L’Avare, de Molière, mise en scène de Lilo Baur

L’Avare de Molière, mise en scène de Lilo Baur

 

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Étrange et durable succès pour ce parfait égoïste, un avare qui marchande des prêts à 25% ! Harpagon dont le nom vient d’harpagế: en grec ancien: avidité, rapacité. De Plaute, le modèle latin de Molière, à l’Oncle Picsou qui prend des bains d’or et fait virevolter les dollars dans ses yeux, mystère : le personnage plaît. toujours. Pour son enviable vitalité? Ou pour se venger des riches? Mais la pièce finit bien pour ce personnage qui retrouve sa chère cassette et qui, grâce à un chantage, n’a pas déboursé un sou !

Nous avons connu de belles interprétations historiques dont les metteurs en scène plaçaient la pièce avec Le Bourgeois gentilhomme, L’École des femmes ou Tartuffe, parmi les satires de la bourgeoisie. Molière offrant à Louis XIV et à sa Cour un beau divertissement aux dépens d’une classe montante (l’auteur lui-même en venait), peut-être dangereusement tentée par le Jansénisme et pourquoi pas par la Réforme…
Lilo Baur a une autre vision de la pièce et la situe dans la Suisse des année cinquante. Décor et costumes suggèrent une vie saine et sportive de grands bourgeois aisés devant des montagnes enneigées. Ils ont une piscine -un luxe après la seconde Guerre Mondiale – et aussi un golf. Les jeunes filles sont en petite robe légère et les hommes, en costume au chic décontracté. Les serviteurs ont de vieux vêtements de travail récupérés mais de qualité «d’avant-guerre ». Le metteuse en scène d’origine helvétique qui a travaillé en Europe et au Japon, pointe du doigt sans insistance ni indulgence son pays,, enrichi grâce à sa neutralité, devenu le coffre-fort du monde,

Un fois cette ligne dramaturgique tracée  grâce aux costumes et à la scénographie, Molière peut se mettre à l’aise, et le rire s’épanouir. Pas de lecture sombre et grave de ce personnage, qu’un tic de langage d’aujourd’hui qualifierait de glaçant. Mais tout simplement comique dans la naïveté de sa passion. Laurent Stocker, vieilli pour le rôle, joue avec brio les pères dénaturés. Capable, à la rigueur, de supporter ses grands enfants, pourvu qu’ils ne lui coûtent pas un sou et si possible même, lui rapportent !

Mais quand il prétend épouser la jeune Marianne (il ne va pas rester veuf toute sa vie!), sa maladresse est immense et son désir, bien faible à côté de sa passion pour l’argent, si possible, sonnant et trébuchant. Il a l’esprit vif et une calculette dans la tête et quand l’intrigante Frosine lui vend la sobriété de Marianne comme une rente, il n’est pas question de se laisser prendre à ce leurre. Mais il ne peut dire : donner sans bégayer et son corps le lâche, s’il doit perdre, ou ne pas gagner d’argent : pour lui, c’est aussi grave.

Françoise Gillard, vive et pétillante, interprète la dite Frosine avec la toute petite dose d’amertume nécessaire. Elle encaisse la domination masculine et le mépris de classe d’Harpagon avec le très mince espoir d’avoir un pourcentage… Les jeunes premières ne sont pas idéalisées : Élise Lhomeau (Élise) et Anna Cervinka (Marianne), sont soumises et rebelles à la fois. Et les garçons non plus :Valère (Clément Bresson) est arrogant (seule expression possible de sa noble naissance cachée) et le fils à papa un peu pataud (Jean Chevalier), a les désirs de sa classe mais est un peu pataud! Son père lui a donné ni les moyens financiers, ni l’éducation…
Nicolas Lormeau, lui, s’amuse  à jouer Maître Simon, un courtier en prêts qui met sur les bras de Cléante la fameuse « peau d’un lézard, de trois pieds et demi, remplie de foin; curiosité agréable, pour pendre au plancher d’une chambre ». Pui une Dame Claude façon Mrs Doubtfire, et enfin un commissaire de police à la P’tit Quinquin. Jérôme Pouly (La Flèche) et Serge Bagdassarian (Maître Jacques) mettent leur expérience et leur puissance physique au service de ces valets désabusés, à qui on ne la fait pas. Adrien Simion et Jérémy Berthoud sont les laquais La Merluche et Brindavoine, clowns mal blanchis -la lessive coûte- qui font bien leur boulot. Et à la toute fin, Anselme (Alain Lenglet) résout avec sang-froid toutes les histoires de parenté, naufrages et dot et il clôt avec une sobre élégance cette pièce qui n’a aucune raison de finir, ou alors mal pour les personnages auxquels on s’attache, comme dans Tartuffe.
Roger Planchon, autrefois avait traité la scène avec plus d’attention, considérant qu’avec cet Anselme, « deus ex machina » nous entrions dans un autre théâtre, différent de la comédie bourgeoise et avait fait basculer ce moment plutôt sombre, dans un « grand spectacle » aux couleurs vives. Lilo Baur, elle, s’en est tenue raisonnablement au texte, avec à peine quelques ajustements sur les dépenses vestimentaires de Cléante et une conversion en euros). Et aux personnages joués par cette troupe aussi variée que talentueuse. Nous rions là où Molière a décidé de nous faire rire : «Montre-moi tes mains, les autres… », et nous ne nous en plaindrons pas.

Le plateau est censé reprendre la pente de la salle mais, au parterre, nous avons eu du mal à voir ce qui se passait au ras du sol. Mais nous avions envie de ne rien manquer des bagarres et culbutes de la pièce. Cela mis à part, cet avare nous donne, même si cela lui fait saigner le cœur, une bonne soirée ,qui a été très applaudie. Encore une réussite pour Molière chez lui.

Christine Friedel

Comédie-Française, salle Richelieu, place Colette Paris ( Ier) en alternance, jusqu’au 24 juillet. T. 01 44 58 15 15 www.comedie-francaise.fr

Au cinéma, en direct le 12 avril et rediffusion à partir du 2 mai, en partenariat avec Pathé Live. Réservations : patheliv.com/avare

 

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