Klein, d’après la conférence d’Yves Klein à la Sorbonne, conception d’Olivia Grandville
Klein, d’après la conférence d’Yves Klein à la Sorbonne, conception d’Olivia Grandville
Depuis le Cabaret Discrépant (2011), inspiré de textes du poète lettriste Isidore Isou au Théâtre de la Colline et le bouillonnant Combat de carnaval et Carême, d’après le tableau de Pieter Brueghel l’Ancien en 2017 (voir Le Théâtre du Blog), la chorégraphe n’a cessé de diversifier ses créations. Elle en présente trois à la MC 93 de Bobigny, avant de regagner le Centre Chorégraphique National de la Rochelle dont elle a pris la direction. Elle veut faire de cette Maison, rebaptisée Mille Plateaux, un «Théâtre d’Opération chorégraphique transdisciplinaire et transculturel».
Klein est à l’image de ses audaces artistiques. Sur le plateau vide et sous des lumières bleues de plus en plus intenses, Iris Clert (Olivia Grandville), galériste et égérie des avant-gardes de l’époque, présente Yves Klein: «Je dois avouer quand j’ai vu pour la première fois ses tableaux, j’ai été sidérée. J’ai voulu d’abord penser à un énorme canular.» Après une brève biographie, elle laisse la parole à Manuel Vallade, un Yves Klein aérien et volubile. Guidé, comme elle, à l’oreillette, il entend en direct la voix de son modèle, enregistrée lors de sa conférence. Un troisième intervenant participait à cet événement, l’architecte allemand Werner Ruhnau (ici, le compositeur Benoît de Villeneuve). Yves Klein conçut avec lui ses Architectures de l’air, cœur de son allocution L’Evolution de l’art vers l’immatériel. Ils imaginaient de vastes constructions au toit maintenu en lévitation par de l’air pulsé: dans ce paradis, l’homme, libéré des aléas climatiques et de la pesanteur deviendrait un rêveur éveillé…
Auparavant, le peintre revient sur son travail et ses recherches, comme dans une récente exposition à Anvers où il ne montrait rien. Cela l’amena à imaginer un Centre de la sensibilité, où Jean Tinguely serait professeur de sculpture et Pierre Henry, le compositeur-phare. Il parle aussi longuement de son choix du bleu monochrome, couleur de l’immatériel et explique que des couleurs juxtaposées se contredisent, qu’un pigment ne doit pas être terni par un liant, et que, dans la société, le liant, c’est l’argent… Ce bleu pur et solitaire, celui du ciel et de la mer, c’est l’azur qui le hante et l’aspire.
Ponctués par des applaudissements et des rires enregistrés (ceux du public d’alors ou d’une boîte à rire ?), les mots du peintre se bousculent et il passe d’un thème à l’autre, comme si, en juin 1959, cet homme pressé de tout dire, pressentait sa disparition trois ans plus tard après une crise cardiaque/ Il avait trente-quatre ans ! Cet exposé gonflé d’un désir enfantin de toute puissance, nous amuse et parfois nous passe un peu au-dessus de la tête, comme ce fut sans doute le cas pour l’aréopage venu assister à cet événement mondain.
Mais Olivia Grandville a invité deux judokas à rythmer de leurs passes harmonieuses le monologue de l’acteur-conférencier. Rappelons que le peintre fut, entre autres, quatrième dan de judo. L’envol des corps et leur chute sonore amplifiée donnent un certain relief à cette allocution disparate. Nous entendons aussi Symphonie monoton, une singulière composition d’Yves Klein avec un seul accord en continu : un ré majeur répété pendant vingt minutes… Transposée ici par Benoît de Villeneuve qui a conçu l’environnement sonore du spectacle, cette musique planante, conjuguée aux éclairages bleutés intenses, donne au spectacle une dimension sensorielle et nous emporte dans un rêve éveillé. Nous nous évadons dans le bleu…
Certains resteront à la porte de cette œuvre conceptuelle à l’instar de la peinture d’Yves Klein mais Olivia Grandville apporte une réponse théâtrale, plastique et musicale, à l’aridité et à l’abstraction des propos de cet artiste. Elle nous restitue aussi l’esprit d’utopie qui animait celui dont on ne connaît plus aujourd’hui que les empreintes de corps et d’objets trempés dans du bleu. Et Volare, une chanson de Domenico Modugno…
Mireille Davidovici
Spectacle créé dans le cadre du programme New Settings de la fondation Hermès, vu le 13 avril, à la MC 93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis) T. : 01 41 60 72 72.
La Guerre des pauvres, d’après Eric Vuillard, conception d’Olivia Grandville, du 15 au 17 avril.
La conférence d’Yves Klein est publiée aux éditions Allia.