Savannah Bay de Marguerite Duras, mise en scène de Gérard Elbaz

Savannah Bay de Marguerite Duras, mise en scène de Gérard Elbaz

savannah bay

© Patricia Quentin

 La célèbre autrice écrit cette pièce en 1983 pour Madeleine Renaud et elle la mettra en scène la même année, au Théâtre du Rond-Point à Paris, dans un décor de Roberto Plate et les costumes d’Yves Saint Laurent. Ce dialogue mettait en présence Madeleine (Madeleine Renaud,) face à une Jeune Femme (Bulle Ogier). «J’entendais la musique de Savannah Bay dit Gérard Elbaz en  mettant en scène Le Square en 2019.»  Dans le Square, deux inconnus se rencontrent, le temps d’une conversion dans un jardin public. Une jeune femme dont en apprendra qu’elle est en fait domestique chez des bourgeois et un homme plus âgé, qu’elle, un voyageur de commerce, très seul et sans autre attache que sa petite valise. Deux faces d’une même pauvreté. (voir le Le Théâtre du Blog).

 Pour Savannah BayGérard Elbaz a réuni les mêmes excellents interprètes mais dans une scénographie différente. Les personnages s’effacent pour laisser la place à une parole en acte. Campés sur un carré blanc au milieu du plateau fortement éclairé, ils n’en bougeront plus ou presque. Une chanson résonne: «C’est fou ce que j’peux t’aimer… ». Tout le monde aura reconnu l’air et les paroles – qui étaient le titre initial de la pièce- et la voix d’Edith Piaf. Mais pas Madeleine  (jouée ici par Stéphane Valensi). La vieille femme a la mémoire qui flanche. La Jeune femme (Martine Thinières), sa petite fille peut-être, apprendra-t-on au fil du dialogue, dit venir chaque jour et lui demande de lui raconter une histoire, toujours la même : une histoire d’amour et de mort dont chez elle les souvenirs s’effilochent. Cela s’est passé dans un pays jamais nommé – juste évoqué par le titre de la pièce – pendant l’été, au bord de la mer et il y a une grande pierre blanche léchée par les vagues et le vent. Une jeune fille y va chaque jour en nageant. Un homme l’aperçoit et l’appelle. L’amour entre eux est immédiat, total.

 La Jeune Femme arrache petit à petit des détails à Madeleine. La vieille actrice confond cette histoire avec celles qu’elle a pu jouer en d’autres temps. Les personnages, bientôt, ne parleront plus qu’au conditionnel… Il est question d’un jour gris, d’une mort… Madeleine se souvient, par bribes, de la naissance d’une petite fille, puis une nuit, d’un suicide dans les marécages… Trop d’amour pour continuer à vivre. Mais dans sa tête, tout se mélange: la réalité, la fiction, les années, les gens…

Au théâtre, pour Marguerite Duras, «le jeu enlève au texte (…) ». «On subit la gesticulation théâtrale, on ne ressent jamais l’écriture, d’où elle vient.» Elle voulait : «un autre théâtre, le théâtre de la voix. » Et Gérard Elbaz a conçu sa mise en scène dans cet esprit, en demandant à ses interprètes d’éliminer tous les parasites gestuels et de plonger dans le texte, sans rien d’autre. En confiant le rôle de Madeleine à un homme, il désincarne le personnage qui devient ainsi une présence vocale évanescente dans un visage neutre et figé tel un masque. Tout ici est parlé sans être joué, comme le souhaitait l’autrice: «On en passe totalement par le langage. »

Pour cette mise en scène radicale, un décor non figuratif et pertinent d’Emma Depoid et une direction d’acteurs précise. Dans cet espace non réaliste, les personnages traversent plusieurs lieux de la mémoire comme le flux et reflux d’une mer épaisse, écrasée de chaleur, brûlante d’un amour fou, devenu mortel par excès. On ressent les moindres mouvements d’une écriture durassienne, portée à son haut degré de ressassement par des personnages en quête de mémoire. Une belle fidélité à l’esprit de cette langue palimpseste et musicale. Un peu moins à sa sensualité, qu’on pouvait attendre dans la touffeur tropicale du paysage maritime. Et certains spectateurs, d’esprit moins littéraires, auront peut-être du mal à se laisser entrainer dans ces flots de mots désincarnés et resteront à la porte de la pièce, malgré la justesse des comédiens et la rigueur du travail et l’émotion qu’ils transmettent. 

Joués à la suite l’un de l‘autre, Le Square, premier texte dialogué de l’autrice (1956) et Savannah Bay, sa dernière pièce, retracent l’archéologie de son écriture. Au fil de son œuvre, elle creuse, jusqu’à l’obsession, les points de douleur liés à l’enfance, à l’amour et à la mort : «Tu m’as dit : La douleur se propose comme une solution à la douleur, comme un deuxième amour », dit la Jeune Femme. A propos de sa mise en scène de Savannah Bay, Marguerite Duras confia au critique Gilles Costaz: «Je pense que c’est une pièce sans personnage. Je donne certaines propositions. (…) Mon rôle est ici de rendre compte de ce qu’est un amour.»

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 17 avril, Lavoir Moderne Parisien, 35 rue Léon, Paris ( XVIII ème). T. : 01 46 06 08 05.

 

 

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