Laissez-moi danser d’Aude Roman et Delphine Lacouque, mise en scène de Tadrina Hocking

 

Laissez-moi danser d’Aude Roman et Delphine Lacouque, mise en scène de Tadrina Hocking

Cela se passe à la Nouvelle Seine, une péniche à l’entrée casse-gueule mais avec une belle salle de cent places. Alice se sépare définitivement mais avec amertume de son homme, Jeanne va se marier après un passé très libre d’attaches masculines et Dalida, une intellectuelle solide, tombe amoureuse d’un jeune homme. Ces quadragénaires ont entrepris d’aller faire un tour en camping-car. Et nous aurons droit à une heure et quelque de ce voyage, à un moment où, pour elles trois, la vie va sans doute prendre un nouveau tour.
Plus toutes jeunes mais encore assez pour avoir envie de bien vivre et de réaliser ce qu’elles n’ont sans doute pu faire jusqu’ici. Vingt ans: l’âge où elles se sont connues; quarante ans, leur âge actuel et celui des encore possibles. Mais bon, entre temps, la vie avec ses bonheurs mais aussi ses malheurs s’est invitée et elles ne sont pas encore âgées mais plus jeunes. Les faits sont têtus, disait Lénine et leur miroir leur aussi. « Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte car la richesse est vaine chez les morts… » disait aussi déjà l’immense Eschyle il y a vingt-quatre siècles. Tiens, au fait, question temps, cela fait vingt ans aussi que nous connaissons Delphine Lacouque, Noémie de Lattre qui avaient autrefois créé un petit spectacle avec succès et Tadrina Hocking…

© Christine Coquilleau

© Christine Coquilleau

Les autrices de Laissez-moi danser savent bien dire -parfois crûment mais sans aucune vulgarité et avec pas mal d’humour- ce moment difficile à passer. Il leur faut admettre qu’elles sont à un tournant de leur vie. Cela n’empêche pas de parler ensemble -c’est même plutôt recommandé -et les trois complices parlent beaucoup- amour, sexe, amitié, idéal et avenir personnel et/ou professionnel qui peut se rétrécir… Le camping-car, symbolisé par une caisse-voiture un peu encombrante sur ce petit plateau, profond mais d’une ouverture limitée, est le lieu des confidences. Direction: une maison dans les Cévennes mais le portable permet bien des mensonges quand on téléphone à son partenaire sur une aire d’autoroute…

Dalida (Delphine Lacouque) s’est toujours voulu très libre mais ne sait plus très bien où elle en est après des années de vie commune mais l’amoureuse pour un de ses élèves la bouleverse: « Je suis une intellectuelle… Ma condition de femme, de mère…De citoyenne, d’être humain, d’animal, j’ai tout pensé. La seule chose à laquelle je n’ai pas pensée…C’est la sensation que pouvait procurer un autre sexe que celui de mon mari dans le mien.» Alice (Aude Roman qui est aussi la co-autrice de cette pièce) est une amoureuse déçue et Jeanne (Julie Berducq-Bousquet) rompt avec un passé agité pour se marier et donc rentrer dans le moule social, ce qui n’est pas forcément très drôle…

Durant ce voyage, ces vieilles copines n’ont pas grand chose à se cacher ont leur franc-parler mais cela va sans doute mieux en le disant. Il aura bien entre elles des amorces de conflit mais elles réussiront à rester soudées malgré la quarantaine se profilant à l’horizon. Le voyage à la fois réel, mais aussi intérieur, que ce soit à pied, à cheval ou en voiture, est, c’est bien connu, un thème souvent traité au théâtre comme au cinéma. D’abord avec les nombreuses adaptations de L’Odyssée d’Homère ou de Don Quichotte, mais aussi et très récemment Les Rois de l’aventure d’Oriza Hirata, Tu devrais venir plus souvent de Philippe Minyana, Sans carte sans boussole sans équipement, huit courtes pièces de Noëlle Renaude…. Sans parler des nombreuses pièces de théâtre pour enfants, où le voyage initiatique avec rencontres, imprévus et épreuves mènera les personnages vers une découverte intérieure, un peu comme dans ce Laissez-moi danser.

«Le camping-car, dit Tadrina Hocking, est la métaphore de cette petite boîte où nous rangeons soigneusement nos principes de vie, fantasmes, bagages et casseroles, tout en restant le véhicule de nos personnages. Comme un espace mental forcément limité, dans lequel on voudrait bien tout faire entrer et ranger, et sur les parois duquel nous nous heurtons quand il s’agit d’assumer nos désirs, de renoncer à certains idéaux et de vaincre nos peurs. »
Delphine Lacouque écrit bien et sait inventer des dialogues justes même quand ils ont parfois crus, même et surtout, quand elle effleure des zones d’ombre.  Tadrina Hocking dirige remarquablement ses actrices bien entraînées à ce jeu pas si facile sur une aussi petite scène où tout doit être millimétré et elle a placé le curseur au bon endroit, avec  quelques danses sur des tubes années quatre-vingt pour aérer ces confidences. Présence indéniable, bon rythme, diction et gestuelle parfaites, texte intelligent et sensible à la fois, tout est dans l’axe  mais bon, si la metteuse en scène pouvait demander à ses actrices de baisser parfois le ton, dans cette petite salle, cela ne serait pas un luxe. Et le public souvent jeune – une quasi-rareté dans le théâtre parisien- avec ce jour-là une bonne soixantaine de personnes- applaudit chaleureusement ce spectacle. Les co-autrices Aude Roman et  Delphine Lacouque, comme leur metteuse en scène, peuvent espérer qu’un théâtre le programme plusieurs fois par semaine…

Philippe du Vignal

Attention: uniquement le samedi à 17 h, La Nouvelle Seine, Quai de Montebello (en face Notre-Dame), Paris (Vème).

 

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