Le Sel de la vie, d’après l’œuvre de Françoise Héritier, mise en scène de Marie Potonet

 

 Le Sel de la vie, d’après l’œuvre de Françoise Héritier, mise en scène de Marie Potonet

L’anthropologue Françoise Héritier (1933-2017) est connue pour son immense et précieux travail scientifique. Grâce à Marie Potonet et à l’actrice Florence Payros, ce spectacle nous invite dans un tout autre univers : «C’est une fantaisie, née au fil de la plume, de l’inspiration», premiers mots de ce récit. Une histoire singulière inspirée par : »Quelqu’un que j’aime beaucoup, le professeur Jean-Charles Piette. (…) Une carte postale d’Ecosse. (…) Une semaine « volée » de vacances (…) ». Un  véritable pas de côté  dans le parcours intellectuel et littéraire de Françoise Héritier.

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A partir de choses simples ou plus surprenantes -les multiples facettes de l’existence- l’auteure ouvre la porte à l’imaginaire et à l’émerveillement. Ce spectacle hors du commun peut avoir lieu à l’intérieur ou à l’extérieur,  et nous sommes conviés à l’écoute et à la contemplation d’un véritable tableau vivant. Poétique, en rythme et sons, la sobre mise en scène et l’interprétation sensuelle et délicate, de Florence Payros,  nous saisissent d’étonnement, de joie et d’une douce tristesse.  Le tragique n’est pas loin mais seulement ainsi la beauté de l’existence et sa magie peuvent être au rendez-vous.

Remarquable énumération de ces instants saisis à la volée qui touchent notre cœur et notre conscience. Subtilité et densité de l’écriture, si vivante, impertinente parfois,  rêveuse ou tranchante: «Être imperméable à la perfidie de certains propos», «Suivre le vol d’une seule hirondelle au milieu des autres», «Donner solennellement du Monsieur à un adolescent», «S’attrister parce que les galets perdent leurs belles couleurs en séchant »…sans oublier la réalisation d’une tarte aux pommes: un délice offert au public, à la fin de la représentation.  Ici, la parole littéraire du poème laisse jaillir une théâtralité inattendue. Une invitation à une pure danse des mots… Florence Payros, avec sa voix, ses gestes sensibles, la grâce de son corps, donne vie à l’écriture de Françoise Héritier sans aucun pathos, avec intelligence et émotion.

Le public, dans un silence absolu, reçoit dans toute sa plénitude cet hymne à la vie.  Aucune naïveté ni mièvrerie au cœur de cette suite d’images et de sensations. La beauté et la sensualité de ces moments furtifs, à la fois taquins ou émouvants, dans une langue simple et juste, laissent advenir à travers le jeu  plein d’esprit de l’actrice, entre fragilité et force : « Ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie ». Et qui, souvent nous échappe dans notre course effrénée vers la  consommation.. C’est aussi, en effet, une réflexion sur le temps ou comment ne pas le laisser s’échapper, en se projetant sans cesse dans l’avenir ou/et les illusions. Soudain, au fil des phrases, les pensées des Essais de Montaigne (XVIè.s.), nous font signe. Comme un rappel salutaire: la richesse du temps dans toute sa profondeur va de pair avec toutes les expériences de la vie.  Ici et maintenant ! Nous sommes là, un siècle plus tard, loin de celles d’un autre grand penseur, Pascal (XVIIè.s.) pour qui le bonheur ne pouvait pas exister en ce bas monde mais, seulement dans l’au-delà. 

Ce spectacle jouissif et sensible et la mise en scène de Marie Potonet offrent au texte, la possibilité de découvrir une démarche intellectuelle et un mode de vie. Une nouvelle couleur donnée à cette « Fantaisie », belle ouverture et révérence à l’existence ! En ces temps d’inquiétude, merci à Françoise Héritier et bravo aux artistes de la Compagnie pour 9 muses !

Elisabeth Naud

Spectacle vu le 25 mars, à la Mairie du XVIII ème, Paris. 

 Le 1er avril, La Trockette , Paris.

Le 7 avril, Galerie W, Paris.

Contact: Alexandre Gilbert:  06.89.34.97.69 
 

 

 

Le texte a été publié aux éditions Odile Jacob (2012).

 


Archive pour 30 mars, 2022

Les Étrangers, texte et mise en scène de Clément Bondu

Les Étrangers, texte et mise en scène de Clément Bondu

Appelons-le Paul, cet «anti-héros» contemporain (mais dans la lignée d’un Frédéric Moreau de l’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert en panne d’écriture). Il ira, d’une France paresseuse jusqu’à Naples, Berlin, pour finir à Tanger, en quête de son ami Ismaël mystérieusement disparu. «Je m’appelle Ismaël» ou «On m’appelle Ismaël»: le choix du prénom du personnage nous mène droit à Moby Dick d’Herman Melville, (1819-1891), autant dire à l’emblème de la littérature même. Ce qui, au théâtre, n’est pas toujours un compliment… Un défi pourtant tenu et Clément Bondu n’a pas hésité à adapter Les Etrangers, en revendiquant l’écriture romanesque et en assumant crânement le passé simple. Et nous savons que le récit fait les grandes heures du théâtre, comme du roman.

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Celui de ce voyage est ajusté au temps de la représentation. Pas de scénographie illustrative et il y a un bon moment que les didascalies descriptives n’existent plus, au théâtre et même dans les fictions. Ici, des châssis blancs glissent, s’écartent, s’alignent pour former des aires de jeu et le temps de quelques scènes, des éléments de décor figurent une chambre d‘étudiant et de rencontres amoureuses.
Des cartons de cinéma avec dates et lieux accélèrent le rythme pour laisser toute leur place aux récits de Paul, Marianne ou Aurore, les premières amoureuses et cela fonctionne très bien. Le choix des interprètes est tout aussi juste: Mathieu Perotto (Paul) plus ouvertement comédien,se permet en narrateur pris au jeu, quelques effets. Les jeunes femmes que jouent Lisa Kramarz et Mona Chaïbi collent parfaitement à leur fraîcheur naturelle et à leur énergie, et cela sonne juste. Comme le beau récit, habité, d’une rencontre artistique.

Tout va bien jusqu’au moment où le récit de cette quête s’épuise. Peut-être son objet manque-t-il de consistance et n’en sait-on pas assez sur ce mystérieux Ismaël pour s’intéresser à lui, pour que son absence le grandisse, derrière l’ego de Paul. Peut-être le livre ne renouvelle-t-il pas assez les mythologies du voyage, l’équivalent du «grand tour» des siècles passés.  Berlin et Tanger ont acquis au début du vingtième siècle, leur statut de villes-étapes d’une jeunesse en mal d’enivrements et désenchantements. Est-ce un passage sans doute obligé pour chaque génération ? D’où un sentiment de lassitude et le dernier récit d’une belle actrice russe (Vanessa Fonte) à Tanger paraît attendu et académique. Se méfier de Tanger, ville-frontière, passage où l’on ne passe pas, attente sans horizon  autre que l’autre rive du détroit, fond d’écran de toute une littérature… (Ici, le terme n’est pas un compliment).

Un ouvrage de belle qualité, à la réalisation bien pensée, comme celle des tableaux autrefois dignes de concourir aux prix de Rome. C’est déjà un bon signe de maturité et un vrai respect pour le théâtre et les acteurs. Mais nous aurions envie d’arriver à l’étape suivante de cette quête où l’auteur-metteur en scène prendrait de vrais risques. En se coltinant le monde réel avec ses contradictions (et que nous en venions aussi  à nous colleter avec lui…).

Christine Friedel

Jusqu’au 31 mars, Théâtre de la Cité internationale, 31 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème). T. : 01 43 13 50 50.

Le 24 mai ,à Auch (Gers), dans le cadre du C.I.R.C.A.

Du 2 au 12 juin, Théâtre des Célestins (Lyon).

Et le 26 novembre, L’Astrada, Marciac (Gers).

Le roman de Clément Bondu est publié aux éditions Allia (2021).

 

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