Les projets jeunesse et diversité au Centre Dramatique National de Besançon
Les projets Jeunesse et diversité au Centre Dramatique National de Besançon
Dernier mandat pour Célie Pauthe qui aura été la directrice pendant neuf ans du Centre Dramatique de Besançon qu’elle quittera en 2022. « Nous poursuivons, dit-elle, notre partenariat avec le dispositif: Lycéens et apprentis au spectacle vivant» à l’initiative de la Région Bourgogne–Franche-Comté. Avec le soutien de la D.R.A.C. et du Rectorat, le Centre Dramatique National est partenaire des enseignements théâtre du lycée Victor Considérant à Salins-les-Bains, des lycées Louis Pasteur et Saint-Paul de Besançon, Les Haberges et Édouard Belin à Vesoul.
Les tarifs sont préférentiels. Ecoles élémentaires: 6 €, collèges et lycées : 9 €, et abonnement à partir de trois spectacles proposés aux élèves accompagnés de leur enseignant. Il s’agit d’un engagement fort et d’un chemin d’accès aux formations théâtrales. Même si ce n’est pas la mission prioritaire d’un C.D.N. J’estime avec mon équipe que le paysage change encore beaucoup trop lentement, il y a un D.E.U.S.T. (Diplôme de Technicien des Métiers du Spectacle à Besançon. »
« A été ainsi mis en place sur quatre semestres pour vingt étudiants sélectionnés, un stage long sur la création théâtrale qui a lieu au C.D.N. Cette formation à la fois théorique et pratique doit rendre plus accessibles les débouchés vers les différentes professions théâtrales (jeu, mise en scène, scénographie, écriture, critique, administration, relations publiques… Nous avons fait un gros investissement dit Célie Pauthe, avec la mise en place d’un programme qui commencera en septembre prochain, pour trois ans avec les élèves de quatrième et troisième du collège Voltaire situé dans le quartier Planoise. »
Cette « ville nouvelle » Z.U.P. construite dans l’urgence à partir de 1968 a été conçue par l’architecte Maurice Novarina, (le papa de l’écrivain Valère Novarina, et son équipe). Mais sans grande imagination urbanistique : ici comme ailleurs, des barres H.L.M. devenue Z.A.C avec des immeubles de plus petite taille, et enfin des commerces et services comme ailleurs. Loin du centre historique de Besançon et du C.D.N. mais maintenant bien desservi par le tramway et des lignes de bus, ce quartier a été labellisé Cités éducatives. Mais Planoise paradoxalement compte plus de 20.000 habitants, dont nombreux issus de la «diversité », alors que le centre ville de Besançon n’en compte que 10.000…. Et Vanoise compte plus de 8.000 logements dont trois quarts sociaux et la moitié des ressources familiales est surtout constituée d’aides sociales.
Il y a deux collèges Voltaire et Diderot et deux lycées Victor Hugo et Tristan Bernard ( soit quelque 3.500 élèves). Et des équipements sportifs et culturels, notamment la Maison de quartier-médiathèque Nelson Mandela dotée d’une salle de spectacles. Il y a aussi un palais des congrès et le Théâtre de l’Espace qui existe depuis les années quatre-vingt-dix. Et où -on le sait peu- Jean Luc Lagarce, encore inconnu, créa plusieurs de ses pièces
L’opération va se faire en partenariat avec le Conservatoire à rayonnement régional. Cornaquée aussi par Maryse Adam Mailler, inspectrice de lettres chargée du théâtre, qui insiste sur la nécessité de ne pas tricher et de faire pour de vrai. « Mais cela n’a pas été simple à mettre en place, dit Célie Pauthe, puisque ces jeunes élèves ne connaissent pas vraiment le théâtre et ne sont pas toujours motivés » Axe essentiel de cette opération: les C.H.A.T. : Classes à Horaires Aménagés Théâtre. Soit au collège Voltaire, deux heures d’apprentissage basique du jeu et une heure de culture théâtrale. Les élèves concernés iront voir plusieurs spectacles par an au C.D.N. et rencontreront aussi des artistes et techniciens. Guillaume Fulconis, comédien et metteur en scène et Anne-Marie Tournier seront aux manettes dans une salle du collège mais aussi au C.D.N.
Belle idée de Célie Pauthe: faire que douze élèves puissent prendre possession d’un grand plateau comme celui du C.D.N. Ce qui est assez exceptionnel, et que nous avons connu à l’École de Chaillot quand la grande scène Jean Vilar était libre, c’est à dire rarement à cause de nettoyage du plateau et de la salle, montages techniques, répétitions, raccords en cours d’exploitation. Mais quel bonheur pour les élèves d’une école ou d’une formation… Un signe aussi pour dire que cette scène de niveau national appartient à tous les âges et à toutes les classes sociales de chaque quartier de Besançon. Mais ce qui représente un long travail en amont
Va être aussi créée une option facultative: théâtre au lycée technique et professionnel Pierre-André-Pâris à Besançon, spécialisé dans les métiers du bâtiment, la construction et les travaux publics en trois ans, avec une unité pédagogique pour élèves allophones arrivant en lycée. Ce qui semble exceptionnel en France dans l’enseignement dit professionnel, longtemps considéré comme un parent pauvre. Le jumelage avec le C.D.N. est financé par la D.R.A.C. à hauteur de 2.400 € depuis 2020 avec l’appui du rectorat, entre ce lycée et le CDN avec des ateliers et stages pratiques. «Avec l’idée de faire bouger les cases, disent Marie Adam-Mallet Inspectrice Régionale et Gilles Quignard, le Proviseur, et l’idée de pérenniser, structurer, donner ses lettres de noblesse à un enseignement artistique. Ces jeunes visiblement fragiles se livrent deux heures à différents exercices de théâtre proposés par Théo Pierrat, comédien. Un travail d’ouverture d’esprit, plus que vraiment technique, a toute son importance dans cette formation professionnelle du bâtiment. Avec, au moins et sûrement un appétit d’acquérir une certaine culture…
Nous avons aussi pu assister à un travail de la sixième édition d’une Saison en partage qui rassemble pendant la saison une trentaine de jeunes de quartiers prioritaires. Idée essentielle du projet : Le théâtre est un fort vecteur de lien social et d’ouverture sur le monde, le CDN Besançon Franche-Comté a mis en place depuis quatre ans Une Saison en partage, un projet innovant et ambitieux d’immersion culturelle pour les jeunes gens des quartiers prioritaires de Besançon, qui permet à ces jeunes de vivre ensemble une aventure artistique, humaine et citoyenne, de mettre leurs interrogations et leurs désirs au cœur du débat. Ils sont accompagnés tout au long de l’année par les comédiennes et pédagogues Judith Morisseau et Marie Fortuit. Les stagiaires sont invités à assister gratuitement à tous les spectacles de la saison et avant chaque représentation, ils participent à un atelier de deux heures de pratique théâtrale et de sensibilisation à l’univers du spectacle. Ils animent certaines rencontres entre artistes et public Et ils font aussi l’expérience de la scène en y montant à leur tour lors d’un stage de quatre jours avec une présentation dans de conditions professionnelles
Ils doivent voir tous les spectacles et s’initient au jeu et à la mise en scène, encadrés par l’actrice Marie Fortuit, aussi metteuse en scène. Cela se passe dans une cave voûtée du théâtre tout à fait propice à ce genre d’exercice, avec une plateau très profond. Ils s’appellent Nina, Kevyn, Sofia, Mahmoud… mais ne se connaissent pas. Ils ont tous le goût et l’envie d’en découdre en travaillant sur la fameuse tirade de Cyrano. »
« Et, dit Célie Pauthe, nous avons mis en place des stages d’observation et immersion avec la découverte des métiers du théâtre au C. D.N. pour des classes de troisième des quartiers dits populaires, équivalent du classique stage d’une semaine de cette même classe. Classes expérimentales, théâtre au collège, stages d’observation/immersion, option légère au lycée, etc. » Ce qui a été ici mis en place par Célie Pauthe et son équipe peut faire figure de modèle. On ne dira jamais assez combien ce travail difficile est largement bénéfique à la sphère sociale, d’abord comme support éducatif, que ce soit dans les collèges, lycées, facs et dans toutes les formations professionnelles, y compris techniques, longtemps méprisées. Avec l’apprentissage du langage d’un texte mais aussi du corps et du vivre ensemble pour atteindre un but commun. Comme le font au quotidien, la direction d’un lieu, le metteur en scène, les acteurs et techniciens d’un spectacle après des mois de travail intense et partagé. Bien entendu tous les élèves du secondaire ne sont pas tentés par un emploi dans le monde du spectacle mais pour eux, c’est une occasion unique de pénétrer dans un tout autre univers…
Oui, le théâtre parfois jugé ringard par certains ministres et personnages politiques, a encore beaucoup à apporter aux jeunes, surtout dans les temps difficiles que nous vivons actuellement. Que serait le théâtre contemporain français si, il y a déjà un siècle, Jacques Copeau n’avait monté une école dans son petit théâtre du Vieux-Colombier à Paris? Ou plus près de nous quand Antoine Vitez animait des ateliers à Ivry en banlieue parisienne.
Et l’immense Tadeusz Kantor nous a raconté comment, pendant le seconde guerre mondiale, tout jeune encore et peu expérimenté théâtralement, il avait réussi avec une petite équipe passionnée d’acteurs aussi jeune que lui, à monter sur le tas des spectacles à Varsovie. En cachette bien entendu et à la barbe des Allemands -ce qui était risqué- dans des appartements vides, avec quelques accessoires et costumes, mais sans argent. Et sans aucune lumière électrique, sans chauffage, sans décor et, bien entendu sans aucune annonce ou affiche. Bref, rien ou presque pour arriver malgré tout à créer. Et pourtant devant un public enthousiaste. Et si des spectacles créés ou présentés au C.D.N. de Besançon peuvent aussi inspirer à quelques-uns ces jeunes gens un théâtre de résistance, ce genre de combat n’aura pas été inutile. La Cour des Comptes en 2019 avait déjà préconisé un changement de modèle des réseaux d’éducation prioritaire et avait mis en garde : « La situation serait plus critique sans ce déploiement de moyens et les élèves concernés auraient des résultats encore moins bons. » Traduction: il y encore du boulot et trois ans après, où en est-on? ! Les C.D.N. ,actuellement souvent en perte de vitesse ou de repères, ont absolument besoin de ce genre d’expériences lancées par Célie Pauthe et son équipe, en partenariat avec l’Éducation Nationale. Il faudra continuer à s’y intéresser.
Philippe du Vignal