22 77.

 

 


Archive pour 24 mars, 2022

Une Cérémonie par Raoul Collectif

Une Cérémonie par Raoul Collectif

 

Le Théâtre de la Bastille avait accueilli Le Signal du promeneur en 2012 et quatre ans plus tard Rumeur et petits jours de ce groupe belge fondé il y a déjà treize ans par Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret et Jean-Baptiste Szézot sortis du Conservatoire royal de Liège. Raoul collectif, un clin d’œil au situationniste belge Raoul Vaneigem. « Nos armes, disent-ils, le théâtre, la parole, les mots, les corps, les voix, la musique, l’ivresse poétique. Et l’intelligence collective.» Et ils veulent être la fois metteurs en scène, auteurs et acteurs,  metteurs  en scène, musiciens et scénographes de leurs spectacles…
Une Cérémonie, programmée au festival d’Avignon 2020, avait été annulée pour cause de Covid et jouée à la Semaine d’art en Avignon en octobre de la même année (voir Le Théâtre du Blog). Le Signal du promeneur  s’intéressait aux individus craquant dans la société de l’individualisme. Rumeur et petits jours, à la manière dont est née une société néolibérale toujours plus violente et plus désespérante. Ici Raoul collectif avec Cérémonie revisite le happening avec un sens de l’humour et la dérision.

© Raynaud de Lage

©J. F.  Raynaud de Lage

Sur le plateau, une trentaine de fauteuils en plastique vert dispersés, un bar -ici on boit beaucoup de petits verres- une table de maquillage comme il y en a dans les loges de tous les théâtres du monde, une batterie, un piano et un synthé, deux trombones, trompettes, une guitare et quelques accessoires. Au-dessus, plane un squelette,  remarquable sculpture en acier de ptérodactyle, ce reptile volant) connu depuis environ 160 millions d’années).  Et dont on peut faire bouger les ailes grâce à une ficelle. Et il y aura aussi d’autres animaux comme un centaure et un merveilleuse grosse chouette chevêche  avec des ailes en feuilles de bananier et des sourcils en plumeau mais de taille humaine et pour cause, puisque animé par un Jérôme de Falloise. Dans un silence total, avec de grand yeux fixes, il regarde le public. Et il y a aussi un centaure, très violent qui bouscule toutes chaises de ses pattes avant comme arrière Mais aussi neuf interprètes, dont une accordéoniste et Anne-Marie Loop, une actrice plus âgée que ses camarades. Resté sur le côté cour, elle les observe puis le temps de quelques répliques sera Antigone.

© J.F. Raynaud de Lage

© J.F. Raynaud de Lage


Cette Cérémonie est une fête avec grandes déclarations poétiques et morceaux de jazz jouées collectivement par des acteurs bien habillés tous en complet. Mais aussi par moments de merveilleuses percussions béninoises aux sons tout de suite identifiables avec des taquets de bois frappés sur des sortes de cloche. A la fois très simples, répétitives et lancinantes,  comme on en joue lors des enterrements qu’ils soient catholiques ou non et qui, là-bas au Bénin, nous avaient tellement impressionné…
Cela commence très bien, avec un joyeux tumulte de répliques ou extraits de textes. Nous avons cru reconnaître entre autres, quelques phrases d’ Hamlet : « Y a-t-il plus de noblesse d’âme à subir -la fronde et les flèches de la fortune outrageante, -ou bien à s’armer contre une mer de douleurs. » Ou la célèbre réplique d’Hamlet à Horatio : «Nous bravons le présage : n’y a-t-il pas une providence spéciale pour la chute d’un moineau. Si mon heure est venue, elle n’est pas à venir ; si elle n’est pas à venir, elle est venue : que ce soit à présent ou pour plus tard, soyons prêts, voilà tout. Puisque l’homme n’est pas maître de ce qu’il quitte, qu’importe qu’il le quitte de bonne heure ? Laissons faire. » Peut-être aussi d’Henry V.
Et nous entendons comme pour la première fois, ces vers magnifiques d’Ulysse à la fin de L’Odyssée d’Homère: «Les Dieux donnent du malheur aux hommes, pour que les générations suivantes aient quelque chose à chanter. » Puis il y a une évocation d’Antigone de Sophocle pas très réussie, avec incursion dans la salle de deux acteurs… Un truc de théâtre contemporain usé jusqu’à la corde. Là le spectacle, malgré de joyeux moments musicaux (trombone violon, contrebasse, piano, batterie, accordéon, synthé… a tendance à partir dans tous les sens, avec, entre autres, des jets de chaises à répétition lassants. Mais il y a une formidable image à la fin : devant un vieux rideau rouge un peu minable, mal accroché à une perche,  genre Fellini ou les Deschiens, les neuf interprètes bien alignés, jouent dans un profond silence de ces percussions béninoises… Malheureusement, tout n’est pas de cette veine et de loin.

Un spectacle qui a de réelles qualités plastiques et musicales avec parfois de belles et étonnantes images mais qui manque d’une véritable dramaturgie et d’une direction d’acteurs. La diction est souvent approximative surtout malheureusement quand les acteurs disent du Shakespeare ou du Sophocle (les enseignants du Conservatoire de Liège ne devaient pas être très vigilants!) et une fois de micros H F très laids sur les visages une fois de plus, ne servent à rien.
«Nous faisons un voyage, disent les membre de Raoul collectif, une pièce est aussi une interrogation sur la représentation, sur les formes. Simplement, nous étions quelques-uns à avoir envie d’être moins verbeux, de plus de silence, Avec Une Cérémonie, nous avons élargi le cercle présent sur scène, tout en restant en famille  -les musiciens sont aussi les techniciens avec lesquels nous travaillons et Anne-Marie Loop, ancienne professeure à Liège où nous avons étudié ensemble. Cette logique d’ouverture est une piste de réflexion. » (…)  «Nous partons nous battre avec des armes usées et poussiéreuses contre le capital et la finance, la bêtise et les profits, le patriarcat et la fascination du pouvoir, les esprits étriqués et les discours dominants. (…)  Sympathique… mais un brin naïf et conventionnel, non?
Et ce spectacle décevant tient plus d’un travail de jeune compagnie, après trois ans d’école ou de Conservatoire. L’humour, de belles images, le côté foutraque, l’énergie de tout un groupe avec un joyeux mélange d’extraits de textes célèbres et musique de jazz ou ethnique, pourquoi pas? Mais où les deux femmes ont de petits rôles! De toute façon, ici nous sommes quand même un peu loin du compte. Dommage…

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 2 avril, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI  ème). T. : 01 43 57 42 14.

Les 20 et 21 avril, Maison de la Culture de Tournai (Belgique).

Les 5 et 6, mai, Centre Dramatique National d’Orléans (Loiret).

 

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