Les Étrangers, texte et mise en scène de Clément Bondu

Les Étrangers, texte et mise en scène de Clément Bondu

Appelons-le Paul, cet «anti-héros» contemporain (mais dans la lignée d’un Frédéric Moreau de l’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert en panne d’écriture). Il ira, d’une France paresseuse jusqu’à Naples, Berlin, pour finir à Tanger, en quête de son ami Ismaël mystérieusement disparu. «Je m’appelle Ismaël» ou «On m’appelle Ismaël»: le choix du prénom du personnage nous mène droit à Moby Dick d’Herman Melville, (1819-1891), autant dire à l’emblème de la littérature même. Ce qui, au théâtre, n’est pas toujours un compliment… Un défi pourtant tenu et Clément Bondu n’a pas hésité à adapter Les Etrangers, en revendiquant l’écriture romanesque et en assumant crânement le passé simple. Et nous savons que le récit fait les grandes heures du théâtre, comme du roman.

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Celui de ce voyage est ajusté au temps de la représentation. Pas de scénographie illustrative et il y a un bon moment que les didascalies descriptives n’existent plus, au théâtre et même dans les fictions. Ici, des châssis blancs glissent, s’écartent, s’alignent pour former des aires de jeu et le temps de quelques scènes, des éléments de décor figurent une chambre d‘étudiant et de rencontres amoureuses.
Des cartons de cinéma avec dates et lieux accélèrent le rythme pour laisser toute leur place aux récits de Paul, Marianne ou Aurore, les premières amoureuses et cela fonctionne très bien. Le choix des interprètes est tout aussi juste: Mathieu Perotto (Paul) plus ouvertement comédien,se permet en narrateur pris au jeu, quelques effets. Les jeunes femmes que jouent Lisa Kramarz et Mona Chaïbi collent parfaitement à leur fraîcheur naturelle et à leur énergie, et cela sonne juste. Comme le beau récit, habité, d’une rencontre artistique.

Tout va bien jusqu’au moment où le récit de cette quête s’épuise. Peut-être son objet manque-t-il de consistance et n’en sait-on pas assez sur ce mystérieux Ismaël pour s’intéresser à lui, pour que son absence le grandisse, derrière l’ego de Paul. Peut-être le livre ne renouvelle-t-il pas assez les mythologies du voyage, l’équivalent du «grand tour» des siècles passés.  Berlin et Tanger ont acquis au début du vingtième siècle, leur statut de villes-étapes d’une jeunesse en mal d’enivrements et désenchantements. Est-ce un passage sans doute obligé pour chaque génération ? D’où un sentiment de lassitude et le dernier récit d’une belle actrice russe (Vanessa Fonte) à Tanger paraît attendu et académique. Se méfier de Tanger, ville-frontière, passage où l’on ne passe pas, attente sans horizon  autre que l’autre rive du détroit, fond d’écran de toute une littérature… (Ici, le terme n’est pas un compliment).

Un ouvrage de belle qualité, à la réalisation bien pensée, comme celle des tableaux autrefois dignes de concourir aux prix de Rome. C’est déjà un bon signe de maturité et un vrai respect pour le théâtre et les acteurs. Mais nous aurions envie d’arriver à l’étape suivante de cette quête où l’auteur-metteur en scène prendrait de vrais risques. En se coltinant le monde réel avec ses contradictions (et que nous en venions aussi  à nous colleter avec lui…).

Christine Friedel

Jusqu’au 31 mars, Théâtre de la Cité internationale, 31 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème). T. : 01 43 13 50 50.

Le 24 mai ,à Auch (Gers), dans le cadre du C.I.R.C.A.

Du 2 au 12 juin, Théâtre des Célestins (Lyon).

Et le 26 novembre, L’Astrada, Marciac (Gers).

Le roman de Clément Bondu est publié aux éditions Allia (2021).

 

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