2 h 32 de Gwendoline Soublin mise en scène de Guillaume Lecamus

2 h 32 de Gwendoline Soublin mise en scène de Guillaume Lecamus

2H32 Filage- 082 copie

© Roland Baduel

« Elle court, elle court Zenash. Elle se lève très tôt le matin, enfile ses baskets avant d’aller faire des ménages  dans un hôtel et, sitôt le boulot fini, elle court, encore, marathonne tout le temps. » Zenash Gezmu, une jeune Ethiopienne, vise la victoire au marathon de Paris : boucler les 42,195 kilomètres en deux heures trente-deux ! Mais, hélas, elle n’y parviendra jamais! Fauchée en plein élan, assassinée chez elle à vingt-sept ans par malfrat qui passait par là. Gwendoline Soublin s’est emparée, à la demande du metteur en scène, de ce fait divers et a écrit une fiction poétique pour marionnettes, où elle montre le courage de celle qui, depuis l’enfance, poursuivait un rêve.  Un rêve contagieux qui va, ironiquement, contaminer toute une communauté de coureurs forcenés…

Zenash Gesnu, représentée ici par une sculpture en carton articulée, manipulée par deux comédiennes, se dédouble en une statuette fixe, toute à sa course. Norbert Choquet a choisi ce matériau en résonance avec la force vitale de la sportive. Le corps nu de la marionnette semble prendre vie grâce aux mots de l’autrice et la performance sportive de Sabrina Manach. Remarquable athlète, la comédienne  court sur place sans s’essouffler, l’équivalent de quatre kilomètres  à 12 km/h… Candice Picaud, sa partenaire,  partage avec elle le texte de la pièce tantôt adressé à Zenash par un « Tu » familier et affectueux, tantôt sous forme de récit. L’énergie des actrices se transmet aussi aux multiples figurines qui, dans la deuxième partie du spectacle, entament un marathon sans fin. Une foule de coureurs anonymes en folie où l’auteure distingue, en trois mots cinglants, quelques individus-types. Une drôle de bande qui court à sa perte… Cette fin surréaliste et inattendue nous emmène loin de la tragédie de Zenash Gesnu : un «tombeau»-hommage à cette femme pugnace…

Le metteur en scène choisit, paradoxalement, des marionnettes statiques aux expressions neutres pour explorer des thèmes comme l’endurance sportive et la vitalité du corps. Il les fait ainsi vivre grâce au texte, au jeu et à l’univers sonore créés par Thomas Carpentier. Mais quelquefois les mots et les actrices prennent le pas sur ces figurines, surtout au début. Les phrases syncopées de Gwendoline Soublin sont pour les interprètes une sorte de jeu par délégation, «un parler pour» selon François Lazaro avec lequel Guillaume Lecamus fit son apprentissage de marionnettiste.

Avec sa compagnie, le Morbus théâtre, il donne la primeur aux auteurs contemporains, le texte étant le moteur de ses spectacles : 2 h 32 est le pendant de 54 x 13 de Jean-Bernard Pouy, ( voir Le Théâtre du Blog), repris en mars dans ce même théâtre et qui met scène un cycliste du peloton.

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 20 mars, Le Mouffetard, Théâtre des Arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris (V ème). T. 01 84 79 44 44.

Le 21 mai, festival les Echappées, La Chambre d’eau-en-Avesnois, Le Favril (Nord) ; le 27 mai, Médiathèque des Mureaux (Yvelines).

Les 15 et 16 mars 2023, Théâtre à la Coque, Hennebont (Morbihan); le 21 mars, Théâtre du Passage, Fécamp (Seine-Maritime) et le 23 ou 24 mars, Le Sablier, Ifs (Calvados).

 


Archive pour mars, 2022

Spécial Ukraine Au Bonheur des lettres, une soirée au bénéfice de Bibliothèques Sans Frontières et de ses actions pour l’Ukraine|

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Spécial UKRAINE

« La guerre s’installe dans la vie des Ukrainiens et chacun commence à composer avec cet état de fait a récemment, dit Vanessa Descouraux, envoyée spéciale de France-Inter. Pour les artistes ukrainiens, la situation est particulièrement compliquée. Dans le milieu du théâtre et de la danse, il y a ceux comme le Kiyv City Ballet et le Grand Ballet de Kiev qui ont pu trouver refuge en France, au théâtre du Châtelet et au Théâtre des Champs-Elysées, car ils étaient en tournée au moment de l’invasion russe. Et puis il y a ceux dont les troupes se trouvent toujours en Ukraine. Ces derniers n’ont d’autre choix que d’aller au combat (pour les hommes entre dix-huit et soixante ans) ou vivre à l’abri, sans possibilité de se produire dans les théâtres puisque la vie est à l’arrêt forcé. »

Nos amis ukrainiens dont Oleg Spripka, auteur-compositeur de folk, variétés et rock (cinquante-sept ans) qui est à Kiev avec toute sa famille, nous demandent une aide à la fois matérielle et morale. « Il est  important… de montrer ici que les Européens nous soutiennent…cela donnera une grande motivation aux gens. De petites sommes suffisent:  5, 10 euros. »

https://bank.gov.ua/en/news/all/natsionalniy-bank-vidkriv-spetsrahunok-dlya-zboru-koshtiv-na-potrebi-armiyi  Et envoyer le reçu de votre soutien à OlegSkripka ckpinka@ukr.net
Faites vite circuler cette annonce.

Au Bonheur des lettres, une soirée au bénéfice de Bibliothèques Sans Frontières et de ses actions pour l’Ukraine

Dans un des plus anciens théâtre parisiens (1781), sera bientôt donnée une lecture-spectacle avec Virginie Ledoyen, Charles Berling, Frédéric Beigbeder, Dani, Zabou Breitman, Olivia Ruiz, Vincent Dedienne, Dorothée Gilbert, Antoine Leiris, Bertrand Belin…
A
utour de correspondances mythiques de la littérature. Comme Simone de Beauvoir et Virginia Woolf, Albert Camus et Frida Kahlo, Mozart et Leonard Cohen, Marcel Proust et Nick Cave, auteurs de lettres originales ou farfelues, émouvantes ou drôles, pleines de fantaisie ou de colère.

Lundi 28 mars, Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 Boulevard Saint-Martin, Paris ( X ème). T. : 01 42 08 00 32.

Les Irresponsables, d’après Die Schuldlosen d’Hermann Broch, traduction d’Irène Bonnaud, adaptation et mise en scène d’Aurélia Guillet

THEATRE - LES IRRESPONSABLES

Pierric Plathier et Marie Piemontese © Juliette Parisot

Les Irresponsables, d’après Die Schuldlosen d’Hermann Broch, traduction d’Irène Bonnaud, adaptation et mise en scène d’Aurélia Guillet

 Pour replacer dans son contexte romanesque, le fameux récit de la servante Zerline, la metteuse en scène a réalisé un montage d’après la version française des Irresponsables dont ce monologue est extrait. Puis elle a demandé à Irène Bonnaud de traduire quarante pages de cette œuvre monumentale et composite qui retrace l’itinéraire de A. (Andreas), le narrateur, dans une bourgade allemande de l’entre-deux-guerres où se profile le nazisme.

Un douloureux chemin pour le héros qui va le mener d’une apathie irresponsable où, grâce à un «destin» favorable, la fortune lui sourit, à la prise de conscience aigüe, après un drame amoureux, de la responsabilité de chacun dans les événements traumatiques, qu’ils soient personnels ou collectifs. Dont l’apocalypse qui se prépare en 1923, date où se situe le roman, mais qui a eu lieu  quand, en 1949, Hermann Broch écrit Die Schuldlosen, littéralement : les « sans faute », ceux qui s’en lavent les mains… « Mille neuf cent vingt trois, pourquoi il faut que t’écrives ça ? Pour rendre compte de tout ce que nous n’avons pas fait », dit une voix off, dans un prologue tandis que sont projetés, sur le rideau d’avant-scène, des films d’archives de guerres, déroutes et rassemblements populaires drapeaux de croix gammés au vent… La montée du nazisme, un thème qui parcourt toute l’œuvre de l’auteur autrichien depuis sa trilogie Les Somnanbules, à Théorie de la folie, un essai où il étudie ce qui a mené plusieurs milliers d’individus à adhérer à un régime totalitaire et où il parle de «somnolence animale, presque végétative». La scénographie, avec des projections sur plusieurs écrans, dans un décor épuré où trônent quelques meubles houssés de blanc, nimbe la représentation d’une atmosphère fantomatique et nous plonge au coeur de  cette fiction labyrinthique. 

 Dans une première partie, l’adaptation se focalise sur la confession de Zerline : «l’une des plus belles histoires d’amour en langue allemande», selon Hannah Arendt. La vieille servante raconte à A. le locataire de la Baronne, comment elle s’est trouvée mêlée à un sombre crime passionnel, après avoir séduit l’amant de sa patronne, un homme à femmes et père biologique d’Hildegarde, la fille de la maison. Pas facile d’incarner cette servante machiavélique après Jeanne Moreau, dont l’interprétation sulfureuse est restée dans les annales, et qu’avait mise en scène en 1986 Klaus Michael Grüber, aux Bouffes du Nord à Paris. Le metteur en scène allemand avait braqué le projecteur sur ce personnage aux passions refoulées et plein de contradictions, laissant son interlocuteur (Hanns Zischler) l’écouter sans mot dire. Ici A. intervient, mais distraitement, tout à sa sieste. Maria Piemontese, elle, reste au ras du récit, sans que les mots ne la traversent charnellement et des images vidéo bucoliques sur un écran derrière elle se chargent de poétiser une aventure sexuelle plutôt sordide. Par cette interprétation décalée, sèche et cérébrale, l’actrice incarne avec distance cette femme pétrie à la fois de passion et de haine envers l’homme qui s’est joué d’elle et de ses patronnes, hypocrites et dévergondées « aux mains manucurées ». Araignée noire qui tisse la toile de sa revanche.

Cette haine la pousse à mettre la douce Melitta aux mains de lavandière, dans le lit d’Andreas, la fille d’un apiculteur misanthrope. Hildegarde, jalouse à l’idée qu’Andreas se marie, lui saute dessus dans un corps-à-corps torride, d’un érotisme sadomasochiste. Elle se dit animée de pulsions morbides pour le fascisme: «Un guide qui nous emmène au royaume de la mort… voilà ce qu’il nous faut à tous… Vous n’êtes pas un tel chef. »

Parmi les figures imaginées par Hermann Broch, Aurélia Guillet a choisi de mettre sur scène seulement trois personnages : Andreas, Zerline et Hildegarde. Elle présente Melitta et son père dans un film de dix minutes, projeté après l’entracte, tiré d’un chapitre des Irresponsables: « La Ballade de l’éleveur d’abeilles ». Miglen Mitchev y joue un artisan ruiné,  veuf et solitaire, devenu philosophe en observant la beauté et la pureté de la nature, et porteur d’une idéologie rousseauiste : «Quand il traversait la campagne en chantant, il n’était pas vulnérable à la vie, il n’était pas vulnérable aux abeilles, il n’était pas vulnérable à la mort.» Melitta apparaît en jeune fille innocente jetée en pâture à une société corrompue.

L’adaptation distingue deux parties contrastées : l’une construite dans la cohérence du récit de Zerline, l’autre qui répond à la nature fragmentaire des Irresponsables, oeuvre puzzle d’une grande modernité, où se mêlent narration, poésie, romanesque. La Ballade de l’éleveur d’abeilles nous entraîne loin du théâtre et nous avons du mal à entrer ensuite dans le dialogue entre une Hildegarde féroce (Adeline Guillot) et un Andreas manipulable et assez lamentable. Pierric Plathier reste habilement à distance de cet Andreas qui sortira de sa passivité en apprenant le sort funeste de sa fiancée… Et son dernier monologue est celui d’un lanceur d’alerte qui résonne étrangement aujourd’hui. 

 Comment tirer le fil de ce spectacle complexe où la metteuse en scène essaye, non de résumer ce qui ne peut l’être, mais de présenter les moments-clefs d’une fiction où le héros, à l’aune de sa tragédie personnelle, bascule d’un état crépusculaire à la conscience de la faute, intime et collective. Certains spectateurs seront déroutés par cette mise en scène mais nous ne pouvons  rester indifférents au message. Et même s’il y a déséquilibre entre la première partie -un peu trop longue- et la deuxième, plus ramassée, la traduction d’Irène Bonnaud transforme ce texte littéraire en matière théâtrale et donne envie d’aller plus loin dans la découverte de cet auteur et de ses étranges Irresponsables.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 19 mars, T.N.P. 8 place Lazare Goujon, Villeurbanne (Rhône). T.: 04 78 03 30 30.

17 mars à 18h 30 : L’Unipop Lyon et le TNP organisent une rencontre en écho à la création Les Irresponsables et en résonance à la guerre en Ukraine: La possibilité du bien en politique. Intervenants : Guillaume Carron, philosophe et dramaturge;  Maksym Teteruk, dramaturge et metteur en scène d’origine ukrainienne. Laura Foulquier, historienne de l’Art.  

 Les Irresponsables, traduction d’Andrée-R. Picard, est publiée chez Gallimard.

 

 

Entre Chien et loup de Christiane Jatahy d’après Dogville de Lars von Trier

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Entre Chien et loup de Christiane Jatahy, d’après Dogville, un film de Lars von Trier

Une histoire humaine et animale, autant entre araignée et mouche, qu’entre chien et loup. Mais on le sait, l’homme est un loup pour l’homme, et l’heure « entre chien et loup », incertaine. Le film montrait la compassion d’une petite communauté villageoise à l’égard d’une fugitive -en faute sûrement, mais digne de pitié – qui se muait peu à peu en méfiance et persécution. Après l’avoir humiliée et réduite en esclavage, le village finissait par livrer l’indésirable à ceux qui la recherchaient. D’où sa vengeance… Lars von Trier a osé filmé cette histoire avec une star, Nicole Kidman, sur un plateau de théâtre et sans autre représentation du village qu’un simple tracé au sol, et en ne mettant en scène que les comportements, individuels et collectifs.

Christiane Jatahy développe ce même mouvement: de l’accueil à l’esclavage, de l’esclavage à l’exclusion. Elle prend son temps dans ce qui ressemble d’abord à une longue séance de dynamique de groupe conduite par Tom, le cinéaste de la bande. Chacun cherche très concrètement à déterminer sa place dans ce groupe humain, oscillant entre le fonctionnement d’une micro-démocratie et celui d’une secte, sans gourou mais avec ses lois non écrites et d’autant plus impératives. Oui, on vote avec générosité pour accueillir Graça (Grace, dans le film) et oui, elle est prête à aider tout un chacun. Mais cela ne va jamais et la jette dans l’engrenage du malaise et de la maladresse. Et elle devra le payer, à tous les sens du terme. Les femmes la mettent à l’épreuve, comme ces adolescentes harcelant celle qu’elles ont choisi comme tête de turc, l’enfant même la tyrannise. Les hommes abusent d’elle et le plus grand abuseur est celui qui dit l’aimer, fragilisant ses défenses. Graça a-t-elle vraiment commis un crime ? Peu importe : les téléphones portables diffusant la rumeur à vitesse éclair ont pris la place des affiches : Wanted, pointant du doigt les hors-la-loi. Arriverons-nous à la vengeance, dans la logique du western ou du roman noir ?

 La metteuse en scène a donné un autre sens au spectacle. Pour elle qui travaille sur le double jeu théâtre-cinéma, Dogville s’imposait. « Comme si les personnages ouvraient la porte du film et sautaient sur le plateau de chaque théâtre où a lieu la représentation, pour s’adresser au vrai public. » L’intervention de la vidéo et du cinéma au théâtre remonte même assez loin, à Tennessee Williams dans La Ménagerie de verre (1944), comme le metteur en scène Jacques Nichet nous l’avait rappelé au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers en 2009. Elle a placé la question et la pratique de ces échanges au centre de son travail et de sa réflexion, et non comme un des éléments possibles ou commodes de la représentation. Ce faisant, elle se place « entre chien et loup », l’image renvoyant au jeu direct, ce qui introduit ici le doute, ou au moins un questionnement sur le degré de fiction et de réalité . De même, elle insiste pour que les comédiens aient conscience de leur place, à l’intersection de leur personnage et de leur personne. « Ils ne sont pas neutres sur, scène, ils ont une responsabilité. Ainsi, ce ne sont pas des comédiens en train de sortir du jeu, mais des personnages en train d’essayer de sortir de l’histoire de leur vie. Cela rend les choses d’autant plus difficiles, violentes et douloureuses, mais aussi plus proches: il s’agit d’une certaine manière de jouer sur ce qu’on est profondément en tant qu’humanité. » Elle prend le pari de mettre en avant ce que le théâtre vivant ose rarement : arrêter la pièce, se demander « et si on changeait ?». Ce qui se déroule n’est pas inéluctable, et le comédien est maître de sa décision, de cette transgression des lois de la représentation. Cela rend le spectacle à la fois plus fragile et plus fort.

Julia Bernat, l’intruse,  » l’araignée qui se débat dans sa propre toile », est pour l’autrice-metteuse en scène non son actrice fétiche, mais celle qui parle sur scène la langue qu’elle a besoin d’entendre, celle de son Brésil aux prises une fois encore avec le fascisme. Déjà son arrivée (celle de Graça) faisait basculer progressivement la très longue séquence de mise en place du groupe vers une tragédie insidieuse (des spectateurs n’ont pas eu la patience de regarder se développer l’affaire).
Mais peu à peu la violence larvée et la pression montent : le personnage et l’actrice arrêtent alors le jeu, pour interroger acteurs et public sur la suite et le sens à donner à cette histoire. Et loin de casser l’émotion, cette interpellation même, cette respiration nécessaire permet de la ressentir.

Drôle d’objet que ce théâtre-cinéma. Cette fois, l’imbrication est totale, puisqu’elle se glisse dans le parcours même des personnages. Tom, censé être amoureux de Graça, l’emprisonne et la piège en direct dans ses images. Les scènes préenregistrées, montées en continu avec le tournage en direct ne jouent pas seulement leur rôle d’illustration dans le récit, mais mettent en question le regard. Ici, le cinéma n’a plus seulement pour fonction de prêter au théâtre ce qu’il ne peut donner lui-même : les gros plans où le public est censé lire l’âme des personnages (ou de ceux qui les portent). Le media est le message disait Mac Luhan: on ne filme pas, on ne joue pas innocemment. Christiane Jatahy avait monté à la Comédie-Française La Règle du jeu, d’après (déjà) le film de Jean Renoir. Elle poursuit dans cette logique et« embobine » (au sens cinématographique) le spectateur jusqu’au moment où il fait partie de l’action, sans avoir à intervenir, simplement pour avoir suivi le développement du fascisme jusqu’à l’effet de réel produit par l’arrêt volontaire, affirmé, du processus destructeur. Dit ainsi -mais comment le dire autrement ?- cela paraît abstrait et purement intellectuel. Mais dans le temps de la représentation, c’est vécu. Entre Chien et loup sort du discours, sort du théâtre pour nous mener vers une émotion sérieuse, née de l’intelligence de la situation et du sentiment progressif d’une solidarité réelle, concrète, entre « eux» et «nous». C’est la règle du jeu.

Christine Friedel

Jusqu’au 1er avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, 32 boulevard Berthier, Paris ( XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

Les 5 et 6 mai, Scènes du Golfe, Vannes (Morbihan) et du 18 au 20 mai, Piccolo Teatro de Milan (Italie).

Les 3 et 4 juin, De Singel, Anvers (Belgique); les 27 et 28 juin, Greek Festival d’Athènes (Grèce).

Du 13 au 21 octobre, Théâtre National de Bretagne (Île-et-Villaine).

Les 9 et 10 novembre, Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy (Savoie) et du 25 au 27 novembre, Centro Dramatico Nacional de Madrid (Espagne).

 

Le Jeu des ombres de Valère Novarina, mise en scène de Jean Bellorini

Le Jeu des ombres de Valère Novarina, mise en scène de Jean Bellorini

 

Cela commence par un bruit d’explosions, le hurlement de sirènes et une voix off qui rappelle : « Il y a trois semaines encore, des gens pouvaient aller librement au théâtre, écouter de la musique, voir des expositions. Et d’un coup, tout s’est arrêté.  » Message efficace reçu aussi sec par le public : ici, nous avons encore ce privilège….

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Le spectacle avait été créé au festival d’Avignon version hivernale. Une commande de Jean Bellorini, directeur du T.N.P. à Valère Novarina, avec  un texte autour du mythe d’Orphée et Eurydice, si souvent traité au théâtre mais aussi à l’opéra et au cinéma. C’est une adaptation de ce long texte (plus de deux-cent soixante pages!) où il y a forcément des à-coups et des longueurs. Règnent ici l’excès verbal, les solos ou textes qui ne font pas partie d’un vrai dialogue et ne répondent à aucune attente.

Et les personnages entrent et sortent seul ou groupe. Parfois même une tête surgit d’une trappe. C’est dit et chanté à la perfection par les acteurs et les musiciens: piano, accordéon, synthé, batterie, et le violoncelle soutenant le chant des personnages : le fameux continuo ou  basse continue.

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Et il y a la voix -souvent en solo- des interprètes de l’Orféo de Claudio Monteverdi avec sur-titrage et celle merveilleuse de Laurence Mayor, une des actrices fétiches de Novarina disant magnifiquement quelques vers des Métamorphoses d’Ovide qui ont inspiré le livret. Les autres acteurs jouent une galerie de curieux personnages qui se définissent autant par leur morphologie: de grands maigres, d’autres assez « enveloppés», que par leurs costumes baroques comme ces pantalons aux couleurs vives ou ces longues robes blanches imaginés par Macha Makeieff. Et ils disent cette inimitable sarabande de mots avec une précision et une intelligence de la langue absolument étonnantes. Comme si cela allait de soit, entre autres,  d’énumérer ces longues listes de noms. Alors que cela représente un long travail à la fois pour l’acteur et pour le metteur en scène chargé de faire régner sur le plateau un certain ordre dans ce torrent aussi fascinant que difficile à maîtriser. Et avec la langue de Valère Novarina, on n’a pas droit à l’erreur mais Jean Bellorini sait faire cela admirablement.

Le spectacle, bien rodé, ne souffre d’aucune défaillance. Rythme, son, lumière : tout ici participe de l’excellence et les images souvent encore une fois, de toute beauté, comme cette rampe de feu à la fin qui s’éteindra avec le spectacle. Savoureuse mais sans doute une des dernières que nous verrons, puisque les choses gazières ne sont pas prêtes de s’arranger…
Ce qui frappe d’abord, est la beauté des images scéniques avec des pianos à queue, les uns en état de marche, les autres comme des ombres justement… C’est parfois un peu long surtout au début et  il y a de fausses fins mais la plupart des moments sont d’une intense poésie visuelle et verbale et quel régal d’entendre à la fois les chants de Monteverdi et  les mots de Valère Novarina qui se conjuguent.
Et il y a ce morceau d’anthologie avec la définition de Dieu par tous ces écrivains et penseurs français ou européens. (Un bel exercice pour les élèves d’écoles de théâtre) : «Dans notre langue, dit un homme à Orphée (si tu veux bien, comme les Latins, ne pas distinguer le u du v) ,il y a a un anagramme du mot DIEU, c’est le mot VIDE. Dans toutes nos phrases, Dieu est un vide, un mot en silence, un trou d’air, un appel qui permet à l’esprit de reprendre souffle ».
Suit une liste de définitions de Dieu avec en vrac parmi des dizaines d’autres, celle de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »  Et aussi d’Epicure (non de Dieu mais des Dieux) : «Incorruptibles : ils ne craignent ni le temps, ni les blessures, ni les maladies, ni la mort. Ils n’ont aucune raison d’être malheureux. » celle du Coran, de Voltaire, Nietszche avec son fameux « Dieu est mort » dans Le Gai Savoir, ou la non moins fameuse signée Dostoïevski :« Si Dieu n’existe pas, tout est permis » dans Les Frères Karamazov. Et il avait ajouté « Ce n’est pas Dieu que je n’accepte pas, je n’accepte pas le monde qu’il a créé ». Mais aussi la définition de Jacques Lacan : « Dieu n’est rien d’autre que ce qui fait qu’à partir du langage, il ne saurait s’établir de rapport entre sexués. »  Ou encore celles d’Arthur Rimbaud, Charles, Baudelaire, Mallarmé, Serge Gainsbourg… Et à la fin, Orphée seul dans un bois, voit onze cent onze oiseaux,  un chiffre magique selon l’auteur.  Comme «la limnote, la fuge, l’hypille, le ventisque, le lure, le figile, le lepandre, le ramble, l’entrève… »

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Le spectacle, bien rodé, ne souffre d’aucune défaillance : rythme, son, lumière : tout ici participe de l’excellence et les images souvent encore une fois, de toute beauté, comme entre autres cette rampe de feu qui clôt le spectacle. Savoureuse mais sans doute la dernière que nous verrons, si les choses gazières ne s’arrangent pas… Alors autant en profiter. Le texte n’est pas une œuvre majeure de l’œuvre du meilleur poète et dramaturge que nous ayons en France mais Jean Bellorini a su en tirer les plus belles pépites. Et si vous ne le connaissez pas, ou pas bien, cela vaut le coup d’aller voir cette œuvre hors-normes. Un rendez-vous avec la beauté, les merveilles du langage novarinien et la musique de Monteverdi vous attend aux Gémeaux, si vous habitez Sceaux ou les environs. Ou si vous ne craignez pas les retours pas si fréquents en RER jusqu’à Paris (le spectacle finit à 22 h 45 et il y a dix minutes de marche depuis le théâtre).

Philippe du Vignal


Jusqu’au 20 mars, Les Gémeaux, Sceaux (Hauts-de-Seine)  et du 24 au 26 mars, Le Quai, Angers (Maine-et-Loire).

Du 31 mars au 3 avril, Théâtre de la Criée, Marseille ( Bouches-du-Rhône).

Les 20 et 21 avril, Opéra de Massy ( Hauts-de Seine).

Les 10 et 11 mai, Scène Nationale de Bayonne ( Pyrénées-Atlantiques).

Le 15 juillet, festival de Châteauvallon (Var).

 

Toute l’Histoire de la peinture en moins de deux heures par Hector Olbak

Toute l’Histoire de la peinture en moins de deux heures par Hector Olbak

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On le connait depuis longtemps. Il a, entre autres, écrit un livre sur un mythe Andy Warhol n’est pas un grand artiste et a réalisé en 2007 une série de documentaires pour la série Grand Art sur Arte et pour d’autres chaînes. Et il tient une chronique sur l’art dans Elle. Devant un immense écran impressionnant de quelque 4.000 tableaux, soit toute l’histoire de la peinture… ou presque! Il va passer d’une fresque de Giotto, aux chefs-d’œuvre absolus de la Renaissance italienne, aux peintres flamands, puis au XVIII ème, et enfin à Paul Cézanne… Bien entendu, seul devant quelque huit cent personnes, accompagné à quelques instants d’un violoncelliste et d’une violoniste, il nous emmène voir seulement quelques exemples de tableaux, avec grossissement d’un détail à partir d’un ordinateur, manipulation impeccablement réglée par un technicien qui fait glisser ce grossissement sur l’écran et à l’instant voulu. Le spectacle lui doit beaucoup.

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Un travail d’orfèvre bien rodé et qui met en valeur les domaines picturaux qu’Hector Obalk maîtrise parfaitement, comme l’anatomie, le rendu de l’espace et du temps, les lumières, la texture, le récit. Il aime s’attarder avec humour et pertinence, sur un visage, une main, un coin de paysage dans une fenêtre… Détails presque impossibles à voir autrement que devant le tableau lui-même. Et cet homme passionné en parle bien et jamais au hasard. Il analyse avec jubilation et finesse les visages de La Dormition de la Vierge, une fresque de Giotto (1310): »« Si les premiers tableaux sont sans paysages avec des fonds or,
c’est avant tout parce que les peintres ignoraient encore la perspective qui ne sera découverte qu’à la Renaissance, dans la seconde moitié du siècle suivant…»

  ou la sublime Annonciation avec son ange au premier plan d’un Léonard de vingt-trois ans, un tableau qu’Hector Olbak compare avec La Belle Ferronnière pour montrer l’évolution de ce génie. Et il parle du corps chez Botticelli qu’il assimile un peu méchamment à… du caoutchouc. Le public admire et applaudit à cette brillante leçon d’histoire de l’art.

©x Détail du Chancelier Rollin

©x Détail du Chancelier Rollin

Il avoue ne pas être trop séduit par Fra Angelico mais il choisit des détails qui justifient son propos : ce que les historiens de l’art ont souvent tendance à faire… Il parle aussi avec intelligence entre autres du Corrège. «A la sensualité duvetée de Corrège, dit-il, s’oppose l’érotisme glacé de Bronzino.» Mais aussi de  Michel-Ange et Raphaël, du Caravage, un des peintres qu’il analyse le plus finement, avec L’Amour vainqueur (1601) et de Véronèse.«L’Amour vainqueur, c’est un adolescent qui assoit avec insolence sa beauté prépubère sur les attributs de la science, de la littérature et de la musique…»

©x L'amour vainqueur

©x L’Amour vainqueur

Et du Greco. Hector Obalk vise juste et avec subtilité mais parfois un peu trop vite pour un public peu initié. Quand, entre autres, il parle de l’arrivée de la perspective: mais bon, mieux vaut viser haut. Il respecte -mais on le sent bien- il a moins de passion pour la peinture flamande quand il explique le très fameux ex-voto (66 cms x 62 cms) dit La Vierge du chancelier Rolin de Van Eyck (vers 1435) peint à l’huile sur bois, une «sacra conversazióne» classique du genre, avec la Vierge Marie et l’Enfant accompagnés de personnages de l’époque comme un donateur. Et quand il ne sait pas, il le dit avec humilité comme à propos de ces incroyables lapins en bas d’une colonne (ci-contre).

©x Les Grands arbres au Jas du Bouffan

©x Les Grands arbres au Jas du Bouffan

Il passe sans difficulté au XVIII ème siècle avec des natures mortes entre autres, de Chardin puis au XIX ème siècle avec Paul Cézanne qu’il admire.« Contrairement aux tableaux de Van Gogh, ceux de Cézanne gagnent à être regardés de très près. Il faut repérer tous les traits bleus, rouges, bruns ou verts qui nourrissent la verdure des mauvaises herbes, au pied des arbres.» Il avoue ne pas avoir une très grande passion pour Vincent Van Gogh comme des 2% de gens qui ne l’aiment pas. Et il compare avec un grand savoir-faire, un sous-bois d’un très beau paysage du premier, à un fragment de paysage du second, sans doute peint avec moins de nuances. Mais c’est un peu facile et réducteur de traiter ainsi Vincent van Gogh. Et tiens, si on demandait à Victor Olbak de faire la preuve inverse. C’est sans doute un peu les limites de ce jeu pictural où par ailleurs, excelle cet amoureux du détail et des lointains…
Il n’abordera ni la peinture moderne ni contemporaine qu’il connait aussi, puisqu’il a exposé des peintres comme François Boisrond, Gilles Aillaud, Vincent Bioulès… Et à la toute fin, il développe une idée selon laquelle les peintres contemporains comme Yves Klein ne peuvent avoir d’élèves et que le tableau peint ne renaîtra que grâce aux autodidactes. On veut bien mais comment, il ne nous le dit pas …In fine, il nous présente les toiles non figuratives de Laurence Elbé, une artiste contemporaine, mais assez peu convaincantes. A l’art actuel, cela se sent et c’est son droit, il préfère nettement la peinture figurative, comme, entre autres, chez Lucian Freud.

Après ces fleurs, quelques orties. Pourquoi se faire applaudir si souvent? Pourquoi aussi vouloir faire chic et « moderne» du genre : « C’est pas de la merde, regardez ce truc, vous parlez d’un machin, c’est gentil de ma part, c’est assez épatant ». Ou encore : « On est chez les Flamands, donc ça rigole pas ». Bref, désolé, racolage et cabotinage, même en petite touches, n’apportent rien à ce spectacle par ailleurs vraiment réussi, et cela Hector Olbak aurait pu facilement nous l’épargner. Dans un spectacle comme en peinture, il n’y a pas de détails. Il lui manque, vous l’aurez compris, un metteur en scène et directeur d’acteurs. Mais bon, parler avec intelligence et sensibilité, d’histoire de la peinture en deux heures chrono à un vaste public pour une fois de tout âge, cela exige un sacré travail.  Encore une fois, chapeau ! Et il a été longuement applaudi.

Philippe du Vignal

Spectacle vu au 13 ème Art, Place d’Italie, Paris ( XIII ème). Réservations GRAND-ART.on line

Autre épisode de ce spectacle au Théâtre de l’Atelier, Paris ( XVIII ème).

Exposition de ce mur d’images en quarante ou quatre-vingt modules à la Galerie Sabine Bayasli, 99 rue du Temple, Paris ( III ème). T. : 06 34 29 40 82.

Stallone d’après la nouvelle d’Emmanuèle Bernheim, mise en scène de Fabien Gorgeart

Stallone d’après la nouvelle d’Emmanuèle Bernheim, mise en scène de Fabien Gorgeart

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© Huma Rosentalski

 Rocky 3, l’œil du tigre, histoire d’un champion du monde déchu qui va regagner son titre de poids lourd après s’être ressaisi est une révélation pour Lise et le film va changer son destin. Elle suit l’exemple du boxeur et avec la même pugnacité, reprend ses études de médecine, quitte son petit ami et rompt avec sa famille. Pour mordre la vie à pleines dents, sans manquer un film de Rocky Balboart incarné par Silvester Stallone, mentor imaginaire à qui elle voue une infinie reconnaissance.

 A la lecture de la nouvelle, Clotilde Hesme a proposé au réalisateur Fabien Gorgeart avec qui elle a tourné Diane a les épaules (2017) de la mettre en scène: «Nous partageons, dit le cinéaste, le fait d’avoir été tous les deux très bouleversés par la découverte de Stallone. Vivre intensément la vie d’un personnage, partager son intimité et se faire surprendre par le vertige de sa disparition en un fragment de seconde. Et sur le ton de l’écriture d’Emmanuèle Bernheim, dans la légèreté et l’humour»

Clothilde Hesme partage cette légèreté avec Pascal Sangla. Il a composé une musique dans l’esprit pop des années quatre-vingt et celui d’un tube, bande originale d’Eye of the Tiger. Campée devant son micro, avec l’énergie d’une rock-star, elle donne une épaisseur existentielle à cette Lise naïve et volontariste. Le musicien interprète avec humour au synthétiseur tous les personnages secondaires de cette histoire.

Sous les éclairages subtils de Thomas Veyssière, ils nous donnent un concert de mots et de musique et nous entraînent sans artifice, dans l’univers de cette femme attachante, drôle et battante, jusqu’au bout des épreuves qu’elle traverse avec le courage d’un Rocky… Pour l’actrice, « c’est aussi l’occasion de défendre une figure féminine forte et libre.»

Stallone réhabilite à sa façon le cinéma populaire et son icône bodybuildée, souvent décriée mais qui a séduit des générations d’adolescents et qui devient une pulsion de vie pour Lise.

Ce spectacle vaut le déplacement et continue sa route avec succès : depuis sa création au Théâtre Daniel Sorano à Toulouse en 2019, il a fait salle comble au Petit Saint-Martin à Paris et a reçu des applaudissements debout à Bonlieu-Scène nationale d’Annecy.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 3 mars à Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy, 1 rue Jean Jaurès, Annecy (Haute-Savoie). T. : 04 50 33 44 11.

Les 10 et 11 mars, L’Arc – Le Creusot. Les 15 et 16.mars, Le Grand R, La Roche-sur-Yon (Vendée) ; les 17 mars et 18 mars, La Soufflerie, Rezé (Loire-Atlantique). Le 22 mars, Le Parvis, Tarbes (Hautes-Pyrénées) ; le 24 mars,  Circa Auch (Gers) ; le 29 mars, Théâtre de Bressuire, Bressuire (Deux-Sèvres).

Le 1er  avril , Forum Jacques Prévert,  Carros (Alpes-Maritimes ) et du 4 au 9 avril, La Garance,  Cavaillon (Vaucluse) ; le 10 avril, Théâtre d’Arles (Bouches-du-Rhône)

La nouvelle est publiée aux éditions Gallimard.

 

Somnole, chorégraphie et interprétation de Boris Charmatz

Somnole, chorégraphie et interprétation de Boris Charmatz

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© Marc_Domage

Le chorégraphe sortant de ses grands formats habituels, réalise et interprète son premier solo: «J’aimerais, dit-il, faire un solo somnolant qui s’inspire d’états de latence, pour explorer l’hibernation et sa sortie, les ressacs du rêvassement et les cris du réveil.» Créé en 2020 sur la grande scène de l’Opéra de Lyon, cette pièce d’une heure tient d’une performance, entièrement sifflée et donc suspendue aux lèvres du danseur.  Et où le mouvement émane du souffle-même. Boris Charmatz entre en scène par la salle et avance, fantomatique. Dans la pénombre , il s’étire lentement, rampe, se relève, et tombe, léthargique, sur le plateau gris. Sans qu’on sache ce qui, du sifflement ou du geste, mène la danse…

D’abord monotonale, la mélodie s’élabore. La somnolence se dissipe et les mouvements sont plus marqués, le rythme de plus en plus rapide, et les airs, sifflés jusqu’à bout de souffle. Même hors d’haleine, le danseur explore toute les possibilités sonores de son corps devenu instrument de percussion sous les coups de ses mains contre le thorax ou les cordes vocales et quand il frappe le sol de ses pieds. Enfantin et ludique, il en appelle à la connivence : « Quand j’étais petit, dit-il, je m’entraînais à siffler pour pouvoir ensuite imaginer un concert entier de sifflets». Concert qu’il essaye de diriger, en sollicitant la participation des spectateurs qui s’amusent à siffler avec lui -avec plus ou moins de bonheur- des airs connus, des ritournelles populaires ou des musiques de films comme celles du Bon, la brute et le truand ou d’Il était une fois dans l’Ouest d’Ennio Morricone. Summertime, issu de Porgy and Bess de George Gerswhin, de Stormy Weather d’Harold Arlen. Ou encore Les Feuilles mortes de Joseph Kosma…

Quel plaisir de le voir danser en sifflant le pimpant Voi che sapete des Noces de Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart ou l’inquiétant musique de Dans l’Antre du roi de la montagne de Peer Gynt d’Edvard Grieg, qui annonçait l’assassin dans M Le Maudit de Fritz Lang. Et surgit une vive émotion quand le danseur sort lentement par la salle, en sifflant la fameuse aria Lascia ch’io pianga de Georg-Friedrich Haendel. Ces mélodies génèrent un joyeux mouvement perpétuel, un désir de danser et sauter, jusqu’à épuisement. Et quand le souffle vient à manquer à Boris Charmatz, nous pensons au récent confinement et au: « I can’t breathe » (Je ne peux pas respirer) de George Floyd qui engendra le mouvement Black Lives matter… «Le sifflet convertit le grand, en ténu. Un air d’opéra de Haendel réduit à presque rien, son squelette. C’est comme craquer une allumette : il y a la lumière, la chaleur, mais c’est ténu, ça s’éteint vite et un seul souffle peut l’éteindre. »

Il nous parle de cette fragilité, grâce à la magie d’un corps devenu musique et danse. Considéré comme l’un des chefs de file du mouvement non-danse dans les années quatre-vingt dix, le directeur du Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne et de son Musée de la danse de 2009 à 2018, va, en septembre prochain, diriger le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch pour y développer un nouveau projet entre la France et l’Allemagne. A suivre…

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 4 mars, à Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy, 1 rue Jean Jaurès, Annecy (Haute-Savoie). T. : 04 50 33 44 11.

Du 11 au 12 mars, Triennale di Milano, Milan (Italie) ; du 18 au 19 mars, Sadler’s Well, Londres (Angleterre).

Le 5 avril, Pavillon ADC Genève (Suisse) ; du 26 au 27 avril, Teatro Municipal do Porto, Porto (Portugal) .

Le 10 juin, festival Uzès danse, Uzès (Gard).

Du 6 au 8 juillet, festival de Marseille (Bouches-du-Rhône).

Et du 23 au 24 août, Festival d’Helsinki (Finlande).

 

 

 

Solidarité avec l’Ukraine : Appel pour une alliance des théâtres européens

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Solidarité avec l’Ukraine : Appel pour une alliance des théâtres européens

 
 
Nous appelons aujourd’hui tous les théâtres et lieux de culture en Europe à nous rejoindre dans une nouvelle alliance des théâtres solidaires pour accueillir des artistes, intellectuels et journalistes ukrainiens, afin qu’ils puissent continuer à travailler, à créer et faire entendre leurs voix en toute liberté. Chacun des signataires de cet appel s’engage à accueillir en résidence des troupes en exil, à mettre à leur disposition des espaces de travail et d’expression. Et ainsi donner vie à une nouvelle relation d’échanges avec les artistes et les populations locales.
Le premier acte de cet appel aura lieu demain  mardi 8 mars au Théâtre du Châtelet à Paris. Le Kiyv City Ballet avec ses trente-deux  danseurs en résidence dans ce théâtre depuis le 5 février à la demande de la Maire de Paris, Anne Hidalgo, feront découvrir le travail de cette compagnie.
Nous avons invité la directrice de la danse à l’Opéra national de Paris Aurélie Dupont avec trente de ses danseurs dont l’étoile Paul Marque et le directeur du Ballet du Rhin Bruno Bouché  à se joindre à nous pour cette soirée de fraternité artistique, que nous construisons ensemble.
En Europe, les théâtres et festivals qui ont répondu à cet appel et s’engagent dans cette nouvelle alliance sont :
le Teatro Della Pergola de Florence, 
le Theatre municipal Rivoli de Porto,
le Theatre national Dona Maria II de Lisbonne, 
le festival grec de Barcelone,
le festival Julidans  ITA d’Amsterdam et le réseau BIG PULSE, 
le Kampnagel de Hambourg,
Et le Stegi à Athènes.
 
Par ailleurs, nous avons lancé un appel à tous les ballets de France, notamment ceux de Mulhouse, Marseille, Nancy, Lyon, Bordeaux, Toulouse et Monte-Carlo, pour qu’ils accueillent aussi le Kiyv City Ballet, dans les jours et semaines à venir.

Emmanuel Demarcy-Mota  et  son équipe

Paris, le 7 mars 2022, Théâtre de la Ville, Espace Cardin,  1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 27 77.

Agir pour l’Ukraine : Le théâtre du Nord prend sa part

Face à l’urgence de la situation en Ukraine et au danger et difficultés réelles auxquelles sont confrontées les populations sur place et en exil, le Théâtre du Nord prend sa part. En mars, les recettes de billetterie de toutes les premières représentations seront intégralement reversées au bénéfice de l’aide d’urgence via la Fondation de Lille.

Le public est nombreux à nous demander comment aider et agir. Vous trouverez ci-dessous des propositions concrètes de soutien organisées par la ville de Lille et la fondation de Lille auxquelles le Théâtre du Nord s’associe et il affirme sa solidarité avec la population ukrainienne et apporte son soutien à toute forme d’opposition à cette agression militaire, y compris au sein de la population russe, également victime de la dictature.

Collecte de fonds:

La population ukrainienne, qu’elle soit en Ukraine, ou qu’elle ait migré vers les pays voisins (Pologne, Hongrie, Roumanie…) a besoin d’aide de nature différente. Il n’est pas souhaitable aujourd’hui de collecter directement des produits alimentaires, des médicaments ou des vêtements. La demande des autorités ukrainiennes va vers une collecte de fonds, pour acheminer au mieux les produits vers les populations réfugiées dans les pays limitrophes et, nous l’espérons après la décision de l’ONU, via des couloirs humanitaires vers la population ukrainienne restée sur place.

Aussi, la Ville de Lille et la Fondation de Lille appellent à une collecte de dons financiers. Ils peuvent être adressés en ligne, sur le site de la Fondation de Lille (www.fondationdelille.org) Chaque don compte.
Plus d’informations sur : https://www.theatredunord.fr/et-plus-encore/agir-pour-lukraine

4, place du Général de Gaulle B.P. 302, 59026 Lille cedex
Administration : 03 20 14 24 00 information@theatredunord.fr www.theatredunord.fr

La Vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français de Julien Campani et Léo Cohen-Paperman, mise en scène de Léo Cohen-Paperman

La Vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français de Julien Campani et Léo Cohen-Paperman, mise en scène de Léo Cohen-Paperman

«Qui est Jacques Chirac ? Se demandent les auteurs. Que cache-t-il sous son masque grotesque, conquérant et populaire? Et en quoi, peut-il nous révéler quelque chose de notre démocratie? » Ce spectacle veut être « une comédie onirique, enquête loufoque, portrait d’un héritage ». En exergue de la pièce: bien vu, une belle réplique tirée du Roi Lear de William Shakespeare: « Raconter des histoires héroïques, Parler avec les pauvres de la vie des puissants Qui triomphent et qui perdent, qui gouvernent et qui tombent Et se moquer de ces papillons d’or fragiles. S’approcher doucement des mystères de l’être. Comme si nous étions les espions de Dieu ! « 

 

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Après un long prologue et une fois disparues deux grandes affiches de campagne, nous sommes dans une petite loge avec le futur président et son chauffeur qui était dans la vie un certain Jean-Claude Laumond. Après s’être fait remercier et avoir été exilé à Nouméa, il a pondu un livre tiré à des milliers d’exemplaires où il dévoilait une partie de la vie très personnelle de celui qu’il conduisit à toute heure du jour et de l’année pendant vingt-cinq ans quand il a été ministre, ensuite député puis maire de Paris et enfin Président de la République. 

En fait il s’agit ici d’une mise en abyme théâtrale, pas vraiment adroite, avec Ludovic Müller, un metteur en scène et acteur, José Corrini un acteur mais aussi les vrais Jean-Claude Laumond, le chauffeur, Jacques Chirac dit Jacky, Pierre Juillet, (1921-1999 son mentor après avoir été conseiller politique de Georges Pompidou puis d’Edouard Balladur. Il y a aussi Charles Pasqua, autrefois jeune résistant de quinze ans devenu puissant homme politique qui avait de solides dossiers sur tout le monde, et donc redoutable. Régnant sur des casinos, entreprises d’armements, etc. Proche des milieux d’extrême droite et de certains dirigeants africains, il aida Jacques Chirac à bâtir sa carrière et fut nommé ministre de l’Intérieur dans le premier gouvernement de cohabitation, quand il fut premier ministre. Mais.. Pasqua fut condamné à dix-huit mois de prison avec sursis dans l’affaire du casino d’Annemasse, pour «faux, financement illégal de campagne et abus de confiance »! Jacques Chirac, lui, fut deux fois premier ministre ( du jamais vu-) mais cette très longue carrière finira mal, avec une condamnation en 2011 dans une des affaires d’emplois fictifs à la Mairie de Paris… Pas vraiment glorieux!  A la toute fin du spectacle,  apparaît Louis XIV, le Roi Soleil.

Il y a d’abord une mise en bouche un peu longuette avec distribution de petits papiers à quelques spectateurs priés d’inscrire un mot quand ils pensent à Chirac. Puis on évoque le jeune Jacques Chirac : «C’est l’été de 1953 et je débarque à Boston. Je suis inscrit à la Summer school of Harvard et pour payer mes repas et ma petite chambre, je travaille dans un Howard Johnson. »  (…)« Mais là, c’est le retour du père Abel qui vient choper son fils Jacky par la peau du cul pour le ramener à Paris, église Sainte-Clothilde. » « Et vous, Jacques Chirac, acceptez-vous de prendre pour épouse Bernadette Chodron de Courcelles, ici présente? (José, à  une spectatrice: « On va faire deux enfants ensemble, Laurence en 58, puis Claude, en 62. Mais on se parle de la scène tout à l’heure ! Puis on rejoue les deux heures du débat télé avec le Secrétaire général du Parti communiste Georges Marchais, en intégralité. Vous jouerez le public du débat, qui est très contrasté. »

L’acte II reprend « la conquête du populaire (1969-1995). « Je suis un homme pressé, je suis un homme qui n’a pas le temps. D’ailleurs si j’avais du temps, j’aurai des passe-temps. Je n’ai pas de passe-temps. Ce n’est pas mon premier débat public, mais je dois reconnaître que c’est le premier qui aura un certain nombre de spectateurs puisque l’ORTF, n’est-ce pas, c’est la télévision, et, par conséquent, ça fait du monde… Georges Marchais est un adversaire redoutable. «  Et Pierre Juillet lui dit : «Vous êtes trop abstrait. L’enjeu de ce débat est à la fois très simple et capital : nous devons conserver notre électorat populaire. Marchais va vous piéger. Il dira que le pouvoir mène depuis dix ans une politique de classe, qui favorise les intérêts des grands groupes capitalistes. Qu’est-ce que vous allez lui répondre? «  C’est sans doute un des meilleurs moments de ce spectacle très inégal où il y a quelques pépites et pas mal de bavardage: ce qui n’a jamais fait une dramaturgie…

On entend ainsi les voix enregistrées de son adversaire: un effet facile mais qui casse le rythme : « On vous présente comme un jeune loup mais vous avez vraiment du retard, Monsieur Chirac… Vous raisonnez comme il y a quarante ans… Et il lui réplique : «  Entendre ça de la bouche d’un léniniste, je trouve que ça ne manque pas de sel… » Mais qui est ce Georges Marchais, doivent se demander les spectateurs qui ont vingt-cinq ans!  Il y a aussi un dialogue assez vulgaire entre un Jacky sniffant de la cocaïne et un Charles Pasqua au solide accent marseillais : » Mais bordel ! Qui t’a foutu ça dans le crâne ? Jacky : On n’a pas le choix. Il faut se distinguer. (…) L’ennemi, c’est la Gauche. Et la Gauche, c’est l’intervention de l’État dans l’économie. Et Charles Pasqua lui assène un: «Mais enfin, qui tu veux convaincre avec un discours aussi débile ? (…) Tu te trompes. Les gens ne sont plus dupes. Ça fait deux ans qu’ils sont au pouvoir. Mitterrand qui applique un programme marxiste, c’est aussi improbable que Mère Teresa qui s’invite dans une partouze. » Et le candidat lui réplique : «Il faut s’adapter à la nouvelle donne. Il faut s’adapter à l’ouverture du marché. »


Il y a aussi quelques moments où entre autres, on entend encore la voix de Jacques Chirac,  très démago et raciste. Un moment d’anthologie et qui, à l’heure des réseaux sociaux, ne passerait plus du tout: « Comment voulez-vous que le travailleur français, qui habite à la Goutte d’Or (…), et qui travaille avec sa femme, et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit, sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec : un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50.000 francs de prestations sociales sans naturellement travailler… Si vous ajoutez à cela… Si vous ajoutez à cela, le bruit, et l’odeur… Eh bien, le travailleur français sur le palier, il devient fou… il devient fou, c’est comme ça, et il faut le comprendre… Et si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n’est pas être raciste que de dire cela. »

A l’acte III (1995–2007) on entend, après avoir vu la vidéo de la  CX du nouveau Président roulant dans Paris, un court extrait de son premier discours: «Les Français, en m’accordant leurs suffrages, ont exprimé une espérance doublée d’une exigence. À moi de ne pas les décevoir. Je suis venu ici – comme je l’avais promis au cours de la campagne qui vient de s’achever – pour tendre la main à la France des territoires. » Et le spectacle finit par un entretien assez musclé entre son chauffeur et Jacques Chirac.
Un spectacle d’abord assez drôle puis décevant,  qui navigue en une heure vingt, entre cabaret politique, comédie de boulevard biographique et un documentaire… qui ne parle pas des affaires pour le moins douteuses auxquelles ce Président a été mêlé de près. Curieux?

Reste un Julien Campani, très brillant, qui tient tout le spectacle. II a réussi à se faire le visage, à imiter parfaitement la voix avec les intonations si particulières et tics gestuels de ce président qui savait être sympathique dans les campagnes dont il connaissait bien les races de vaches. Mais -on l’oublie souvent-  on lui doit aussi les cancers d’un grand nombre de citoyens français gravement malades à vie après les essais nucléaires qu’il avait programmés sans état d’âme. Et son bilan social fut bien maigre. Ce dont ce spectacle se garde bien de parler… Un oubli sans doute?  Souvent facile et très prudent, il nous a laissé sur notre faim ! “Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, « aurait dit Albert Camus. Et c’est aussi vrai quand on parle vie politique au théâtre. Dommage! Les auteurs qui «ont posé la première pierre d’une série Huit Rois, ont l’ambition de faire le portrait théâtral des huit présidents de la cinquième République, de Charles de Gaulle, à Emmanuel Macron. » Mais s’ils sont du même tonneau, ce sera sans nous..

Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 mars, Théâtre de Belleville, 16 Passage Piver, Paris (XI ème). T : 01 48 06 72 34.

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