Une Cérémonie par Raoul Collectif
Une Cérémonie par Raoul Collectif
Le Théâtre de la Bastille avait accueilli Le Signal du promeneur en 2012 et quatre ans plus tard Rumeur et petits jours de ce groupe belge fondé il y a déjà treize ans par Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret et Jean-Baptiste Szézot sortis du Conservatoire royal de Liège. Raoul collectif, un clin d’œil au situationniste belge Raoul Vaneigem. « Nos armes, disent-ils, le théâtre, la parole, les mots, les corps, les voix, la musique, l’ivresse poétique. Et l’intelligence collective.» Et ils veulent être la fois metteurs en scène, auteurs et acteurs, metteurs en scène, musiciens et scénographes de leurs spectacles…
Une Cérémonie, programmée au festival d’Avignon 2020, avait été annulée pour cause de Covid et jouée à la Semaine d’art en Avignon en octobre de la même année (voir Le Théâtre du Blog). Le Signal du promeneur s’intéressait aux individus craquant dans la société de l’individualisme. Rumeur et petits jours, à la manière dont est née une société néolibérale toujours plus violente et plus désespérante. Ici Raoul collectif avec Cérémonie revisite le happening avec un sens de l’humour et la dérision.
Sur le plateau, une trentaine de fauteuils en plastique vert dispersés, un bar -ici on boit beaucoup de petits verres- une table de maquillage comme il y en a dans les loges de tous les théâtres du monde, une batterie, un piano et un synthé, deux trombones, trompettes, une guitare et quelques accessoires. Au-dessus, plane un squelette, remarquable sculpture en acier de ptérodactyle, ce reptile volant) connu depuis environ 160 millions d’années). Et dont on peut faire bouger les ailes grâce à une ficelle. Et il y aura aussi d’autres animaux comme un centaure et un merveilleuse grosse chouette chevêche avec des ailes en feuilles de bananier et des sourcils en plumeau mais de taille humaine et pour cause, puisque animé par un Jérôme de Falloise. Dans un silence total, avec de grand yeux fixes, il regarde le public. Et il y a aussi un centaure, très violent qui bouscule toutes chaises de ses pattes avant comme arrière Mais aussi neuf interprètes, dont une accordéoniste et Anne-Marie Loop, une actrice plus âgée que ses camarades. Resté sur le côté cour, elle les observe puis le temps de quelques répliques sera Antigone.
Cette Cérémonie est une fête avec grandes déclarations poétiques et morceaux de jazz jouées collectivement par des acteurs bien habillés tous en complet. Mais aussi par moments de merveilleuses percussions béninoises aux sons tout de suite identifiables avec des taquets de bois frappés sur des sortes de cloche. A la fois très simples, répétitives et lancinantes, comme on en joue lors des enterrements qu’ils soient catholiques ou non et qui, là-bas au Bénin, nous avaient tellement impressionné…
Cela commence très bien, avec un joyeux tumulte de répliques ou extraits de textes. Nous avons cru reconnaître entre autres, quelques phrases d’ Hamlet : « Y a-t-il plus de noblesse d’âme à subir -la fronde et les flèches de la fortune outrageante, -ou bien à s’armer contre une mer de douleurs. » Ou la célèbre réplique d’Hamlet à Horatio : «Nous bravons le présage : n’y a-t-il pas une providence spéciale pour la chute d’un moineau. Si mon heure est venue, elle n’est pas à venir ; si elle n’est pas à venir, elle est venue : que ce soit à présent ou pour plus tard, soyons prêts, voilà tout. Puisque l’homme n’est pas maître de ce qu’il quitte, qu’importe qu’il le quitte de bonne heure ? Laissons faire. » Peut-être aussi d’Henry V.
Et nous entendons comme pour la première fois, ces vers magnifiques d’Ulysse à la fin de L’Odyssée d’Homère: «Les Dieux donnent du malheur aux hommes, pour que les générations suivantes aient quelque chose à chanter. » Puis il y a une évocation d’Antigone de Sophocle pas très réussie, avec incursion dans la salle de deux acteurs… Un truc de théâtre contemporain usé jusqu’à la corde. Là le spectacle, malgré de joyeux moments musicaux (trombone violon, contrebasse, piano, batterie, accordéon, synthé… a tendance à partir dans tous les sens, avec, entre autres, des jets de chaises à répétition lassants. Mais il y a une formidable image à la fin : devant un vieux rideau rouge un peu minable, mal accroché à une perche, genre Fellini ou les Deschiens, les neuf interprètes bien alignés, jouent dans un profond silence de ces percussions béninoises… Malheureusement, tout n’est pas de cette veine et de loin.
Un spectacle qui a de réelles qualités plastiques et musicales avec parfois de belles et étonnantes images mais qui manque d’une véritable dramaturgie et d’une direction d’acteurs. La diction est souvent approximative surtout malheureusement quand les acteurs disent du Shakespeare ou du Sophocle (les enseignants du Conservatoire de Liège ne devaient pas être très vigilants!) et une fois de micros H F très laids sur les visages une fois de plus, ne servent à rien.
«Nous faisons un voyage, disent les membre de Raoul collectif, une pièce est aussi une interrogation sur la représentation, sur les formes. Simplement, nous étions quelques-uns à avoir envie d’être moins verbeux, de plus de silence, Avec Une Cérémonie, nous avons élargi le cercle présent sur scène, tout en restant en famille -les musiciens sont aussi les techniciens avec lesquels nous travaillons et Anne-Marie Loop, ancienne professeure à Liège où nous avons étudié ensemble. Cette logique d’ouverture est une piste de réflexion. » (…) «Nous partons nous battre avec des armes usées et poussiéreuses contre le capital et la finance, la bêtise et les profits, le patriarcat et la fascination du pouvoir, les esprits étriqués et les discours dominants. (…) Sympathique… mais un brin naïf et conventionnel, non?
Et ce spectacle décevant tient plus d’un travail de jeune compagnie, après trois ans d’école ou de Conservatoire. L’humour, de belles images, le côté foutraque, l’énergie de tout un groupe avec un joyeux mélange d’extraits de textes célèbres et musique de jazz ou ethnique, pourquoi pas? Mais où les deux femmes ont de petits rôles! De toute façon, ici nous sommes quand même un peu loin du compte. Dommage…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 2 avril, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.
Les 20 et 21 avril, Maison de la Culture de Tournai (Belgique).
Les 5 et 6, mai, Centre Dramatique National d’Orléans (Loiret).