Trois Femmes et la pluie de Rémi De Vos, Carole Fréchette et Daniel Keene mise en scène de Laurent Fréchuret.

Trois Femmes et la pluie de Rémi De Vos, Carole Fréchette et Daniel Keene, mise en scène de Laurent Fréchuret

Visuel 1

© Frédéric Pasquini

 Bal tragique au village pourrait s’intituler Fugue, un conte noir de Rémi De Vos. La comédienne se grime en petite allumeuse avec, pour seule idée, séduire les hommes et aller au bal… Elle se faufile hors de la maison à l’insu de ses parents et la violence de ses premiers émois tourne au drame familial… L’auteur sait faire rire de situations féroces et Lolita Monga sert le texte avec un humour distancié.

 Moins convaincante, Morceaux choisis de Carole Fréchette, nous transporte dans une bizarre vente aux enchères où une jeune femme propose à la découpe des morceaux de son corps, à des gens voulant consommer du vivant. Pour les besoins de l’adaptation, les transactions se déroulent en ligne et les acheteurs sont réduits à des voix transmises par ordinateur.

 Nous retiendrons dans La Pluie, cette vieille femme incarnée avec simplicité par Lolita Monga. A travers des objets, elle nous raconte le voyage sans retour de déportés. Des objets de toutes sortes offerts par une foule d’hommes, femmes et enfants : elle en prend soin, les entasse dans sa maison et les trie, jusqu’à ce qu’ils tombent en poussière. Au fil du temps, sa mémoire se brouille mais elle se souvient d’un flacon de pluie confié par un petit garçon. Dans l’attente de son retour, elle garde religieusement cette «pluie du bon Dieu» et nous émeut aux larmes.
Trois Femmes et la pluie est le premier spectacle d’une série, sur l’intimité d’un corps de femme par la compagnie réunionnaise Lolita Monga. Le suivant dessinera  l’atlas d’une communauté de personnes. » Une proposition tranchant avec le voyage en poésie, tout en odeurs et sensations, à travers l’île de la Réunion, à la lisière d’un lyrisme terrien et d’un humour rappeur que joue aussi Lolita Monga dans Voyage confiné d’outremer, au Théâtre des Déchargeurs (voir Le Théâtre du blog).

 Mireille Davidovici

 Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier) T : 01 42 36 00 50.

 Fugue in Les Cinq Sens, Actes Sud-Papiers.

Morceaux choisis in Serial Killer, Actes Sud-Papiers.

La Pluie in Pièces Courtes 1 traduction de Séverine Magois. Editions Théâtrales.


Archive pour 27 mars, 2022

Zébrures du printemps 2022

Zébrures du printemps 2022

Ce festival des écritures est consacré aux auteurs contemporains de théâtre francophones, avec cette année, un focus sur les dramaturgies au féminin, les  « Zébriochkas », pour reprendre le titre de la rencontre animée par l’universitaire Sylvie Chalaye, spécialiste des dramaturgies en Afrique et celle des diasporas. Elle rappelle que les Francophonies de Limoges ont permis de découvrir nombre d’auteurs mais peu d’autrices et encore moins celles issues de la «diversité». Depuis, une action importante a été menée par la Maison des auteurs de Limoges. Ce qui a permis l’émergence d’écritures afro-féminines, grâce à des résidences et appels à projet. Mais le festival se refuse à être un nouveau bantoustan des écritures féminines. «Privilégier les femmes, et non la qualité des écritures, serait donner une visibilité de dupes», dit Sylvie Chalaye.  Et les auteurs y ont aussi leur place .

 Les Zèbriochkas, rencontre animée par Sylvie Chalaye

 «Il est question de maternité, de ventre, de creux utérin, mais dans le sens d’une révolte libératoire », dit l’animatrice. Cette table ronde rassemble trois autrices avec des pièces au souffle particulier, liées à des expériences intimes, comme les titres l’annoncent. Dans Mère prison d’Emmelyne Octavie, «La maternité est une prison, cette femme ne sort pas de la violence de ses fils dit l’autrice de cette pièce qui suit le quotidien d’une mère de deux détenus, entre visites à la prison et son domicile où l’attend son troisième fils. Une vie faite de reproches de ses garçons et même si elle porte le fardeau de leur malaise, selon eux, elle n’en fait jamais assez. Cette émouvante «mère-courage» représente toutes les mères, face au chœur des plaintes qui s’élèvent dans le bruit des portes qui claquent… La poétesse, dramaturge et performeuse guyanaise a écrit sa pièce, à la suite d’ateliers au Centre pénitentiaire de Remire-Montjoly en Guyane et elle s’est attachée à montrer une figure féminine qui porte le poids d’une société de « cœurs meurtris ».

 

« Le ventre, c’est la source de la vie, dit Nathalie Hounvo Yekpe. Dans La Course aux noces, j’ai voulu montrer comment ce ventre devient un piège, pour l’homme comme pour la femme.» L’écrivaine et comédienne béninoise met en scène trois sœurs dont chacune développe une stratégie face au mariage, un statut inévitable pour les femmes de son pays: «Les trois filles se trouvent coincées dans un système». Cette comédie au vitriol alterne dialogues, monologues et « le chœur des « on dit », figure la pression sociale.» «Chez moi, le mariage, c’est beaucoup de chant, de musique, j’ai essayé de faire une parodie des rituels.»

 

Daniely Francisque, elle, dans Matrices, remonte la lignée des femmes de sa Martinique natale et la violence coloniale exercée sur leurs ventres, «ces usines à esclaves pour élargir le cheptel humain des maîtres». La matrice comme espace restant à décoloniser est ici symbole de la souffrance et de la puissance féminines : «Dans nos ventres, il y a des mémoires cachées, dit l’autrice. Les pages d’histoire sur lesquelles on avait plaqué le silence, avec un secret maintenu au creux des cultures afro-descendantes. Et j’ai essayé de passer par mon ventre, celui de ma mère et des femmes qui l’ont précédée.»
Cette violence latente et perpétuée s’exerce dans
Matrices chez trois femmes : la Fille, déracinée dans une cité de banlieue, mais aussi la Femme qui, de retour au «péyi», cherche son ancrage  dans l’amour conjugal. Et la Dame, la «désenfanteuse», qui rompt le cycle du viol, en retrouvant ses racines disloquées. Elle est «celle qui soigne les blessures séculaires, qui ritualise». La Dame, figure ancestrale, s’exprime en créole. Une écriture musicale et syncopée s’infuse jusque dans les parties écrites en français. Comédienne, dramaturge et metteuse en scène, Daniely Francisque prépare la création de Matrices, en compagnonnage avec Joël Pommerat.

Autrices québécoises

Elles se focalisent, elles aussi, sur un intime mais plus psychologique. Suzie Bastien avec Sucré seize, prix S.A.C.D. 2019 de la dramaturgie francophone, donne la parole à huit jeunes filles qui, à seize ans, n’ont pas l’âge tendre et qui, d’un monologue à l’autre, enragent et désespèrent quant à  l’avenir: «On te pousse vers l’avant et l’avant c’est le vide», dit l’une. Ce monde-ci, je n’en veux pas», dit une autre. Mais c’est aussi le temps du premier amour avec ses affres et effervescences. Portraits à vif sucrés-salés sont l’occasion de saluer le talent de cette autrice récemment disparue, voulant écrire pour soulager son cœur…

 Pascale Renaud-Hébert, dans Hope Town, prix S.A.C.D. 2021 de la dramaturgie francophone, débusque les non-dits d’une famille ordinaire. Ces rancœurs mises sous le tapis minent les relations parents/enfant/frère/sœurs. Une pièce qui a pour thème la disparition du fils et le dévoilement progressif d’un malaise lié à son homosexualité. Scènes brèves et tendues, écriture nerveuse, appellent à la mise en scène.

 Errances de Kouam Tawa

 Avec ces poèmes dramatiques dédiés au Cameroun, l’auteur et compatriote Brice Wassy à la batterie et au saxophone, convoquent leurs ancêtres, réveillent les héros morts pour de l’indépendance dont les âmes, faute de sépultures, hantent encore le pays: « Ceux qu’on extermina dans les champs de bataille/ errent dans les champs de bataille/ jusqu’à quand dureront nos errances.»

 Comme proféré au pied d’un arbre à palabres, il égrène un long chapelet de griefs et colères, dans un souffle lyrique, parfois caustique. Un recueil, écrits après dix ans de recherches sur la guerre d’indépendance camerounaise et les conflits qui l’ont suivie.
C’est un poème dramatique au rythme lancinant, à la mémoire des dizaines de milliers de résistants à l’ordre colonial, tombés entre 1955 et 1971, sous les balles et les bombes des armées française et camerounaise.
«Oh ! Ma mère/ Oh ! Mes oncles/ et tant d’autres /mangés je dis dévorés/ sur la terre de nos ancêtres/ par des cabots et des corbeaux/ près ce qu’on appela la pacification /d’un foyer du terrorisme/ et que j’appelle moi l’éradication / d’un bastion de la résistance. » Une performance qui mérite d’être vue et entendue ailleurs.

 Prix R.F.I. 2021

Opéra poussière de Jean D’Amérique

Cet auteur haïtien questionne la place des figures féminines dans l’histoire de son pays et réssuscite Sanite Bélair, résistante anticolonialiste la fin du XVIII ème siècle, exécutée en public par les colons français en octobre 1802, à l’âge de vingt-et-un ans, pour avoir constitué un groupe de rebelles. Deux siècles plus tard, perturbée par le spectre de l’oubli, elle revient d’outre-tombe pour rejoindre les statues de héros érigées sur la place publique. Elle lance sur les réseaux sociaux #HéroïneEnColère, pour réparer la mémoire et regagner sa place dans la grande Histoire. «En Haïti, dit Jean d’Amérique, on n’enseigne pas l’histoire de cette femme, on connaît seulement son nom. J’ai fait une cartographie des femmes qui ont traversé l’Histoire de mon pays. Elles sont absentes ou sous-représentées. (…) Je suis parti du concret. Des statues de Toussaint Louverture, Henri Christophe, Jean-Jacques Dessalines …ce panthéon intouchable qui trône sur le Champ de Mars de Pot-au Prince  .»
Jean d’Amérique ne signe pas une biographie mais, en poète, insuffle à son héroïne une langue proche des raps haïtien et américain, ses premières influences. Pour lui, il faut que cela sonne : «Quand j’écris en français, je n’obéis pas à la langue française. Je lui impose un imaginaire, une structure créoles. Au théâtre, c’est la voix qui compte, plus qu’une intrigue ou une série d’actions. J’envisage une écriture éclatée qui échappe aux enclaves.» Une écriture de l’urgence, traversée par des enjeux politiques: «Mes personnages, pour qu’ils existent, doivent déambuler sur la place publique.»

 Mireille Davidovici

 Du 14 au 20 mars, Les Francophonies, des écritures à la scène, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 10 90 10

 Mère prison, Sucré seize, et Hope Town,  sont édités chez Lansman.

 Opéra Poussière, à paraître aux Editions Théâtrales.

Bande magnétique,de et par Raphael, mise en scène de Guillaume Vincent

Bande magnétique, de et par Raphaël, mise en scène de Guillaume Vincent

Le Théâtre des Bouffes du Nord à Paris à déjà une longue histoire. Cette salle de cinq cent places, a été  inaugurée en 1876 et achetée par Abel Ballet en 1885. Il y montera de grandes fresques historiques comme La Reine Margot d’Alexandre Dumas avec Yvette Guilbert, et des mélodrames. De 1893 à 1894, y est accueilli le Théâtre de l’Oeuvre du grand metteur en scène Lugné-Poé.
Restaurée et électrifiée en 1904 et appelé théâtre Molière, cette salle programme des auteurs comme Georges Darien et Gaston Leroux, puis devient music hall en 1917. Quelques années plus tard, Henri Darcet y reprend des spectacles à succès créés sur les boulevards. Après un temps d’insuccès, Jean Serge un metteur en scène, y impose en 1950 des comédies mais, ne répondant plus aux normes de sécurité, Les Bouffes du Nord sont fermés. Menacés de destruction et laissés à l’abandon. Mais en 69, Narcisse Zecchinel, un entrepreneur italien, la confie à Peter Brook et Michelin Rozan et en 74, le grand metteur en scène, inaugure cette salle au cadre exceptionnel, laissée dans son jus et dont les fauteuils du parterre ont été enlevés de façon à agrandir la petite scène laissé nue, sans aucun rideau. Il y crée un merveilleux Timon d’Athènes. En 1993, Les Bouffes du Nord sont classés: monument historique et en 2019, la direction en est confiée à Olivier Mantei et Olivier Poubelle.

©Marcel Hartman

©Marcel Hartman

C’est un bel écrin pour la musique et les interprètes. Milva, Astor Piazzolla, Catherine Ribeiro, Dominique A, Vincent Delerm (voir Le Théâtre du blog), Olivia Ruiz.. ont connu le bonheur d’avoir une telle proximité avec la salle. L’auteur, chanteur et écrivain Raphaël entretient un lien rare avec son public depuis une vingtaine d’années. Il le salue avec élégance au début du spectacle: «J’ai toujours rêvé de proposer autre chose qu’un concert, éternelle géographie du chanteur et de son groupe qui l’accompagne.» Le scénographe James Brandily a transformé l’espace du lieu en studio, avec cabine-son au milieu de la scène, piano droit, vieil ampli, guitare électrique et trois magnétos à bande. Ils vont devenir les partenaires des artistes, pour une séance d’enregistrement particulière… Une vidéo en fond de scène invite au voyage et de la brume rampe au sol. «J’ai toujours rêvé d’être en smoking et de me perdre en forêt, dit Raphael. »

Un musicien exceptionnel, Marc Chouarain, un comédien improvisé ingénieur du son, Maxence Tual ou Jean-Luc Vincent, et un visiteur du soir-surprise accompagnent le chanteur. En pleine nostalgie de la fin du XX ème siècle, Raphael nous fait naviguer avec tendresse dans une vingtaine de chansons. Quel plaisir d’entendre ces paroles, loin des salles de concert habituelles avec sonorisation excessive, effets-laser et robots superflus, que de nombreux artistes utilisent souvent pour palier leur déficit vocal. Raphael passe du piano, à la guitare électrique…

Certaines paroles de ses chansons prennent une autre dimension, vu la guerre en Ukraine. «Bien sûr que les enfants sautent sur les mines … Se coudre les paupières pour ne plus voir rien…. » Le public retrouve ses chansons préférées : Caravane, Ne partons pas fâchés, Dans 150 ans ou Le Train du soir… «Je rembobine la bande magnétique de ma vie », dit Raphaël qui a quarante-six ans. Allez découvrir cet homme d’une rare élégance, aux Bouffes du Nord ou dans les villes où le spectacle va aller en tournée.

 Jean Couturier

 Jusqu’au 27 mars, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème).  T. : 01 46 07 34 50.

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...