Dans la mesure de l’impossible, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues, traduction de Thomas Resendes
Dans la Mesure de l’impossible, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues, traduction de Thomas Resendes, composition musicale de Gabriel Ferrandini (spectacle multilingue, surtitré en français et en anglais)
L’auteur et metteur en scène portugais maintenant bien connu en France (voir Le Théâtre du Blog), récemment nommé directeur du festival d’Avignon, a écrit cette pièce à partir d’une centaine d’heures d’entretiens à Genève avec des membres de la Croix-Rouge. Et il redit dans une belle langue une fois de plus les horreurs de la guerre un peu partout dans le monde, les familles éparpillées, la détresse et les terribles souffrances, les bombes, les morts et les blessés par milliers: « Les trois enfants ont besoin de sang immédiatement. celui qui recevra la transfusion, survivra presque à coup coup sûr. » Cela s’appelle le tri en médecins d’urgence… « Certains prétendent que les cadavres ont une odeur sucrée. Pour d’autres, ils ont une odeur d’amande. Selon moi, les cadavres ont un odeur d’acide. Un peu comme de l’ananas. » Et pourtant la guerre est toujours là, omniprésente et une fois installée quelque part, bien difficile à déloger. Les humanitaires viennent de pays démocratiques et font ce qu’ils peuvent pour aider les populations civiles mais sont très exposés à des risques physiques et/ou éthiques et à commettre des erreurs parfois fatales à leurs équipes et aux populations: » Tu fais des erreurs et les erreurs ont un impact sur la vie des gens. Un grand impact, ça peut être la différence entre la vie et la mort (..) Si tu apprends de tes erreurs, tu aideras d’autres gens. » Et nous faisons souvent semblant d’oublier que tel ou tel conflit pourtant loin de chez nous, a pour cause la conduite de gouvernements en Europe…
Le spectacle a été créé en février dernier à la Comédie de Genève.Ici, pas de scénario mais le récit de quatre humanitaires- deux femmes, deux hommes joués par Adrien Barazzone, Beatriz Brás, Baptiste Coustenoble, Natacha Koutchoumov, Gabriel Ferrandini qui s’adressent à nous souvent alignés. Mention spéciale à Beatriz Brás dont le fado a fait craquer le public… Accompagnés par Le percussionniste Gabriel Ferrandini qui fait vibrer (sans doute un peu trop!) la scène pour dire les explosions et le fracas de la guerre.
Ces humanitaires témoignent de l’indicible qu’ils ont vécu, confrontés à des situations qu’ils ne pouvaient même pas imaginer.
Comment ne pas continuer à entendre des rafales permanentes de mitraillette, même si elles cessent quelques minutes, quand on arrive à évacuer un civil gravement blessé. Comment oublier ces enfants gravement blessés ou sur le point de mourir, malgré in extremis un don du sang? Comment trouver un peu de sommeil après des journées harassantes quand il faut parfois écarter par la force des gens crevant de faim et écrasant leurs compagnons, pour obtenir un tout petit peu de nourriture?
Les humanitaires ont souvent comme cadre de travail, une ville en ruines jonchée de cadavres. Tiago Rodrigues ne juge pas et ne reproche rien au système humanitaire mais se pose la question philosophique lancinante du pourquoi cet «amour pervers du désastre» qui chaque année sur la planète Terre, envahit tel ou tel pays. Et cette fois, vraiment pas très loin de nous… Bref, on en revient toujours à cet impossible envie de changer le monde, malgré la bonne volonté souvent tardives des instances internationales. Souvenons-nous du début de cette Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux: «Vous êtes jeune, Hector !… À la veille de toute guerre, il est courant que deux chefs des peuples en conflit se rencontrent seuls dans quelque innocent village, sur la terrasse au bord d’un lac, dans l’angle d’un jardin. Et ils conviennent que la guerre est le pire fléau du monde, et tous deux, à suivre du regard ces reflets et ces rides sur les eaux, à recevoir sur l’épaule ces pétales de magnolias, ils sont pacifiques, modestes, loyaux. Et ils s’étudient. Ils se regardent. (…) Ils se quittent en se serrant les mains, en se sentant des frères. Et ils se retournent de leur calèche pour se sourire… Et le lendemain pourtant éclate la guerre… »
Sur le plateau, une très grande tente (scénographie de Laurent Junod, Wendy Tukuoka, Laura Fleury) sous les subtils éclairages de Rui Monteiro qui couvre tout le plateau, les quatre humanitaires sont là souvent face public, pour apporter leur témoignage et dire toutes les souffrances mais aussi la complexité quand il s’agit de résoudre un conflit ou d’installer des corridors pour évacuer les civils. Mais, quelque soit l’intérêt de ces témoignages tous poignants, Tiago Rodriguez aurait pu construire une dramaturgie plus efficace et cet empilement sur deux heures nuit beaucoup au spectacle. Même, si comme d’habitude, il reste toujours un bon directeur d’acteurs.
Philippe du Vignal
Spectacle vu au Centre Dramatique National de Besançon-France-Comté, avenue Edouard Droz, Esplanade Jean-Luc Lagarce, Besançon (Doubs).
Du 12 au 14 avril à La Coursive, Scène nationale La Rochelle.
Le 29 avril au Théâtre des Salins, Scène nationale de Martigues
Du 4 au 6 mai au Maillon – Théâtre de Strasbourg, Scène européenne. Du 11 au 14 mai au Théâtre du Nord, CDN Lille-Tourcoing. Les 18 et 19 mai aux Scènes du Golfe, Vannes. Du 25 au 27 mai au Piccolo Teatro di Milano- Teatro d’Europa.
Du 16 septembre au 14 octobre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris