WET° 2022 ( sixième édition) au Théâtre Olympia à Tours

WET° 2022 ( sixième édition) au Théâtre Olympia à Tours

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©Gabriela Cais Burdmann

Un festival qui “se mouille“ ? Oui, par l’engagement de ses jeunes organisateurs et l’effervescence qui règne dans les théâtres de Tours et sa banlieue mais cet acronyme signifie simplement : Week-End au Théâtre Olympia. Son originalité: être programmé par les membres du Jeune Théâtre en Région Centre-Val de Loire, un ensemble artistique mis en place par la Région, avec la complicité du T°-Centre Dramatique National de Tours.
Cinq jeunes acteurs issus d’écoles de théâtre, deux techniciens et une chargée de communication, ont travaillé deux ans au T°, à explorer  les multiples facettes de leur métier, comme interprètes et créateurs mais aussi comme programmateurs. Les comédien.ne.s de cette troupe ont créé Monuments hystériques avec Vanasay Khamphommala, Grammaire des mammifères de William Pellier avec Jacques Vincey (voir Le Théâtre du blog). Début juin, ils joueront La Vie dure (x heure, y minutes) de Camille Dagen, Emma Depoid et Eddy d’aranjo.

La jeune troupe construit WET° de A à Z, avec l’équipe aguerrie du lieu et sous l’œil vigilant de son directeur, le metteur en scène Jacques Vincey, qui lui a généreusement confié les clefs pour ces trois jours de festival. Un beau geste de transmission. Au fil des ans, le WET° est devenu un rendez-vous incontournable de la jeune création et des professionnels en quête de nouveaux talents. En particulier, le réseau Puissance 4  avec La Loge, le Théâtre 13 à Paris, Le TU-Nantes, le Théâtre Olympia de Tours et le Théâtre Daniel Sorano à Toulouse, fédérés pour accompagner les parcours d’artistes émergents et soutenir leur production et leur diffusion. De 2021 à 23 : Émilie Beauvais et Matthieu Desbordes, Justine Lequette, Maurin Ollès et Julie Benegmos dont Strip est présenté à ce WET°.

 Menu chargé pour cette sixième édition -deuxième de la saison pour rattraper le retard dû au covid- avec douze spectacles sur dix-neuf représentations. «Accompagner les prémices et les promesses, ouvrir à l’inédit, à l’audacieux, au fragile. Etre le reflet de l’éclectisme de la jeune création», selon le Manifeste de ce WET° et cette programmation confirme cet éclectisme. Avec un spectacle du collectif catalan Atresbandes, une performance d’Orun Santana, un artiste et danseur brésilien de capoeira mais aussi un solo de l’auteur-performeur belge Salim Djaferi et plusieurs pièces au féminin : Beauté fatale, Le Vertige des Girafes, 37 Heures.  Cela se passe au Théâtre Olympia mais aussi au Petit Faucheux à Tours, à L’Escale à Saint-Cyr-sur-Loire et à  La Pléiade, à La Riche.

 Les quatre spectacles que nous avons vus, témoignent de la fragilité des jeunes compagnies et, pour les programmateurs, des risques d’un entre soi. Nous passerons sur Le Vertige des girafes, soliloque d’une femme enfermée dans son appartement, aux prises avec ses objets quotidiens et rêves de midinette. Ecriture, mise en scène et interprétation fades et décousues, même si Delphine Mailland joue ce solo avec une belle énergie qui ne manque pas, non plus, aux comédiens belges de Cow Boy, mis en scène par  Delphine De Baers. Ces personnages minables de western échoués dans un désert conventionnel remplissent leur vide existentiel par de vaines gesticulations et un verbiage scatologique et eschatologique qui semblent amuser un public complaisant. Caricatures pitoyables de cinq losers dont deux filles.

 37 Heures d’Elsa Adrogueur

 Un spectacle qui se détache du lot par l’authenticité de la démarche. La comédienne a écrit le texte et joue son propre personnage, celui d’une adolescente dont la vie bascule sous l’emprise de son moniteur d’auto-école. Ce prince charmant changé en monstre la violera pendant des années… La pièce se construit en allers et retours entre différentes périodes de son calvaire, sous le regard de la femme devenue adulte qui trouve enfin les mots pour le dire.
Beaucoup de sensibilité et de maîtrise dans cette écriture, malgré quelques clichés attendus. Une mise en scène sobre, soulignée par un beau travail de lumières de Paul Durozey. Mais le jeu, trop appuyé, tend à la caricature et ce récit intime et émouvant aurait gagné à plus de simplicité…

 Koulounisation de Salim Djaferi

Une enquête en forme de conférence linguistique où l’acteur remonte le fil de son histoire familiale qui croise celle de l’Algérie. Seul en scène sur un plateau nu, il s’emploie à démêler un écheveau de filin vert, couleur du pays de ses parents, pour en tirer, littéralement, le fil d’un récit, à la fois intime et collectif.

Tout part d’une question posée à sa mère:«Comment dit-on colonisation, en arabe? » «Koulounisation» dit-elle. Un mot forgé à la croisée du français et de l’arabe algérien, par interférence phonétique, comme: koulounel, koumissariat, etc. Les traductions pour colonisation sont plurielles. Le dictionnaire officiel offre un dérivé du verbe arabe «construire» et/ou «posséder sans autorisation». Les traducteurs des Damnées de la Terre de Frantz Fanon, eux, inventent un mot à partir de : détruire. Et pour un Palestinien, ce sera un substantif tiré de : exclure ! Salim Djaferi illustre son propos en construisant, avec des palettes en polyester, de petits territoires à prendre d’assaut, distinguant une colonisation qui impose son ordre, qui dépossède, ou celle qui force à l’exil…

 Question de territoire et de dénomination… Salim Djaferi remonte son arbre généalogique et les noms de sa famille en disent long sur la colonisation française en Algérie et ses conséquences. Ainsi le patronyme de sa mère a été forgé à partir de Djelal,  le village de ses grands-parents, en effaçant le nom tribal. Et pour trouver du travail en Belgique, elle a dû changer son prénom : Milène, au lieu de Fatima… Preuve à l’appui, les papiers d’identité de ses parents sur un fil tendu entre deux projecteurs. Illustrant son propos d’anecdotes et d’images, le comédien nous mène en douceur au cœur d’une histoire violente, avec un sourire malicieux. Nous apprenons, au détour d’une conversation avec un libraire, qu’en Algérie, la guerre s’appelle: révolution et que le titre: Les Démons de Dostoïevski est devenu en arabe: Les Anges.

A l’arrivée envahissante d’une spectatrice (une complice), Salim Djaferi disparaît, effacé de son histoire… Comme cette éponge qu’il avait escamotée en laissant une trace rouge au sol: la colonisation est aussi: disparaître, voire se faire disparaître…

 Mireille Davidovici

Du 25 au 27 mai, Théâtre Olympia, 7 rue Lucé, Tours (Indre-et-Loire). T. : 02 47 64 50 50.

Koulounisation, le 15 mai, Passages Transfestival, Metz (Moselle).

 37 Heures, le 31 mars,Théâtre Beaumarchais, Amboise (Indre-et-Loire).

Le 13 octobre, Théâtre de la Tête Noire, Saran (Loiret).

Le 6 décembre, L’Atrium, Saint-Avertin (Indre-et-Loire).

 

 

 

 


Archive pour 28 mars, 2022

Après Jean-Luc Godard-Je me laisse envahir par le Viet nam, écriture, conception et mise en scène d’Eddy D’aranjo

Après Jean-Luc Godard-Je me laisse envahir par le Viet nam, écriture, conception et mise en scène d’Eddy d’aranjo

 

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© Willy Vainqueur

Avec ce spectacle créé au Théâtre National de Strasbourg, il ne faut s’attendre ni à une biographie à une anthologie ou à un hommage. Le metteur en scène et ses acteurs ont plutôt cherché un compagnonnage, avec tout ce que Jean-Luc Godard représente pour eux : un penseur de l’image, un dégoupilleur du montage dont il met en lumière la force de sens, un contestataire de ses propres inventions et un fulgurant manipulateur de couleurs dans, entre autres, Pierrot le fou (1965),  Adieu au langage (2014), etc. Godard notre contemporain? De fait, oui.
Une création en deux parties : une première qui ressemble beaucoup à du théâtre, mais imprégnée des films du cinéaste, jusqu’à la citation: « Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? » mais hors contexte,, comme dans un bain amniotique. Une histoire de famille circule sur le plateau, avec les jeunes Camille et Adrien, leurs amis respectifs et un vieil « oncle ».  Déchéance de la vieillesse, deuil. Nous voyons la maison de famille se disloquer. Un moment que chacun vivra un jour: comment vider celle des parents? Que faire de l’héritage? Tout cela est présent, plutôt que représenté, par une série d’actions. Eddy d’aranjo rappelle une vérité simple: par définition, un acteur doit agir. Donc certains d’entre eux manipulent éléments de décor et accessoires, construisant une seconde vie et au premier plan, dialoguent les comédiens.

© Willy Vainqueur

© Willy Vainqueur

Une façon de tout assumer de l’artisanat qui fait le théâtre, ce que rappelle le prologue: à l’avant-scène, de jeunes actrices se présentent l’une comme costumière, l’autre comme régisseuse. Assez vite l“Oncle“, les rejoint, un comédien grimé en vieillard désirant. Message bon à rappeler: le théâtre est un art collectif où chacun, agent et acteur, à sa place particulière et comme personne, apporte au collectif, ce qui lui est propre. Et qu’aussi: au théâtre, tout est faux et tout est vrai. Ce sera le ton de ce spectacle, indémêlable de sa théorie, un manifeste. Et le metteur en scène le revendique : il est fait, bien sûr, de æsouvenirs des films de Jean-Luc Godard mais surtout à mesure de son élaboration, du souvenir du travail sur cette mémoire. Et fait d’une matière hétérogène, avec aussi quelques citations de La mort de Virgile d’Herman Broch où on reconnaît parfois un élément, godardien ou non. On ne cherchera pas à le «lisser ». Nous pensons à Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci, quand on assiste au lavage du vieil homme souillé et mis à nu. Un beau moment de théâtre, à côté de cette réminiscence ou citation, ou rencontre ? Son masque flottant, la vieille peau de son visage portée par un jeune corps. Image à la Luis Bunuel, un court-circuit temporel, une vision concrète d’un désir de vivre.

La deuxième partie est différente : l’écran, le visage et la parole de l’acteur, magnifiés par le noir et blanc, capturent entièrement le regard et l’écoute. Nous assistons à une leçon, engagée, passionnée, à travers les propos de Jean-Luc Godard et de Georges Didi-Huberman. Comment lire un document ? Comment le relire, à l’occasion de nouvelles observations plus fines et de nouvelles questions ?  Volodia Piotrovitch d’Orlik qui est aussi le collaborateur artistique du metteur en scène, joue l’ «oncle» et nous donne à regarder, entre plan américain et plan rapproché et à comprendre, dans leur enchaînement, les quatre photos de cadavres accumulés qu’un «sonderkomando » fait brûler, et qui ont été prises de l’intérieur d’une chambre à gaz. Elles ont été numérotées à leur découverte, mais une observation plus minutieuse a permis de les remettre dans leur véritable succession chronologique. Effet d’image : c’est le printemps, les arbres ont leurs jeunes feuilles et des femmes nues, debout, attendent dans un coin de la photo. Elles ne sont pas des baigneuses à la Cézanne mais appelées à la mort, tout près, et nous ne regardons la photo que parce qu’elles ont déjà mortes. En parlant à l’écran, l’acteur révèle comment ces photos font du cinéma selon Jean-Luc Godard: lecture de l‘image, montage implacable qui donne à la fois sa valeur irréfutable au document et sa force sensible. Ils créent une émotion d’autant plus forte et lucide, qu’elle n’est pas recherchée d’abord dans ce film. C’est tout, on nous a donné à voir le «point de vue» (et lequel!) d’Alex, photographe presque anonyme, contraint par la clandestinité. Voilà. «Vois là», comme dirait encore aujourd’hui le vieux Godard qui a si bien filmé la jeunesse.

D’habitude, une critique de théâtre s’écrit vite. Nous sommes censés avoir capté dans le temps réel du spectacle ce qui nous a fait plaisir (ou non), ce que nous avons déchiffré de la réussite d’un collectif artistique: mise en scène, jeu, scénographie, costumes, musique, images… Et ensuite donner un avis éclairé au candidat spectateur. Mais cette fois, il nous a fallu un certain temps de décantation. Allons-y, en commençant par des bémols: cette fable qui ne justifie pas à elle seule la présence d’acteurs sur un plateau, avance ici trop souvent « dans une forêt obscure », bien que le plateau soit éclairé et aussi parfois, la salle. La sonorisation des  voix, réglée pour que le spectateur tende l’oreille, va parfois jusqu’à rendre les voix cotonneuses, ce qui dévoie notre concentration.

Passons aux éloges: ce spectacle requiert -et reçoit- notre attention constante et nous admirons la fabrication, entre autres, des décors réalisés par les ateliers exemplaires du Théâtre National de Strasbourg auquel Eddy d’aranjo est associé. Et les acteurs se placent à la rencontre exacte entre leur personnage et leur personnalité, ce qui devrait toujours être le cas sur scène! C’est le premier spectacle professionnel du metteur en scène (et de son acteur principal) mais il a eu l’occasion à l’école du T.N.S. de mettre à l’épreuve ce théâtre de la pensée (ou pensée en actes) dans des conditions techniques, artistiques et d’accompagnement favorables. Et il a gagné: ce n’est pas un spectacle « prometteur » mais fort, original, toujours passionnant  qui le confirme comme metteur en scène. Mais que devient le Viet nam annoncé dans le titre ? Une piste ouverte. À nous de la suivre, en souvenir de notre propre jeunesse, quand nous courrions voir les films de Jean-Luc Godard aussitôt sortis et où nous manifestions contre la guerre au Viet nam. Et nous regardons avec bienveillance cette jeunesse, pour laquelle trente ans est toujours un âge «tournant » et qui a la nostalgie, la vraie, de ce qu’elle n’a pas connu et qui permet de réfléchir et d’avancer.

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre de la Commune, Aubervilliers (Seine Saint-Denis). 

Théâtre de la Cité Internationale, Paris (XIV ème) à partir du 4 avril. T. :01 43 13 50 60.

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