La Leyenda de Kulkatán, par La Doble Mandoble
La Leyenda de Kulkatán, par La Doble Mandoble
Cette compagnie circassienne a été fondée en 2007 par Luis Javier et Miguel Angel Córdoba. Formés à l’École Supérieure des Arts du Cirque ESAC à Bruxelles, ils ont été les pionniers de la magie nouvelle en Belgique. et cherchent à mêler cirque, magie, théâtre physique, manipulation d’objets et les arts numériques, pour créer un langage capable de susciter la réflexion de leur public. Leur première création, un numéro de magie clownesque, Les Anneaux Indomptés, a été récompensée par le premier Prix du concours de magie Macamagie en 2008 à Wavre (Belgique), par le premier Prix de magie comique au concours mondial de magie FISM en 2012 à Blackpool (Royaume-Uni) et enfin par le Mandrake d’or en 2014 à Paris.
Cinq ans plus tard, La Doble Mandoble présentait son premier spectacle de salle, Mi otro yo, une approche à la fois burlesque et absurde de magie mêlée au cirque, au théâtre et à la manipulation d’objets. En 2011, La Belle Escabelle, un spectacle de rue, à la fois physique et burlesque, rend un hommage délirant à l’escabeau pliable de nos maisons. Puis la Doble Mandoble crée en salle Full HD regorgeant d’effets visuels surprenants, où magie et cirque rencontrent les arts numériques. Inspirée par le transhumanisme, la compagnie propose une vision d’un futur pas si lointain, où nos limites biologiques seront «augmentées», grâce aux avancées technologiques. En 2018, le magicien-jongleur-dramaturge italien Andrea Fidelio rejoint la compagnie..
Nouvelle création pour salle il y a deux ans Le Dîner est un spectacle pluridisciplinaire avec cinq comédiens qui peint de manière drôle et métaphorique, une classe dirigeante sans aucune sensibilité et déconnectée de la réalité. Puis la compagnie crée un numéro de magie nouvelle Sweet Home qui reçoit le premier prix de grandes illusions au Championnat européen de magie FISM à Manresa, Espagne. Miguel Angel Córdoba et Andrea Fidelio nous donnent ici un avant-goût du Chapiteau Magique-La Leyenda de Kulkatan, septième création de cette compagnie. La pièce mélange entresort et magie nouvelle, avec l’histoire de Galvani, un professeur de l’occulte qui voyage avec son attraction, cherchant une réponse à l’origine de la vie et un élu qui puisse le libérer de leur asservissement, lui et son «monstre». Inséparables mais contraints à errer dans le giron des damnés et à y chercher leur salut pour sortir de l’Enfer. Avec le récit de ces anti-héros, c’est aussi ’histoire du spectacle itinérant, des origines à nos jours et d’un mythe, vue par un regard contemporain. Cela commence en dehors du chapiteau, dans une file d’attente, avec l’idée de créer un lieu inspiré de l’univers des spectacles de foire. Le public, pour accéder au chapiteau, doit voir une exposition de curiosités et prodiges et il est ensuite accueilli par l’énigmatique professeur Galvani qui lui présente le lieu. Il en dévoile le contexte scientifique et alchimiste, les guide dans ce voyage, en narrant une mystérieuse histoire qui a marqué sa vie. La deuxième partie se passe dans le chapiteau avec un petit nombre de spectateurs.
«Nous avons créé, disent ses auteurs, un espace magique contemporain, en prenant racine dans les pièces du théâtre nomade du passé. Pour faire ressentir au public la fascination et la curiosité pour l’insolite et le mystère, en lui proposant une expérience fantastique et en l’intégrant à une histoire magique. Cette forme itinérante de spectacle est née de notre rêve d’avoir un petit chapiteau itinérant accueillant une vingtaine de personnes.
Nous avons déjà pu assister à des pièces de ce format, quand nous étions en tournée dans les festivals de rue. Ces espaces intimes favorisent une proximité maximale avec le public, et nous ont donné envie de créer le nôtre: une yourte de 5,5 m de diamètre et 4 m de haut. Pour suivre notre parcours de magie nouvelle qu’on voit surtout dans des théâtres et : nous souhaitions sortir de ce cadre traditionnel pour aller dans un espace plus convivial. Posséder notre propre chapiteau a aussi l’immense avantage pour nous, magiciens, de concevoir des effets non réalisables, si nous changeons systématiquement de lieu.»
«Le nôtre favorise le jeu avec des objets plus petits, voire minuscules et des effets subtils où les atmosphères lumineuses, sonores et olfactives jouent un rôle important. L’art de créer des illusions et la proximité font de cette expérience, une rencontre privilégiée avec le public. Ce chapiteau permet aussi de nous approprier l’espace urbain avec un côté foire du XIX ème siècle, à la fois énigmatique et mystérieux. Mais nous aimerions l’agrandir pour en faire un micro-village de magie, en y insérant une caravane pour accueillir aussi des micro-spectacles de quelques minutes pour une seule personne et une petite arène extérieure avec un gradin pour un plus grand nombre de spectateurs. Conception, écriture et mise en scène sont de Miguel Angel Cordoba et Andrea Fidelio. La scénographie et les visuels de María Solà Font et Laura Jaqueson. La prothèse de la tête a été fabriquée par Jean-Raymond Brassinne, un artiste spécialisé dans le maquillage SFX. Les costumes ont été réalisés par nous-même. La construction de la yourte pliable a été confiée aux menuisiers de la Fabrique de Théâtre. Enfin, la musique a été composée par Basile Richon. »
Mais dans ces conditions assez rares dans le monde de la magie, quel message cette compagnie souhaite-elle faire passer avec ce Professeur Galvani? « C’est une sorte de fable, disent ses créateurs, à raconter à un public de tout âge, et dont les éléments prennent racine dans une tradition millénaire de récits s’inspirant de mythes de lointaines cultures. Cet archétype du chercheur, en proie à une soif inextinguible de connaissances, veut trouver le sens caché et les réponses aux questions profondes de l’existence. Il représente aussi le rêveur, l’esprit d’initiative de chacun et qui nourrit notre idéal. Poussé par le désir de connaissance, il devient chercheur de mystères, éternel voyageur à la poursuite du Graal. La vie de Galvani est marquée par un voyage qui n’atteint pas son objectif, parce qu’un nouveau défit se représente à chaque étape et le condamne à des recherches sans répit. Bref, le mythe de l’éternel retour, de Sisyphe ou du tonneau des Danaïdes, avec un Galvani obligé de s’orienter vers une destination qui s’approche et s’éloigne à la fois.»
Il y a un entresort avec un deuxième personnage important: la tête parlante du magicien Kulkatán, suspendue dans le vide au-dessus d’une table. Pas un robot ou une marionnette mais bien une tête humaine détachée du corps et capable de réaliser de vrais prodiges, comme transmettre et lire dans les pensées, faire apparaître et disparaître des objets.Une illusion rendue vraisemblable au point de créer un court-circuit dans les perceptions de celui qui l’observe. L’histoire de Kulkatán est inspirée de celle des freaks, ces monstres des baraques de foire. Cela débuta au Moyen-Age et connut son âge d’or avec des spectacles à la fin du XIX ème siècle où ils étaient exposés dans les cirques et théâtres, pour satisfaire la soif de curiosité des classes les plus élevées. Ces humains physiquement anormaux nains, géants, siamois, êtres aux ressemblances animales, ou très maigres etc. ont fait l’objet de ségrégation et d’exploitation au cours des siècles.
La Leyenda de Kulkatán veut être aussi une réflexion sur la marginalité et les êtres différents. Autrefois, la société a été dominée par une aristocratie toute puissante à l’origine d’un idéal auquel le peuple devait se soumettre ou périr. Ces aristocrates voulaient sélectionner quelques élus et asseoir leur pouvoir. Mais c’était une négation de la diversité sous toutes ses formes. Les marginaux, les a-normaux, tolérés comme phénomènes de foire pour distraire et rassurer les autres sur leur prétendue normalité, étaient humiliés par une société, dite bien pensante et leur mise à l’écart rassurait aussi les bourgeois dans leur légitimité. Auparavant, les aides n’existaient pas et si, aujourd’hui, la société a évolué, les exclus du système existent toujours et les marginaux restent victimes de voyeurisme. Les valeurs normatives dominent toujours la gestion de la cité et font le lit des populismes. Les êtres différents ou faibles, trop sensibles ou introvertis, qui ne s’adaptent pas à la rentabilité, à l’hyper-connexion ou aux standards de beauté, sont encore mis à l’écart, tournés en dérision, ou utilisés quelques heures sur les réseaux sociaux. Nous sommes partis de là pour créer La Leyenda de Kulkatan où nous voulons témoigner de l’immense richesse des gens différents. Et caresser l’invisible splendeur de l’exclu, pour enfin le mettre en lumière et suggérer au public d’avoir un regard sur les éléments voilés d’histoires souvent moins racontées, en montrant la sensibilité et la profonde humanité cachée dans ces apparents monstres. Nous voulons réveiller la découverte du merveilleux. »
Sébastien Bazou
La Leyenda de Kulkatan sera créée à Louvain (Belgique) le 13 mai.
La Doble Mandoble: https://www.doblemandoble.com/fr/accueil/